n°151 - juillet / août 2018

Les traités internationaux protègent les ressources

Par Charlotte KRINKE, Eric MEUNIER

Publié le 26/09/2018

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L’utilisation de certaines ressources génétiques est encadrée par différents textes au niveau international. Mais cet encadrement semble avoir plus facilité l’accès aux ressources locales pour des entreprises qu’assurer un réel partage des avantages avec le monde paysan. Zoom sur deux de ces textes : le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) et la Convention sur la diversité biologique (CDB) et son Protocole de Nagoya.

Le Tirpaa, la CDB et son Protocole de Nagoya affichent un même objectif : la conservation de la diversité biologique dont les ressources génétiques végétales [1], leur utilisation durable et le partage des avantages découlant de leur exploitation. Pour cela, ils théorisent une règle : pour utiliser une ressource génétique, une entreprise doit obtenir un accord et s’engager à partager les « avantages » obtenus à partir de la commercialisation de tout produit issu de cette ressource, sous une forme monétaire ou non monétaire.

La Convention sur la Diversité Biologique…

En 1992, la Convention sur la diversité biologique (CDB) sortait de l’idée que la biodiversité était « un patrimoine commun de l’humanité » et la mettait sous la souveraineté des États. Elle fut la première réponse apportée aux pays du Sud qui, ayant vu jusque-là une partie de leurs ressources biologiques confisquée par les industries occidentales et stockée dans les « banques de gènes » du Nord, craignaient de voir tous les bénéfices potentiels tirés de leur exploitation leur échapper [2]. L’objectif de la CDB fut dès lors que chaque pays retrouve sa souveraineté sur ses ressources végétales et soit en mesure d’autoriser ou non leur utilisation par des tiers. Mais le texte permettant de conditionner l’accès à une ressource au partage des avantages tirés de son exploitation commerciale n’entrera en vigueur que vingt-deux années plus tard, en 2014, avec le Protocole de Nagoya (voir encadré ci-dessous). Mais, dès 2001, un autre texte issu de l’Engagement international sur les ressources phytogénétiques de la FAO de 1983 et qui, en théorie, visait à défendre les droits des paysans, était adopté : le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa).

Le Protocole de Nagoya


Ce Protocole définit les règles d’application du consentement préalable à l’accès aux ressources génétiques et du partage juste des avantages (APA) posés en 1992. Mais, n’étant pas rétroactif, le Protocole ne concerne pas les ressources collectées avant 1992. Dans le principe, le Protocole établit qu’un consentement préalable de l’État et un contrat sont nécessaires pour pouvoir utiliser chaque ressource. Et les « avantages » (terme flou s’il en est) tirés de la valorisation économique de ces ressources doivent être partagés [3] avec l’État fournisseur des ressources. Seul cet État peut décider si ce contrat implique ou non les communautés locales ou indigènes qui ont conservé les ressources concernées.

Un Traité inégalement efficace

S’il vise à « mettre en place un système mondial permettant de fournir un accès aux matériels phytogénétiques aux agriculteurs, aux sélectionneurs de végétaux et aux scientifiques [et] s’assurer que les bénéficiaires partagent les avantages qu’ils tirent de l’utilisation de ces matériels génétiques avec les pays d’où ils proviennent », le Tirpaa n’est obligatoire que pour 64 espèces. Un « Système multilatéral d’accès facilité et de partage des avantages » a été créé, concernant plus de 3,5 millions d’échantillons majoritairement des 64 espèces agricoles, recensés dans une base de données sur Internet. Pour les utiliser, il faut un accord type de transfert de matériel avec le fournisseur de l’échantillon (souvent des graines) et verser une part du bénéfice lié à une commercialisation si un brevet a été déposé [4]. Mais les semenciers, tels l’Union française des semenciers, souhaitent étendre ce Traité à toutes les espèces agricoles. Car, contrairement au Protocole de Nagoya, le Tirpaa évite les négociations bilatérales lors de chaque accès à une ressource génétique, le modèle de contrat à signer étant générique [5]. Mais surtout, le Tirpaa a permis l’accès aux ressources génétiques tout en échouant à mettre en œuvre un partage des avantages.

Un objectif louable et une règle a priori simple

Le Traité prévoit que les États parties rendent accessibles les ressources génétiques des 64 espèces qu’ils détiennent dans leurs collections nationales. Et doivent « encourager » les acteurs privés à faire de même. Or, sauf rares exceptions, aucune entreprise n’a versé ses collections au Tirpaa. Des réticences qui énervent le monde paysan et la société civile s’il s’agit de collections privées construites à partir de ressources d’origine paysanne, et alors que ces collections sont importantes [6]. Aujourd’hui, l’essentiel des ressources génétiques déclarées au Tirpaa viennent des collections du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR). Or, l’accès aux collections nationales est très compliqué pour les agriculteurs et des chercheurs de pays du « sud » alors même que leurs ressources sont dans ces collections…

