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OGM : un encadrement en mode allégé

Par Eric MEUNIER, Charlotte KRINKE

Publié le 11/10/2018

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Ces dernières années, la mise en œuvre de la législation sur les OGM a fait l’objet d’allègements dont la discrétion est inversement proportionnelle aux conséquences. Quasiment chaque étape en amont ou en aval de la commercialisation d’un OGM a été revue, et souvent à la baisse. Cette évolution visait-elle à adapter la législation aux avancées scientifiques ou était-elle stratégiquement une anticipation que les nouvelles techniques seraient considérées un jour comme donnant des OGM soumis au champ d’application de la loi comme cela s’est produit cet été ? Difficile à dire…

Depuis 2007, l’Union européenne est engagée dans le débat sur les nouvelles techniques de modification génétique. Un débat qui a franchi une étape majeure avec l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne le 25 juillet dernier. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que les organismes issus de mutagénèse, quelle qu’elle soit, sont des OGM et a précisé que les OGM issus de techniques de mutagénèse dont la sécurité n’est pas avérée depuis longtemps et qui ne sont pas « traditionnellement utilisées pour diverses applications » sont pleinement soumis aux obligations de la directive [1].

Dans le même temps, et profitant peut-être du chiffon rouge que constituait le débat sur les nouvelles techniques, l’Union européenne a allégé quelques uns des points les plus importants de la procédure à suivre pour obtenir une autorisation de commercialisation. Une procédure que l’on peut résumer assez facilement : pour être autorisé, un OGM doit préalablement être évalué en termes de risques sanitaires et environnementaux, étiqueté, surveillé et donc pouvoir être détecté de manière non ambiguë. L’Union européenne avait pour cela prévu toute une batterie de mesures qui, en 2001, faisait que sa législation était considérée comme la plus poussée au monde.

Un allègement législatif de l’évaluation des risques

En 2013 l’Union européenne adopte un nouveau texte législatif, le règlement 503/2013 [2]. Ce règlement détaille la mise en œuvre du règlement 1829/2003 quant aux informations à fournir pour obtenir une autorisation, comme les données relatives à l’évaluation des risques sanitaires. En 2013, tout le monde pensait que ce règlement constituait une amélioration de l’évaluation telle que conduite jusqu’alors. En effet, ce règlement rendait par exemple les analyses de toxicologie obligatoires. Mais c’était juger trop vite.

Sur les analyses de toxicologie justement, ce règlement 503/2013 prévoit de revoir leur caractère obligatoire en fonction des résultats du programme européen GRACE [3]. Or, comme Inf’OGM le rapportait en 2016, ce programme (critiqué pour les conflits d’intérêt de certains de ses membres et pour son travail scientifique) conclut que les analyses à long terme n’apportent aucune information scientifique supplémentaire aux analyses à 90 jours et que ces dernières « n’apportent pas plus d’informations scientifiques que les analyses de comparaison de composition » [4]. Si la Commission européenne n’a pas encore mis en œuvre le retrait de l’obligation de fournir des analyses de toxicologie, elle en a aujourd’hui l’argument. Le 11 septembre dernier, lors d’une réunion du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, États membres et Commission européenne ont d’ailleurs discuté des suites prévues au projet GRACE notamment. Et la Commission de se déclarait « d’accord pour que le sujet soit mis à l’agenda d’une prochaine réunion du comité ».

Mais ce règlement ne s’arrête pas en si bon chemin. Son article 5 offre potentiellement de grandes possibilités au demandeur d’autorisation : il prévoit en effet la possibilité de ne pas fournir les données expérimentales (description moléculaire, analyse toxicologique, nutritionnelle, environnementale…) qui devaient accompagner toute demande selon l’ancienne procédure. Ainsi une demande d’autorisation « peut ne pas satisfaire à toutes les exigences », par exemple si « des informations données ne sont pas nécessaires compte tenu de la nature de la modification génétique ou du produit », ou si elles ne sont pas nécessaires «  d’un point de vue scientifique  » ou encore si « leur fourniture est techniquement impossible ». Seule contrainte pour les entreprises, « le demandeur [doit motiver] dûment l’application de cette dérogation ». La question de la compatibilité de cet article avec le principe de précaution, qui doit être pris en compte dans la gestion du risque dans l’Union européenne, se pose. D’autant plus qu’un tel énoncé interpelle particulièrement pour les nouvelles techniques de mutagénèse. Notamment l’éventuelle dérogation à l’obligation de fournir une analyse des risques « compte tenu de la nature de la modification génétique ou du produit » dans un contexte où l’industrie et certains gouvernements prétendent que rien ne distinguerait ces OGM de plantes issues de sélection « traditionnelle ».

