Actualités
Rachat de Monsanto par Bayer : accordé sous conditions
Les fusions et acquisitions des multinationales semencières et agrochimiques continuent. Le 21 mars 2018, la Commission européenne a autorisé le rachat de Monsanto (États-Unis) par Bayer (Allemagne) sous conditions. Pour éviter les monopoles, Bayer s’est engagée à vendre son secteur semences, OGM et une partie de sa division pesticides. Ces secteurs devraient être rachetés par une autre multinationale allemande, BASF, sous réserve d’un accord de la Commission. Le 29 mai 2018, c’était au tour des États-Unis d’accepter la fusion, également sous conditions.
Le 21 mars 2018, la Commission européenne a annoncé « avoir décidé d’autoriser sous conditions le projet de rachat de Monsanto par Bayer ». Selon Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, la nouvelle entité sera « l’acteur le plus important au niveau mondial sur les semences et les pesticides ». Le 29 mai 2018, le Département de la Justice aux États-Unis acceptait à son tour la fusion, également sous condition (voir encadré en fin d’article).
Garantir la concurrence
La Commission craignait, à la suite de ce rachat, une réduction significative de la concurrence sur les semences et les pesticides. Mais les tractations conduites avec Bayer depuis plusieurs mois ont comblé la Commission : « les mesures correctives proposées par les parties, qui dépassent largement les six milliards d’euros, répondent pleinement à nos préoccupations en matière de concurrence. Nos décisions permettent de garantir que la concurrence et l’innovation resteront effectives sur les marchés des semences, des pesticides et de l’agriculture numérique, même à l’issue de cette concentration ».
Pour la Commissaire Margrethe Vestager, « nous avons fait en sorte que le nombre d’acteurs mondiaux en concurrence active sur ces marchés reste le même. Cela est important car nous avons besoin d’une concurrence pour que les agriculteurs puissent choisir entre différentes variétés de semences et de pesticides à des prix abordables. Et nous avons aussi besoin d’une concurrence pour inciter les entreprises à innover dans l’agriculture numérique et à continuer de développer de nouveaux produits qui répondent aux normes réglementaires élevées en vigueur en Europe, dans l’intérêt de tous les Européens et de l’environnement ».
Concrètement, en ce qui concerne les semences, Bayer et Monsanto se font concurrence en Europe sur les marchés des semences potagères (tomate ou concombre). Selon l’enquête de la Commission européenne, Monsanto est le plus grand fournisseur mondial de semences potagères avec ses marques Seminis et De Ruiter, tandis que Bayer occupe actuellement la quatrième position dans le secteur, avec sa marque Nunhems.
Bayer choisit BASF comme acquéreur
Ainsi, « Bayer s’est engagée à céder la totalité de son activité dans le domaine des semences potagères, y compris son organisation de R&D (recherche et développement), à un acquéreur approprié qui n’opère actuellement pas dans ce domaine ». Si aucun nom d’acquéreur n’est cité dans les engagements, depuis, Bayer a proposé BASF comme acquéreur. La notification de la cession de ces activités a été publié au JO de l’UE le 14 mars [1].
Ces deux entreprises sont aussi concurrentes sur les semences de colza et de coton et le développement et l’octroi de licences sur des modifications génétiques (tolérance à certains herbicides : Roundup Ready pour Monsanto et Liberty Link pour Bayer, et production d’insecticides). Là encore, « Bayer s’est engagée à céder à BASF la quasi-totalité de son activité mondiale dans le domaine des semences de grandes cultures et des caractères propres aux grandes cultures, y compris son organisation de R&D. (…) Elle porterait également sur la totalité de l’activité de Bayer relative aux caractères, y compris ses activités de R&D sur les caractères génétiquement modifiés et non génétiquement modifiés ».
Pour la Commission, ces cessions permettront aux acquéreurs « de reproduire la pression concurrentielle exercée précédemment par Bayer sur Monsanto et ferait en sorte que le nombre d’acteurs mondiaux en matière de recherche et de développement sur les semences potagères reste le même ». La Commission précise que cela « permettrait aussi de maintenir à quatre le nombre actuel d’acteurs mondiaux intégrés dans le domaine des caractères (ndlr : modification génétique) (avec DowDuPont et Syngenta) et à six le nombre actuel d’acteurs mondiaux intégrés dans le domaine des semences de grandes cultures (avec DowDuPont, Syngenta, KWS et Limagrain) ».
