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Des OGM contre la « gueule de bois » ?
Les OGM servent à tout… enfin sur le papier. La dernière idée est de produire une boisson « censée lutter contre les symptômes de la gueule de bois ». C’est la start-up Zbiotics [1] qui est derrière cette invention controversée.
Le 19 août 2019, Zbiotics a organisé une soirée dans une boîte de nuit californienne pour faire la promotion de sa nouvelle boisson « Zbiotics – Probiotic Drink ». Cette boisson contient une bactérie, Bacillus subtilis, modifiée génétiquement pour qu’elle dégrade des métabolites toxiques de l’alcool en une molécule bénigne. La boisson qui contient cette bactérie modifiée est vendue comme « boisson fonctionnelle », à prendre avant la consommation d’alcool. Elle est vendue 36 dollars (32,5 euros) les 45 ml.
Mimer l’action bénéfique du foie
Le foie dégrade une partie de l’alcool (éthanol) en acétaldéhyde (éthanal) puis en acide acétique (acétate), une molécule bénigne. Cependant, une partie de l’alcool ingéré ne parvient jamais au foie : elle est métabolisée dans l’intestin, en grande partie par les microbes qui y résident. Ces microbes transforment l’alcool en acétaldéhyde, mais contrairement au foie, ils convertissent beaucoup moins cet acétaldéhyde en acétate. C’est la principale source d’accumulation d’acétaldéhyde dans le corps.
L’entreprise californienne (créée en 2016) a cherché à réaliser cette opération de dégradation complète de l’alcool dans l’estomac. Pour cela, les techniciens ont ajouté au génome de la bactérie B. subtilis, par transgenèse, une séquence génétique humaine qui code pour l’aldéhyde déshydrogénase, l’enzyme du foie qui dégrade l’acétaldéhyde (éthanal) [2]. La bactérie ainsi modifiée, nommée B. subtilis ZB183, est protégée par un brevet (n°2019/0076489) [3].
Cette boisson fonctionne à l’inverse des médicaments contenant du disulfirame [4]. Cette molécule, prescrite aux personnes ayant une dépendance à l’alcool, inhibe l’acétaldéhyde déshydrogénase. N’étant plus dégradée, l’acétaldéhyde s’accumule dans le corps, ce qui renforce les nausées et autres symptômes liés à la prise d’alcool.
Des effets négatifs non pris en compte
D’un point de vue évaluation de risque, l’entreprise a confié et financé Eurofins Advinus pour la réalisation d’une étude sur des rats Wistar, étude publiée sur la plateforme bioRxiv [5](10 rats / sexe ont été utilisés comme témoins et 10 autres comme cobayes). La conclusion en est que cette bactérie génétiquement modifiée n’entraîne aucun effet indésirable après 90 jours d’ingestion. Un seul incident statistiquement significatif a été observé : un évasement du pied inférieur du membre postérieur a été observé chez les mâles ayant reçu la dose moyenne. Mais les responsables de l’étude écrivent : « Ce résultat n’est pas proportionnel avec la dose administrée et est considéré comme accessoire ». De même, l’étude signale « un petit nombre de changements statistiquement significatifs observés dans les paramètres d’activité motrice (…) observés de manière aléatoire à différents intervalle (…) [mais] ces changements étaient incohérents et ne dépendaient pas de la dose ». Globalement, « toutes les autres différences entre les groupes ont également été considérées comme accessoires, car les changements n’étaient pas liés à la dose ».
De plus en plus d’études montrent que le microbiote (la flore intestinale) joue un rôle très important dans de nombreuses maladies voire dans certaines formes de dépression. Ce microbiote est un subtile mélange de différentes bactéries qui s’équilibrent (quand on est en bonne santé). L’ingestion d’une bactérie modifiée ne va-t-elle pas perturber durablement cet équilibre ? Cette bactérie ne va-t-elle pas proliférer ? De même, que peut provoquer la présence en plus grande quantité d’acétate dans l’intestin ? Cette molécule n’est pas censée se retrouver en quantité dans nos intestins puisqu’elle est issue d’une action spécifique du foie.
La foi à défaut de foie
Aucune étude n’a en revanche été menée pour démontrer l’efficacité de cette bactérie une fois ingérée sur les effets de l’alcool. L’entreprise annonce avoir « mené des tests en interne en aveugle contre un placebo » [6]. L’entreprise a aussi distribué plus de 10 000 échantillons et aurait reçu des retours majoritairement positifs… John Oliver, le responsable Recherche et Développement, explique : « J’aimerais avoir le budget pour lancer des essais cliniques complets et démontrer l’efficacité. (…) Mais être obligé de démontrer l’efficacité, c’est trop. Je dirais que cela tuerait simplement l’innovation pour les bioproduits comme celui-ci ».
Toutes ces inconnues pour ne plus avoir la gueule de bois, cela paraît disproportionné. Et si on pensait simplement à s’hydrater correctement… cela réduirait déjà considérablement les effets de l’alcool. Et la solution la plus simple reste encore d’éviter les abus, tout simplement.
Économiquement cette entreprise espère que cette boisson va attirer les financeurs. Elle a déjà récolté 320 000 dollars en 2016, puis a réussi à collecter 3,1 millions de dollars de plus, principalement auprès d’investisseurs providentiels [7] après avoir participé à l’accélérateur de start-up Y Combinator [8].
[2] Le gène qui code pour cette enzyme est moins présent chez certaines personnes, ce qui explique qu’ils supportent moins bien l’alcool. Rapport de l’Inserm : http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/3322/MS_1985_3_159.pdf?sequence=1
[7] Angel investissor, ou business angel