Mais avant de savoir comment cela pourrait être utilisé pour les OGM autres que transgéniques, force est de constater que cette dérogation est déjà utilisée dans le cadre de demandes d’autorisation d’OGM contenant plusieurs évènements de transformation (dits empilés) et leurs sous-combinaisons. Pour un OGM empilé ABCD par exemple, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) rend maintenant des avis favorables pour la combinaison ABCD et tout ou partie de ses sous-combinaisons AB, BC, BCD, ACD… pour lesquelles il arrive qu’aucune donnée d’analyse pourtant exigée ne soit fournie [5].

Un allègement législatif de la procédure administrative

Cette pratique récente de l’AESA s’est faite progressivement comme Inf’OGM le rapportera dans un prochain article. Son origine se trouve non pas dans une évolution des connaissances scientifiques mais bien dans un allègement de la gestion administrative des demandes d’autorisation par la Commission européenne.

Avant 2008, les demandes d’autorisation pour des OGM empilés étaient gérées au cas par cas. Reprenons l’exemple d’un OGM ABCD : les OGM A, B, AC, BC, BCD… faisaient chacun l’objet d’une demande séparée. Mais aux alentours de 2010, la Commission européenne s’est mise à traiter administrativement le dossier de l’OGM ABCD comme concernant également tout ou partie des sous-combinaisons possibles. Cette gestion a abouti en 2013, pour la première fois, à une autorisation délivrée pour le maïs Mon89034*1507*88017*59122 de Monsanto et Dow AgroSciences et toutes les sous-combinaisons de cet OGM empilé, et ce « quelle qu’en soit l‘origine » [6] [7]. Cette expression « quelle qu’en soit l‘origine » a été présente d’abord dans les échanges épistolaires entre la Commission européenne et l’AESA entre 2008 et 2013 puis a fini dans le règlement 503/2013 adopté la même année.

Depuis 2013, soit de leur fait, soit à la demande expresse de la Commission européenne, les entreprises déposent donc ouvertement des dossiers pour des OGM empilés et demandent que la décision couvre également les sous-combinaisons. C’est ainsi qu’en juillet 2017, cinq décisions ont permis d’autoriser 25 OGM [8]. En août 2018, deux décisions d’autorisation couvraient 13 OGM différents [9]. Des décisions d’autorisation qui concernent l’OGM empilé et les sous-combinaisons apparues au champ, mais aussi les sous-combinaisons obtenues par croisement dans le cadre de programmes de sélection, ou générées en laboratoire en insérant directement plusieurs événements de transformation. Du moins, pour être précis, rien n’exclut ces dernières !

Un phénomène biologique sur-interprété

Le considérant 18 du règlement 503/2013 est l’expression de cet allègement administratif. Il énonce que « la récolte de plantes génétiquement modifiées avec ségrégation (cultures avec ségrégation) contenant des événements de transformation empilés contient plusieurs sous-combinaisons d’événements de transformation […] la concordance des autorisations et des produits dont la mise sur le marché est inévitable et la faisabilité des contrôles commandent que les demandes relatives à des denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés issus de cultures avec ségrégation portent sur chaque sous-combinaison, quelle qu’en soit l’origine, qui n’est pas encore autorisée » ! Mais les décisions d’autorisation adoptées, pour les dernières en août 2018, par la Commission européenne, montrent que priorité est donnée à l’expression « qu’elle qu’en soit l’origine  » plutôt qu’à une origine de ségrégation au champ.

