Pourra-t-on tous manger bio en 2050 ?
Les plantes transgéniques et les nouveaux OGM sont souvent présentés par leurs promoteurs comme l’une des solutions techniques pour nourrir le monde à l’horizon 2050. Inf’OGM a déjà publié plusieurs articles qui relativisaient fortement cette promesse [1]. A contrario, l’agriculture biologique est souvent présentée comme un caprice de riches et un marché de niche… Un article récent, publié dans Nature Communications, explique comment l’agriculture bio peut nourrir l’ensemble de la planète en 2050, à condition de faire évoluer en profondeur notre système alimentaire.
« L’agriculture biologique n’est pas assez productive, et ne permettra jamais de nourrir tout le monde ». Qui parmi vous n’a jamais entendu cette sentence ? Quel que soit votre point de vue sur la question, je ne saurais trop vous conseiller la lecture d’une excellente publication scientifique parue le 14 novembre 2017 dans la très sérieuse et très cotée revue Nature Communications [2].
Les chercheurs signataires de cet article ont utilisé une approche de modélisation pour apprécier, à une échelle mondiale [3], les impacts environnementaux d’une transition plus ou moins aboutie des systèmes agricoles actuels vers des pratiques relevant de l’agriculture biologique : pas d’utilisation de pesticides, d’engrais de synthèse, ni de plantes transgéniques, rotations longues incluant une part plus importante de légumineuses, etc. Différents niveaux de transition – de 0% (situation de référence) à 100% (tout en bio) – ont été comparés à échéance 2050. Une contrainte imposée dans la simulation est la fourniture d’un même niveau global de calories et de protéines dans tous les scénarios. Ce niveau correspond à la situation de référence : par exemple, production de 3028 kcal/personne/jour selon les estimations de l’agence des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO). Un autre facteur considéré dans les simulations est le niveau d’impact du changement climatique sur les rendements des cultures : nul, moyen ou fort. Différents types d’impacts environnementaux ont été évalués dans ce travail : surfaces agricoles mobilisées pour notre alimentation, émissions de gaz à effet de serre, utilisation d’eau, d’énergie, résidus de pesticides, surplus d’azote et de phosphore émis dans l’environnement. Les paramètres utilisés dans le modèle, tels que la baisse de rendements liée à la non utilisation d’intrants chimiques (engrais et pesticides) sont des estimations issues de la littérature scientifique disponible.
La transition ne se fera pas « toutes choses égales par ailleurs«
Comme attendu, les surfaces agricoles nécessaires augmentent avec le pourcentage de production biologique envisagé (du fait des rendements moindres en agriculture biologique). Dans la situation la plus extrême (100% d’agriculture biologique et impact fort du changement climatique sur les rendements), c’est 70 % de surfaces supplémentaires qui s’avèrent nécessaires, situation qu’il est assez peu réaliste d’envisager.
Mais l’intérêt principal de ce travail est d’étudier les conséquences d’une transition vers l’agriculture biologique couplée à d’autres évolutions de nos systèmes alimentaires. Ces autres évolutions sont, d’une part, la réduction des gaspillages (0, 25 ou 50 % de réduction) [4], et, d’autre part, la réduction (0, 50 ou 100 % de réduction) des surfaces cultivables dédiées à la production d’aliments pour les animaux d’élevage (food-competing feed : on réduit les surfaces cultivables utilisées pour la production de fourrages et d’aliments concentrés – par exemple maïs ensilage, céréales et oléoprotéagineux – de façon à pouvoir les mobiliser pour la production d’aliments directement destinés aux humains) [5].
Réduire la part des protéines d’origine animale dans notre alimentation
Réduire les surfaces cultivables dédiées à la production d’aliments pour les animaux nécessite de nourrir ces derniers avec une proportion accrue d’herbe et de coproduits (issus de l’agriculture ou de l’industrie agroalimentaire). Cela implique aussi de réduire de façon assez forte la production globale de produits animaux, et, par conséquent, la part des protéines d’origine animale dans notre alimentation (de 38 % à 11 % si on envisage une réduction de 100 % des surfaces cultivables dédiées à la production d’aliments pour les animaux) [6]. Cette baisse est compensée par une augmentation de la part des légumineuses dans les assolements et dans notre alimentation (consommation accrue de plantes riches en protéines telles que lentilles, haricots, pois carrés ou pois chiches …). L’augmentation de la part des légumineuses dans les assolements (jusqu’à 20% des surfaces cultivées) est par ailleurs compatible et cohérente avec l’augmentation des surfaces conduites en agriculture biologique (les légumineuses apportant une partie de l’azote nécessaire aux cultures, azote qui n’est plus apporté par la fertilisation minérale).
Les résultats de l’étude montrent clairement qu’en réduisant fortement les gaspillages et en modifiant notre régime alimentaire (consommation réduite de produits animaux au profit des légumineuses), on peut, sans augmenter les surfaces globalement cultivées, envisager une augmentation (très) importante la part de l’agriculture biologique dans la production agricole nécessaire à notre alimentation. Par exemple, en réduisant de 50 % les gaspillages et de 50% les surfaces cultivables dédiées à la production d’aliments pour les animaux, on peut augmenter jusqu’à 60 % la part des surfaces cultivées en agriculture biologique, sans augmenter les surfaces globalement cultivées. Aller jusqu’à 100 % des surfaces en agriculture biologique nécessiterait de réduire de près de 100 % les surfaces cultivables dédiées à la production d’aliments pour les animaux, et de 50 % les gaspillages. Scénario probablement difficile à mettre en œuvre, mais pas hors de portée.