D’autres concessions ont été faites dans le domaine des pesticides et de l’agriculture numérique. C’est encore BASF, donc un autre allemand, qui bénéfice des cessions dans les pesticides… Enfin, Bayer s’est aussi engagée à concéder à BASF « une licence sur une copie de son offre mondiale actuelle et de ses produits en cours de développement en matière d’agriculture numérique ».
La Commission précise que « à première vue, BASF semble être un acquéreur approprié parce que le fait que cette entreprise ne vend actuellement ni semences ni herbicides non sélectifs signifie que les chevauchements horizontaux dans ces domaines sont limités. En outre, BASF possède une activité complémentaire mondiale dans le domaine des pesticides et dispose de la solidité financière nécessaire pour être compétitive. Les réponses à la consultation menée auprès des concurrents et des clients ont été largement positives en ce qui concerne le caractère approprié de BASF en tant qu’acquéreur ». Cependant, une enquête a été ouverte par la Commission et « Bayer ne pourra procéder au rachat de Monsanto que lorsque la Commission aura formellement apprécié et autorisé la cession, dans sa version finale, de l’ensemble d’actifs à BASF ».
Une concurrence en trompe-l’œil ?
Avec toutes ces précautions pour éviter les monopoles, on peut s’interroger sur les réelles motivations de ce rachat (où sont les économies d’échelle ?), et sur la véracité de la concurrence, à terme, entre les deux géants allemands… Dans quelle mesure BASF et Bayer sont des entités réellement indépendantes quand on sait que les premiers actionnaires de l’une sont aussi les premiers actionnaires de l’autre, à l’instar de The Vanguard Group, Inc. qui détient 2,5 % des actions de Bayer et de BASF, ou encore Norges Bank Investment Management qui détient 2,07 % des actions de Bayer et de 2,99 % de celles de BASF ? Notons que The Vanguard Group, Inc. est aussi un actionnaire important de Monsanto.
De nombreuses organisations paysannes, écologistes ou de développement avaient manifesté leur crainte quant à cette fusion. La Commission a botté en touche, soulignant que ces « préoccupations (…) ont trait aux règles européennes et nationales visant à protéger la sécurité alimentaire, les consommateurs, l’environnement et le climat [et que] bien que ces préoccupations revêtent une grande importance, elles ne sauraient constituer la base de l’appréciation d’une concentration ».
Les conditions étasuniennes au rachat
L’accord de rachat sera possible, précise le Département à la Justice (DoJ), si Bayer cède environ neuf milliards de dollars d’actifs [2].
D’après Reuters [3], « les cessions réclamées par les autorités américaines recoupent étroitement celles demandées par l’Union européenne ». En effet, le communiqué de presse du DoJ souligne que « le projet de cession à BASF (…) permettra de résoudre entièrement toutes les préoccupations de concurrence horizontale et verticale. En conséquence, les agriculteurs et les consommateurs américains continueront à bénéficier de la concurrence dans cette industrie. (…) Selon les termes du règlement proposé, Bayer doit céder ses activités qui concurrencent Monsanto aujourd’hui. Il s’agit notamment des entreprises de semences de coton, de canola, de soja et potagères, ainsi que l’herbicide Liberty, un concurrent important de l’herbicide Roundup bien connu de Monsanto. ». Il est aussi exigé la cession de la division agriculture numérique de Bayer, « la cession de certaines capacités de propriété intellectuelle et de recherche, y compris des projets de R&D, la cession d’actifs complémentaires supplémentaires nécessaires pour que BASF dispose des mêmes incitations, capacités et envergure en matière d’innovation que Bayer en tant que concurrent indépendant, notamment ».
La Chine, le Brésil, la Russie et l’Australie ont également donné leur
aval. Actuellement, la fusion doit encore recevoir l’aval des autorités canadiennes et mexicaines. Le temps presse. En effet, si l’accord de fusion n’est pas finalisé le 14 juin, Monsanto sera en droit de le dénoncer et de solliciter un meilleur prix.
[1] Notification préalable d’une concentration (Affaire M.8851 — BASF/Bayer Divestment Business)
[2] Department of Justice, Office of Public Affairs, Tuesday, May 29, 2018,
Justice Department Secures Largest Negotiated Merger Divestiture Ever to Preserve Competition Threatened by Bayer’s Acquisition of Monsanto.