Combinée à l’allègement de l’évaluation des risques, cette pratique facilite clairement la vie des entreprises qui souhaitent mettre des OGM sur le marché. Et à cela s’ajoute la question des données concernant les sous-combinaisons. Le règlement 503/2013 dispose que « le demandeur doit étayer par une motivation scientifique l’inutilité de fournir des données expérimentales à propos des sous-combinaisons concernées, [et] en l’absence de motivation scientifiquement étayée, fournir ces données expérimentales » [10]. Mais l’expression « motivation scientifique » est très large et laisse donc place à des interprétations diverses, y compris par les experts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. L’un d’eux a même émis une opinion minoritaire à deux reprises dans des dossiers qui concernaient une demande de mise sur le marché d’un OGM empilé et de ses sous-combinaisons car aucune donnée expérimentale concernant tout ou partie de ces sous-combinaisons n’était fournie, sans que cela ne soit étayé par une « motivation scientifique » sérieuse à en croire l’expert minoritaire…

Or, depuis 2018, cette possibilité de dérogation existe également pour les autorisations déposées dans le cadre de la directive 2001/18 (culture des OGM à des fins commerciales ou d’expérimentation), et non plus uniquement pour celles suivant le règlement 1829/2003. La directive 2018/350, destinée à mettre à jour les critères d’évaluation des risques environnementaux tels que définis dans la directive 2001/18, prévoit en effet que « lorsque la descendance de l’OGM peut contenir plusieurs sous-combinaisons des événements de transformation empilés, le notifiant expose les éléments scientifiques qui confirment l’inutilité de fournir des données expérimentales à propos des sous-combinaisons concernées » et ce, « indépendamment de leur origine » ! Notons tout de même que cette directive 2018/350 rappelle que « en l’absence de ces éléments (scientifiques) », le pétitionnaire doit fournir « les données expérimentales utiles » [11].

La cerise sur ce gâteau « allégé »

Même si le règlement 503/2013 précise dans son considérant 18 que « les demandes relatives à des [OGM] issus de cultures avec ségrégation portent sur chaque sous-combinaison […] qui n’est pas encore autorisée », les décisions délivrées récemment montrent que les sous-combinaisons déjà autorisées peuvent être incluses. Par conséquent, lorsqu’elle adopte sa décision finale, plutôt que d’exclure les sous-combinaisons déjà autorisées, la Commission européenne abroge les anciennes décisions d’autorisation. Ainsi, un OGM AB [12] autorisé en 2010 et qui aurait dû faire l’objet d’une demande complète de renouvellement d’autorisation au plus tard en 2019, évite une telle demande du fait d’une autorisation donnée en 2016 à un OGM ABCD et ses sous-combinaisons, dont AB. Gain pour une entreprise ? Une date d’expiration unique et jusqu’à neuf années de commercialisation supplémentaires sans avoir à déposer aucun dossier supplémentaire autre que celui de l’OGM empilé. Et si dans neuf ans, c’est un dossier pour un OGM ABCDE qui est déposé, la procédure pourra se renouveler, à nouveau…

Un peu de fromage avant le dessert ?

À la faveur d’une révision des « principes généraux et prescriptions générales de la législation alimentaire » (le règlement 178/2002) et d’un ensemble de règlements et directives, notamment relatifs aux OGM, actuellement en cours, les choses pourraient ne pas s’arrêter là. Comme Inf’OGM l’a déjà rapporté [13], cette révision a été transformée par la Commission européenne en opportunité pour ouvrir un peu plus les portes des autorisations d’OGM aux entreprises et accroître la confidentialité des dossiers.

Première proposition : que les entreprises puissent rencontrer l’AESA avant même de déposer un dossier de demande d’autorisation. Quoi de mieux en effet que de se mettre préalablement d’accord sur le contenu d’un dossier à traiter pour ne plus courir le risque que le dossier traîne…

La Commission européenne souhaite surtout élargir la liste des données contenues dans une demande d’autorisation pour lesquelles une confidentialité peut être demandée. Aujourd’hui déjà, certaines informations peuvent ne pas être divulguées, au nom de la protection de la position concurrentielle d’une entreprise. Mais avec la proposition de la Commission, la confidentialité pourra être également demandée si « la divulgation cause un préjudice sérieux aux intérêts concernés ». Et s’étendre à des informations permettant de savoir quelle méthode a été utilisée pour obtenir telle ou telle plante ! Une information pourtant essentielle dans l’application du statut OGM aux produits issus des nouvelles techniques depuis le 25 juillet pour permettre à chacun de savoir à quel produit il a affaire ou tracer le lien entre un produit et l’éventuel brevet qui le couvre.