Par ailleurs, le partage des avantages ne fonctionne pas, entre autres car il n’existe aucun système effectif de traçabilité et de contrôle des échanges de ressources génétiques. Et dans plusieurs pays, notamment occidentaux, les entreprises n’ont pas obligation d’indiquer l’origine de la ressource qu’elles ont utilisée lorsqu’elles demandent un brevet ou une autorisation de mise en marché… Du côté de la CDB, aucun partage des avantages n’a eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole de Nagoya, l’industrie disposant de stocks importants constitués avant 1992, donc exemptés. Surtout, c’est au moment de cette entrée en vigueur que la numérisation des ressources génétiques a pris de l’ampleur. Une évolution technique que l’industrie souhaiterait utiliser pour échapper aux règles d’accès et de partage des avantages. Mais les oppositions restent vives aussi du côté de certains États.

La numérisation des séquences génétiques brouille la donne

Depuis les années 2000, une quantité croissante de données informatisées sont tirées de ressources génétiques, qu’elles soient dans les champs ou conservées dans des banques de semences, telles que celles du CGIAR : Bioversity international, IRRI… Une réunion de la FAO a d’ailleurs expliqué que « avec les coûts décroissants et l’amélioration des logiciels informatiques, un déplacement s’est opéré [des banques de gènes « physiques »] vers les collections numériques qui incluent des génomes entiers ou des parties de génome » [7]. Mais une question essentielle restait à régler : ces séquences et informations génétiques informatisées extraites des ressources génétiques sont-elles, juridiquement parlant, assimilables à des ressources génétiques ? Les positions des acteurs diffèrent fortement (voir encadré ci-dessus).

Mais cette question, qui agite le Tirpaa et la CDB depuis plusieurs années déjà, n’est pas près de trouver une réponse. Lors de sa septième session qui s’est tenue en 2017, l’Organe directeur du Tirpaa a ainsi relevé que « la question de l’information génétique numérique a été soulevée à de nombreuses reprises dans le contexte de divers aspects de ses travaux ». Mais ce ne sera qu’en 2019, lors de sa huitième session, que « les éventuelles incidences de l’utilisation de l’information génétique numérique sur les ressources génétiques pour les objectifs du Traité international » seront examinées. Et auparavant, il sera « nécessaire de clarifier davantage la terminologie relative à l’information génétique numérique » [8].

La CDB bloque aussi sur des questions de définition. Un groupe technique ad hoc d’experts créé en 2016 doit réfléchir au statut des données obtenues par séquençage du génome. En février 2018, il s’agissait de savoir si les bases de données recensant les séquences génétiques des organismes, collectées et désignées par l’expression « séquençage numérique », sont comprises dans les expressions « matériel génétique » et « ressources génétiques » de la Convention et dans celles d’« utilisation de ressources génétiques » et « dérivé » du Protocole de Nagoya. Mais aucune position unanime entre les États n’a émergé. Et pendant ce temps-là, les génomes sont numérisés…

Données numérisées : « ressources » ou pas « ressources » ?


Si les ressources génétiques dématérialisées sont considérées comme des ressources génétiques, les règles d’accès et de partage des avantages du Protocole et du Tirpaa s’appliquent. En cas de réponse négative, ces règles ne s’appliqueront pas…

Tirpaa et CDB définissent les ressources génétiques comme « le matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité » et ayant une valeur [9]. Pour les entreprises, cette définition ne recouvrirait que les ressources génétiques physiques, tangibles. Tout comme pour la Chambre de commerce internationale [10] qui estime en outre que « inclure les informations de séquençage numérique dans la définition des ressources génétiques dans le cadre du Protocole de Nagoya ne ferait pas qu’augmenter l’incertitude juridique, mais aussi attacherait des obligations infinies d’accès et de partage des avantages pour l’utilisation de ce type d’informations ». D’autres acteurs (ONG, LVC [11], divers pays « du Sud »…) estiment que ces seules séquences génétiques numérisées sont des ressources génétiques, puisqu’elles peuvent être utilisées pour créer, par génie génétique ou divers croisements avec d’autres plantes, de nouvelles variétés susceptibles d’une exploitation économique et d’être brevetées.

[4Libellé de l’ATTM : http://www.fao.org/3/a-bc083f.pdf

[5Accord type de transfert de matériel (encore appelé ATTM ou SMTA en anglais) : https://www.infogm.org/des-semences-partagees-mais-des-droits-paysans-theoriques

[7FAO, Will the Genomics Revolution Result in More Nutritious Food on our Tables ? Scientists and Policy Makers Meet at United Nations Special Event, 2017. http://www.fao.org/plant-treaty/news/news-detail/en/c/1051994/

[8FAO, Résolution 13/2017. Programme de travail pluriannuel de l’Organe Directeur du Traité International. http://www.fao.org/3/a-mv176f.pdf

[10International Chamber of Commerce, Digital Sequence Information, 2016. https://cdn.iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2017/05/ICC-IP-position-paper-on-digital-sequence-information.pdf

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