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États-Unis – Nouveaux OGM : armes de destruction massive ?
Les nouvelles techniques de modification génétique posent question en termes de sécurité. En décembre 2016, dans son rapport d’évaluation des menaces mondiales, le directeur du Renseignement national étasunien, James R. Clapper, les a classées dans la catégorie « Armes de destruction massive ». Six mois plus tard, en mai 2017, son successeur, Dan Coats, les classe parmi les technologies « émergentes et de rupture »… et en fait la promotion.
Les techniques de modification génétique (Crispr/Cas9, méganucléases, mutagénèse par oligonucléotides…) ne font pas l’objet que d’attentions commerciales. Vantées comme bon marché et faciles à mettre en œuvre – ce qui reste très relatif –, elles inquiètent tout de même nombre d’institutions impliquées dans la « sécurité ». En France, le Conseil national consultatif sur la biosécurité publiait ainsi en février 2017 un rapport concluant notamment que la biologie de synthèse « pose la question de la possibilité de recréer de novo des microorganismes [et] (…) des virus dont la virulence et la contagiosité pourraient présenter de réels risques pour la sécurité sanitaire des populations » [1]. Aux États-Unis, on s’interroge aussi…
En 2016, les nouvelles techniques de modification génétique sont des armes de destruction massive
En 2016, James R. Clapper est le conseiller du Président des États-Unis, Barack Obama, pour les questions de sécurité nationale. À ce titre, il supervise les différentes agences de renseignement du pays et publie un rapport annuel destiné à la Commission des forces armées du Sénat des États-Unis qui liste les menaces identifiées.
En 2014 et 2015, le rapport annuel ne comporte aucune mention précise des techniques de modification génétique mais, dans l’introduction du paragraphe sur les armes de destruction massive, Clapper explique que « les technologies et matériels biologiques et chimiques […] pénètrent facilement l’économie globalisée. […] Les dernières découvertes en sciences de la vie diffusent également globalement et rapidement ».
Un début de réflexion qui aboutira, en 2016, à leur classement explicite comme armes de destruction massive, à l’instar du programme de développement d’armes nucléaires nord-coréen, de l’armement nucléaire chinois ou encore des armes chimiques syriennes et irakiennes. Le rapport précise que « la recherche sur [ces nouvelles techniques] effectuée par des pays ayant des normes réglementaires ou éthiques différentes de celles des pays occidentaux augmente probablement le risque de création d’agents ou de produits biologiques potentiellement dangereux. Compte tenu de la large distribution, du faible coût et du rythme accéléré de développement de cette technologie à double usage, son utilisation délibérée ou non intentionnelle pourrait entraîner des conséquences importantes sur le plan de la sécurité économique et nationale » [2].
En 2017, changement de personne… et de position
À la suite de sa démission fin 2016, James R. Clapper est remplacé en mars 2017 par Dan Coats, ancien sénateur de l’état de l’Indiana. Deux mois plus tard, en mai, le rapport annuel sur les menaces mondiales [3], signé Dan Coats, est rendu public. Et dans ce rapport, les techniques de modification génétique ne sont plus classées dans les armes de destruction massive mais parmi les « technologies émergentes et de rupture ». Et si l’auteur du rapport reconnaît qu’elles posent « de nouvelles questions éthiques et de sécurité », il leur porte surtout un œil favorable et considère que « le développement des technologies de modification du génome accélère le rythme auquel nous pouvons développer de nouvelles approches pour aborder les défis médicaux, sanitaires, industriels, environnementaux et agricoles et révolutionner la recherche en biologie. Néanmoins, ce rapide développement et le large spectre d’utilisation devraient constituer un défi pour les gouvernements et la communauté scientifique souhaitant développer un cadre réglementaire et éthique ou des normes pour encadrer une utilisation responsable de ces technologies ».
Promouvoir les biotechnologies, Dan Coats sait faire : en mai 2013, avec 25 autres sénateurs, il demandait déjà, dans une lettre aux secrétaires d’État à l’Agriculture et au Commerce d’alors [4] que le gouvernement des États-Unis agissent contre « les barrières commerciales sur les cultures dérivées des biotechnologies qui impactent tant les agriculteurs américains que les consommateurs à l’international pour qui ils travaillent ». Pour lui, « les réglementations asynchrones, les politiques de tolérance zéro et les requis de réautorisation sont parmi les obstacles réglementaires les plus répandus et coûteux ». En clair, des refus de cargaisons étasuniennes à cause d’un OGM non autorisé dans le pays importateur, même à l’état de traces, ne devraient plus avoir lieu comme ce fut le cas en Europe avec le riz LL par exemple ou en Chine avec le maïs Viptera [5].
En novembre 2016, c’est au Président des États-Unis, Barack Obama, que le sénateur écrit [6]. Il souhaite réaffirmer la nécessité de s’assurer que « la Chine maintienne et adhère à un système d’autorisation des produits issus des biotechnologies agricoles basé sur la science ». Cette déclaration intervient dans un contexte où les États-Unis augmentent encore leur pression sur les autres pays pour ouvrir leur marché aux biotechnologies agricoles comme en témoigne la position défendue par le secrétaire d’État au Commerce, Robert Lighthizer [7]. Pour le sénateur, « quand le gouvernement chinois échoue à être transparent, à utiliser la science et à respecter ses délais de décision, cela impacte la capacité des agriculteurs [étasuniens] à avoir accès au marché chinois mais également leurs capacités à utiliser les meilleures technologies agricoles innovantes dans leur champs [aux États-Unis] ».
Considérer ces technologies comme armes de destruction massive ne colle pas avec la vision politique que défend depuis plusieurs années ce nouveau conseiller. Malgré ce « déclassement » plus que discret, le sujet continue de retenir l’attention du monde de la sécurité aux États-Unis. Fin août 2017, un rapport intermédiaire devrait sortir, émanant des Académies de sciences, visant à évaluer le changement de nature des menaces biologiques à l’ère de la biologie de synthèse. Une évaluation destinée à « assister le Programme de défense chimique et biologique du ministère étasunien de la Défense » et pour laquelle une consultation publique est en cours [8]. Inf’OGM rendra compte du contenu de ce rapport intermédiaire.
Mais on peut d’ores et déjà constater que les techniques de modification génétique posent la question d’un risque d’utilisation pour élaborer des armes. La position de Dan Coats suggère que ce risque ne doit pas remettre en question leur développement commercial. Cette confiance aveugle à pouvoir gérer ce risque laisse pantois…
[1] , « France : un rapport officiel craint une utilisation malveillante des nouveaux OGM », Inf’OGM, 1er août 2017
[2]
[3]
[4] http://www.bio.org/media/press-release/key-senators-urge-usda-ustr-address-ag-biotech-barriers-trading-partners
[5] , « La Chine ne veut pas se faire envahir par les OGM », Inf’OGM, 22 janvier 2014
[6] http://www.agriculture.senate.gov/imo/media/doc/11-15-16%20JCCT%20Senate%20Letter%20to%20POTUS.pdf
[7] , « États-Unis : l’arme de la « science » pour ouvrir les marchés aux OGM », Inf’OGM, 23 juin 2017