Ressources génétiques VS semences : la bataille des mots
Dites « ressources génétiques » à un paysan : il vous regarde de façon interrogative. Lui cultive des semences. Alors, pourquoi ce terme de « ressources génétiques » ?
Le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis) précise que « le terme est apparu dans les années 1960, à l’époque où s’est posé le problème de l’érosion génétique » [1], donnant une sorte de noblesse à cette expression qui n’est pourtant que le prélude à l’artificialisation du vivant. La notion de ressources génétiques a été conceptualisée par Frankel (1967) [2] dans le cadre de l’accompagnement de la Révolution Verte, à une époque où l’agriculture industrielle cherchait à remplacer, sans y parvenir, l’agriculture paysanne [3].
L’industrie gère des ressources…
L’apparition récente de l’expression « ressources génétiques » (RG), pour parler en fait de « semences », marque une rupture dans le rapport de l’Humanité au vivant. Cette expression est un cache-sexe technico-juridique qui permet l’abstraction et l’extraction : elle fait entrer le monde du vivant dans le monde marchand. Le Bureau des Ressources Génétiques (BRG) [4] le disait explicitement : « les ressources génétiques ont, comme tout autre bien, une valeur économique que leur attribue le marché et qui se concrétise dans les investissements que leur consacrent les institutions publiques et privées. Elles sont l’objet d’un statut juridique complexe (…) qui établit les régimes de leur appropriation ainsi que la reconnaissance des droits de l’innovation (brevet, COV…) » [5]. Le terme « ressource » fait référence à un stock… alors qu’une semence est un flux, elle n’existe que dans la relation à l’autre, dans l’échange. Face à l’érosion génétique, qui est incontestable, les partisans du terme « RG » disent y remédier quand ils stockent des ressources dans des bases de données ou des frigos, quand ils produisent de la fausse « variabilité » génétique (en effet, les variétés modernes de maïs, par exemple, sont toutes très proches génétiquement). Il est au final impossible de stocker les relations et les interdépendances. Michel Griffon, agronome, précise que « la notion de ressource est (…) limitée car (…) il ne faut pas simplement maintenir les espèces mais bien les relations qui existent entre plantes, entre plantes et insectes, entre insectes. Une partie seulement de ces relations est emprisonnée dans les génomes. (…) Cette notion de ressources est également limitée par le fait que chaque espèce est, en elle-même, un buisson évolutif. Nous ne captons dans nos réserves qu’une partie de l’information » [6]. Derrière les RG, on ne voit plus les hommes et les femmes qui les utilisent, ni leur culture. Mais l’expression va plus loin : ce qui a de la valeur, ce n’est plus la graine mais ses éléments, isolables, dont le graal est le code génétique. Une ressource génétique n’est au final qu’une suite de nucléotides, sans considération pour les interactions dont elle est le siège.
… le paysan co-évolue avec des semences
La semence est un tout, une unité en soi… non fragmentable. Ainsi, pour le monde paysan, les RG peuvent se définir comme l’incroyable potentiel de la biodiversité sauvage et cultivée, qu’il peut croiser, échanger. Dans les champs, il n’est pas possible de créer de nouvelles variétés au sens industriel du terme, c’est-à-dire homogènes et stables. Cette ressource est au-delà de la ressource naturelle anonyme. Ce lien fort au terroir et aux autres paysans disparaît dans la vision mécaniste des grosses industries semencières, qui conçoivent des variétés in vitro ou, à terme, in silico. Elles sont alors protégées par des droits de propriété intellectuelle (brevet, cov). La semence a un nom, un visage, elle est issue d’une communauté… alors qu’une ressource génétique, stockée dans une banque de gène ou séquencée par un ordinateur, a un numéro et elle est anonymisée, ou baptisée sans lien au terroir, pour mieux être exploitée. Quel rapport en effet entre les quelques rares blés « rouge de Bordeaux », qui évoquent une réalité humaine et géographique, et le blé Aymeric, rendu résistant aux herbicides vendu par Limagrain, qui lui, n’a pas d’histoire ?
Définition selon les instances internationales
Selon la Convention sur la diversité biologique (CDB) et le Protocole de Nagoya (qui en dépend) le « matériel génétique » est un « matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité » ; et une ressource génétique est un « matériel génétique ayant une valeur effective ou potentielle ». Le Traité international pour les ressources phytogénétiques (Tirpaa) a la même définition…
[1] L’enjeu des ressources génétiques
[2] Les Ressources Génétiques à l’orée de temps nouveaux, Commission Scientifique du BRG, Juin 2006.
[3] Cependant, la majorité de l’alimentation consommée sur la planète est encore assurée par des agricultures paysannes. Et ce serait même le cas selon plusieurs études au Brésil pour une part importante des aliments (il y a plus de 4 millions de familles paysannes au Brésil, 10 fois plus qu’en France). En Éthiopie, les deux tiers de 100 millions d’habitants vivent en zone rurale et ils s’alimentent principalement de produits locaux issus de semences ou races locales. La principale céréale consommée en ville est le Tef et les variétés de Tef ne sont pas issues des industries semencières, nous précise Valentin Beauval, agronome. Le Cirad estime aussi que 90 % des surfaces cultivées en Afrique sont ensemencées par les système semenciers paysans dits « informels ».
[4] En 2008, le BRG fusionne avec l’institut français de la biodiversité (IFB) pour donner naissance à la fondation pour la recherche pour la biodiversité (FRB).
[5] Fondation pour la recherche sur la biodiversité, site cité.