Surfaces OGM : une augmentation en trompe-l’œil !
Malgré des surfaces légèrement en hausse, le visage de l’agriculture transgénique ne change pas. En 2016, le dossier des plantes transgéniques n’a pas connu d’évolution majeure. L’Isaaa, organisme financé par l’industrie biotechnologique, annonce une augmentation de 3 % des surfaces entre 2015 et 2016, passant de 179,7 à 185,1 millions d’hectares (données contestables, voir encadré). Une augmentation qui en fait masque difficilement une stabilité dans le paysage des plantes transgéniques et des différences importantes selon les pays et les cultures.
Les OGM transgéniques sont donc sensiblement repartis à la hausse, après une première baisse (-1 %) entre 2014 et 2015. Mais l’augmentation n’est pas celle des premières années. La décélération de cette augmentation est sensible depuis plusieurs années (voir graphique ci-contre). Certes, d’aucuns diront que les PGM ont atteint un niveau de saturation. Mais celle-ci n’est réelle que pour quelques plantes dans certains pays… En effet, aux États-Unis et en Argentine, entre 90 % et 100 % du soja, maïs et coton sont transgéniques. Mais c’est loin d’être le cas partout. En effet, à l’échelle mondiale, seulement 26 % du maïs et 24 % du colza sont transgéniques.
En 1996, les OGM transgéniques ont commencé leur histoire dans quelques pays : États-Unis, Canada et Argentine étaient alors les pionniers de la transgenèse. Le Brésil est venu rejoindre le club, suite à une contamination organisée en provenance d’Argentine, au début des années 2000. En 2016, 26 pays, officiellement, cultivent des plantes transgéniques commercialement (contre 28 en 2015). Ce chiffre est, comme souvent dans ce dossier, un trompe-l’œil. En effet, 20 ans après, ces plantes restent encore et toujours cultivées à 85 % dans ces quatre pays américains (157,4 Mha, voir graphique ci-dessous). L’Inde, et de façon plus modeste la Chine, le Pakistan et l’Afrique du Sud, complètent le tableau. L’Europe, fidèle à sa méfiance vis-à-vis de cette technologie, ne cultive que 136 340 ha de maïs MON810, c’est-à-dire moins de 0,1 % de la surface transgénique mondiale, et moins de 0,1 % de la surface agricole utile européenne. Enfin, onze pays ont été tentés à un moment de leur histoire par ces PGM transgéniques mais n’en cultivent plus actuellement [1].
Les premières autorisations en 1996 concernaient les plantes qu’on retrouve toujours majoritairement dans les champs 20 ans plus tard : soja, maïs, coton et colza. Seule la tomate, autorisée aussi à la fin des années 90, n’est plus du tout cultivée. Depuis, deux autres plantes ont réussi à se faire une petite place : la betterave à sucre et la luzerne, mais uniquement aux États-Unis. Les autres – papaye, courge, aubergine, pomme de terre, canne à sucre, etc. – régulièrement mentionnées, ne sont cultivées que sur des surfaces anecdotiques.
Enfin, les plantes avaient au départ été modifiées pour « tolérer » un herbicide ou produire un insecticide… désormais elles tolèrent plusieurs herbicides ou produisent plusieurs insecticides. C’est la seule évolution à mentionner et l’ajout de transgènes, qui a augmenté le coût des semences, est surtout une stratégie pour palier les résistances acquises par les adventices ou les insectes cibles. Pas de quoi y voir un quelconque « progrès ».
Où se situe l’augmentation ?
Les pays qui ont vu leur surface transgénique augmenter de façon conséquente sont peu nombreux : le Brésil (+11 %) et les États-Unis (+ 3 %). En revanche, les pays qui cultivaient principalement du coton Bt ont vu leurs emblavements chuter. L’Inde, la Chine, le Pakistan, le Burkina Faso ont perdu ensemble plus de 4,7 millions d’hectares de coton Bt. Aux États-Unis, le taux d’adoption du coton Bt est passé de 96 % en 2014 à 93 % en 2016.
Le soja a diminué légèrement cette année, mais reste la culture transgénique la plus répandue sur la planète, notamment stimulée par des prix intéressants et une demande incessante pour l’alimentation animale des pays riches et émergents. Classer l’Argentine et le Brésil dans les pays du Sud, comme le fait systématiquement l’Isaaa, et en conclure que les OGM progressent principalement dans ces pays, fait l’impasse sur la réalité, à savoir une agriculture duale : une agriculture mécanisée et industrielle qui a tendance à écraser une agriculture familiale et vivrière. Le soja tolérant les herbicides dans ces pays a restructuré l’agriculture : il a augmenté la concentration des terres et confisqué la rente soja entre quelques mains [2].
Au final, c’est le maïs qui est responsable de l’augmentation des surfaces cette année, dopé par la demande en alimentation animale et en agro-carburant.
Isaaa : des données contestables
L’Isaaa est le seul organisme à proposer une synthèse des surfaces mondiales d’OGM. En effet, elle a accès aux données de l’industrie. Mais l’industrie n’est pas la seule source d’information. De nombreux pays publient des données sur les surfaces. Inf’OGM a donc comparé les chiffres de l’Isaaa et les chiffres qu’on peut récolter de sources officielles. Les différences sont notoires. Ainsi, selon notre estimation (pour plusieurs pays nous avons dû reprendre les chiffres de l’Isaaa du fait de l’absence de données disponibles ou de réponses à nos sollicitations), les OGM transgéniques ont été cultivés sur 181,35 millions d’hectares, soit 3,5 millions de moins que ce qu’annonce l’Isaaa. La plus grande différence se situe en Inde où l’Isaaa enfle les surfaces de coton Bt de 2,3 millions d’hectares (soit une différence de près de 25 %). Au Canada, l’Isaaa ajoute plus d’un million d’hectares et au Pakistan, plus de 570 000 hectares de coton Bt…
Et même dans les pays où l’information est officiellement sur le site du ministère de l’Agriculture, comme en Slovaquie, l’Isaaa diverge.
Il est urgent de mettre en place un suivi indépendant des surfaces OGM. Et l’arrivée des nouveaux OGM [3] va encore complexifier le travail.
[1] Allemagne, Bulgarie, France, Pologne, Roumanie, Suède, Cuba, Indonésie, Iran, Burkina Faso, Égypte
[2] , « OGM en Argentine : l’enfer du décor », Inf’OGM, 18 décembre 2014