L’augmentation des surfaces en agriculture biologique a bien entendu des conséquences très favorables pour l’environnement. Les effets les plus spectaculaires de cette transition concernent logiquement les résidus de pesticides et les surplus de fertilisants (en particulier d’azote) que l’on retrouve dans l’environnement, qui sont très fortement réduits. Des effets positifs sont également mis en évidence pour d’autres critères étudiés : moindre utilisation d’énergies non-renouvelables (liée à une utilisation réduite d’engrais de synthèse, dont la production est très énergivore), et réduction des émissions de gaz à effets de serre notamment.
D’autres effets potentiellement bénéfiques mais non étudiés dans ce travail pour des raisons méthodologiques, comme la préservation de la biodiversité et de la fertilité des sols, par exemple, sont également attendus. Le seul point de vigilance mis en évidence dans cette étude concerne les apports d’azote aux cultures, qui pourraient être insuffisants dans les scénarios de très forte transition (80 ou 100 % des surfaces en agriculture biologique). Une question intéressante à explorer pour les chercheurs !
Pas besoin des OGM ni de leurs avatars
En conclusion, l’agriculture biologique, ou, plus globalement, les systèmes conformes aux principes de l’agroécologie, visant une meilleure valorisation des services écosystémiques et une utilisation réduite d’intrants [7], ont de beaux jours devant eux ! Les résultats de cette étude, globalement conformes à ceux du scénario AFTERRES 2050 [8], doivent nous en convaincre.
Et, dans le même temps, nous aider à considérer avec un peu de recul les incantations récurrentes des techno-prophètes, pour lesquels seule une augmentation très importante de la production agricole mondiale, conditionnée à une utilisation généralisée des (bio)technologies, et des nouveaux OGM en particulier, permettrait de nourrir les neuf milliards d’humains attendus en 2050…
L’agriculture biologique s’est fort bien passée des OGM jusqu’à présent. Elle s’en passera tout aussi bien à l’avenir [9].
Comme le montre le travail résumé dans cette note, le verdissement de notre agriculture aurait des effets bénéfiques importants pour notre environnement, mais aussi pour notre santé (ne serait-ce que par la réduction de l’utilisation de biocides). Actuellement, l’agriculture biologique certifiée représente environ 1 % des surfaces cultivées à l’échelle mondiale [10], et 5 % en France [11]. La marge de progression est donc grande !
Alors, qu’attendons nous ? En avant toutes, par Toutatis !
[1] , « Les OGM peuvent-ils nourrir le monde ? », Inf’OGM, 20 août 2014
[2] Muller et al (2017), « Strategies for feeding the world more sustainably with organic agriculture« , Nature Communications 8, 1290.
[3] 192 pays couverts par la base de données FaoStat.
[4] Estimés actuellement à 30-40 % de la production agricole globale (source Fao).
[5] La réduction des surfaces cultivées destinées à la production d’agro-carburants est une autre variable d’ajustement qui n’a pas été considérée dans ce travail.
[6] Cela passe aussi par des changements dans les types de viandes consommées. Les ruminants, capables de transformer l’herbe qui n’est pas directement consommable par l’homme en produits de très grande valeur nutritionnelle, étaient, depuis quelques années, fortement décriés en raison de leur production de méthane (gaz à effet de serre). Ils reprennent de l’intérêt et de l’importance dans les scénarios qui envisagent une réduction des surfaces cultivables dédiées à la production d’aliments pour les animaux.
[7] L’agroécologie se définit comme l’application des principes de l’écologie à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables : des systèmes qui visent un recours accru à des régulations biologiques, productifs mais moins dépendants des intrants ; des systèmes liés à leur environnement physique et qui cherchent à valoriser les interactions entre les composantes du système ; des systèmes qui considèrent la biodiversité comme une ressource et qui cherchent à la préserver ; des systèmes qui placent la production alimentaire et l’intégrité de l’agroécosystème au même niveau de priorité.
[8] scénario AFTERRES 2050 ; Afterres 2050 est un exercice de prospective, réalisé par les ingénieurs de l’association Solagro, qui concerne le système alimentaire français (du champ à l’assiette), et qui permet de se rendre compte des conséquences potentielles de différents scénarios (scénario tendanciel, scénarios « de rupture »…).
[9] Il nous semble important de le rappeler dans la mesure où l’un des co-auteurs de l’article, Urs Niggli, reconnu dans la communauté des chercheurs en agriculture biologique, a récemment défrayé la chronique en n’excluant pas l’utilisation des nouveaux OGM (obtenus par la technique Crispr/Cas9) en agriculture biologique, une position radicalement opposée à celle qu’il défendait il n’y a pas si longtemps encore : « Il est clair que la dissémination d’OGM dans notre petite Suisse n’est pas une option pour le développement d’une stratégie de qualité pour l’agriculture suisse. En effet, la coexistence d’OGM et de cultures non manipulées génétiquement poserait de gros problèmes, et la liberté de choix des consommateurs ne serait pas garantie », voir Pas de carte blanche pour les OGM.
[10] Charvet (2012), Atlas de l’agriculture, comment nourrir le monde en 2050, Éditions Autrement.
[11] Chiffre en forte croissance ces quatre dernières années (+8,4 %/an), Chiffres de la bio en France.