Une entreprise pourrait également demander que les informations relatives aux séquences d’ADN et les « modèles et stratégies d’amélioration » ne soient pas divulguées.

Cette proposition interpelle sur ses conséquences. Car si l’information sur la méthode d’obtention et l’origine des traits revendiqués n’est plus publique pour toute nouvelle variété commercialisée, qu’elle soit OGM ou non, citoyens et organisations n’auront aucun moyen de s’assurer qu’un produit issu d’un OGM est bel et bien soumis à la réglementation dédiée !

Quel avenir lui sera-t-il donné ? Seules les discussions au Parlement le diront. Mais il est frappant de lire, dans le compte-rendu du Comité permanent des végétaux du 11 septembre 2018, le retour d’expérience fait par un État membre. Non identifié, celui-ci a rapporté au Comité avoir reçu une demande d’un « pétitionnaire qui réclamait la confidentialité sur l’intégralité de sa demande d’autorisation ». Si la Commission a répondu que, selon le règlement 1829/2003, la confidentialité ne pouvait porter que sur certaines parties de la demande, avec justification, certains pétitionnaires se sentent manifestement pousser des ailes.

Une petite poire pour faire passer le tout ?

De ce paysage décrivant les évolutions actuelles et celles à venir potentiellement se dégage un constat : l’étiquetage reste la clef de voûte du système européen. Mais s’il n’est pas remis en cause pour les OGM transgéniques, la question se pose pour les nouveaux OGM. Car l’effectivité de l’obligation d’étiquetage OGM dépend notamment des capacités de l’Union européenne et des États membres à contrôler la conformité des produits étiquetés comme ceux qui ne sont pas étiquetés. Or Inf’OGM l’a déjà expliqué : la Commission européenne a annoncé le 11 septembre 2018 qu’elle « travaillerait » sur la question avec le réseau européen de laboratoires sur les OGM. En attendant, l’Union européenne et ses États membres ne disposent pas de méthodes de contrôles communes et validées [14]. Ils ne peuvent donc pas contrôler biologiquement les produits éventuellement commercialisés…

[3Article 12 du règlement 503/2013.

[5Le maïs Bt11*59122*Mir604*1507*Ga21 et l’opinion de l’AESA rendue le 15 juillet 2016 illustre cela : Inf’OGM, « Maïs Bt11*59122*Mir604*1507*GA21 et 20 sous-combinaisons », Inf’OGM, 4 juillet 2017 ou

Avis de l’AESA / EFSA sur le maïs Bt11*59122*Mir604*1507*Ga21 et ses 20 sous-combinaisons

[6

Décision de la Commission européenne : maïs Mon89034*1507*Mon88017*59122

[7Inf’OGM, « Maïs MON89034*1507*MON88017*59122 », Inf’OGM, 6 novembre 2013

[9Une décision pour le maïs Mon89034*87427*NK603 et les maïs sous-combinés Mon89034*87427, Mon89034*NK603 et 87427*NK603 et une décision pour le maïs TC1507*59122*Mon810*Nk603 et les sous-combinaisons TC1507*59122*Mon810, TC1507*59122*Nk603, TC1507*Mon810*Nk603, 59122*Mon810*Nk603, TC1507*59122, TC1507*Mon810, 59122*Mon810 et 59122*Nk603.

[10voir note 5 pour un exemple de mise en œuvre.

[11Directive 2018/350, Annexe, point 4c.

[12Voir par exemple le maïs Bt11*Ga21 autorisé seul en 2010, puis 2016 via l’autorisation du maïs Bt11*Mir162*Mir604*Ga21 : Inf’OGM, « Maïs Bt11*Mir162*Ga21*Mir604 et dix sous-combinaisons », Inf’OGM, 2 mars 2017 et

Décision de la Commission européenne : maïs Bt11*Mir162*Ga21*Mir604 et ses dix sous-combinaisons
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