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BRESIL – Le moustique OGM attend finalement la validation de l’agence sanitaire

Par Christophe NOISETTE

Publié le 16/04/2016

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“Jeudi” 10 avril 2014, le Brésil a autorisé la dissémination commerciale dans l’environnement du moustique Aedes aegypti transgénique (OX513A) de l’entreprise britannique Oxitec. Ce moustique transgénique stérile est censé permettre de lutter contre la dengue, une maladie qui fait encore de nombreuses victimes dans les pays tropicaux. Mais c’est aussi et surtout le premier animal transgénique qui est autorisé en vue d’être disséminé à grande échelle dans l’environnement. D’autres animaux génétiquement modifiés ont déjà été autorisés commercialement : des poissons transgéniques fluo, nommés Glofish [1] et Night Pearl [2], destinés à un usage décoratif en aquarium et depuis novembre 2015, un saumon transgénique aux États-Unis [3].

Le 10 avril 2014, la Commission brésilienne en charge des OGM, la CTNBio, a autorisé [4] (à 16 voix contre une [5]) le premier insecte transgénique à être disséminé dans l’environnement.

La dengue est une maladie qui touche un peu plus de 120 000 brésiliens chaque année [6] et pour laquelle il n’existe pour le moment ni vaccin [7] ni traitement. Cependant, cette maladie n’est pas toujours fatale, loin de là. La diminution des cas de dengue dans certaines régions montre qu’une lutte préventive est possible. Ainsi à la Réunion, île africaine sous dépendance française, la dengue a chuté drastiquement, sous l’influence de politique de santé publique et d’actions de lutte antivectorielle. En effet, le fait de supprimer tous les points d’eau stagnante à proximité des habitations permet de limiter la prolifération du moustique porteur du virus… D’autres part, l’OMS le souligne aussi : « la détection précoce et l’accès à des soins médicaux adaptés permettent de ramener les taux de mortalité en dessous de 1% » [8].

Cependant, d’autres stratégies ont été proposées et sont sur le point d’être commercialisées. Ainsi, Oxitec, une entreprise britannique en étroite relation avec Syngenta, propose des moustiques transgéniques stériles qui permettraient de « contrôler » la population des moustiques vecteurs. Des essais en champs ont été réalisé par Oxitec : 6000 moustiques GM lâchés en Malaisie en 2010 [9], trois millions de moustiques GM dans les îles Caïmans [10] et plusieurs essais au Brésil. Curieusement, les essais prévus en Floride (États-Unis) n’ont jamais eu lieu… Au Brésil, la première autorisation commerciale pour ces moustiques GM vient donc d’être accordée.

La CTNBio au Brésil, à la différence du Haut conseil sur les biotechnologies en France, ne se contente pas d’évaluer les demandes d’autorisation : elle est décisionnaire. Pour que cette autorisation soit effective, elle doit être publiée au Journal officiel et à l’instar du catalogue des variétés pour les plantes génétiquement modifiées, ce moustique GM doit être enregistré par l’Anvisa, l’agence nationale de surveillance sanitaire. Mais d’après Gabriel B. Fernandes, de l’AS-PTA, une ONG qui défend l’agriculture familiale au Brésil, cette agence ne peut qu’exécuter les décisions de la CTNBio. Or, contre toute attente, le 12 avril 2016, l’Anvisa [11] a décidé de se saisir du dossier et d’évaluer « la sécurité et l’efficacité » de ce nouvel outil de la lutte anti-vectorielle. Ce n’est qu’au terme de cette évaluation que l’Anvisa décidera (ou non) d’autoriser commercialement ce moustique. Cependant, l’Anvisa a délivré à Oxitec une autorisation temporaire pour permettre à l’entreprise de réaliser d’autres lâchers « expérimentaux » de ces moustiques transgéniques.

L’Anvisa précise aussi, dans son communiqué de presse, qu’elle travaille actuellement à la mise en place d’un cadre règlementaire afin d’évaluer ce genre de « produits » [12].

La demande d’Oxitec avait été déposée en juillet 2013. L’entreprise Oxitec travaille sur ce projet en partenariat avec l’Université de São Paulo (USP) et l’organisation sociale Moscame. Une usine a déjà été mise en place dans la ville de Juazeiro (état de Bahia) laquelle a produit des milliers de moustiques transgéniques depuis 2011. Les moustiques sont donc prêts à être lâchés en nombre dans les provinces brésiliennes…

Dans son communiqué de presse [13], l’agence brésilienne précise qu’elle a « identifié la nécessité de surveiller les populations sauvages du moustique Aedes albopictus [14], un autre vecteur de virus de la dengue, en raison du risque que cette espèce occupe la niche écologique laissée par l’élimination de Aedes aegypti ». Ceci n’est pas pour rassurer les associations qui demandent plus de transparence et de rigueur dans le suivi des essais passés en champ.

Une autorisation prise à la légère ?

Cette décision inquiète de nombreuses organisations, écologistes, agricoles, sociales, etc. Pour elles, le dossier est lacunaire : aucun plan de suivi post-commercial n’est fourni par l’entreprise, et les soi-disant « résultats probants » des essais en champs (commencés en février 2011) n’ont pas été publiés. De plus, la procédure d’autorisation n’est pas respectée : le public n’a pas été correctement consulté. D’autre part, pour Gabriel Fernandes, « il n’y a aucune donnée qui montre que les moustiques GM réduisent l’incidence de la dengue » [15]. Par ailleurs, selon les organisations de la société civile, les essais réalisés avec ce même moustique GM, dans les îles Caïmans, ont montré que la technologie n’était pas effective, et qu’il faudrait plus de sept millions de moustiques GM stériles, par semaine, pour avoir une chance de supprimer une population sauvage de seulement 20 000 moustiques [16]… Oxitec doit se frotter les mains devant un marché captif aussi prometteur. D’ailleurs, il avait déjà été rapporté que la stérilité de ces moustiques n’était pas absolue : « en présence d’un antibiotique très répandu, la tétracycline, leurs progénitures ont un taux de survie de 15% environ et leur descendance sont capables d’atteindre l’âge adulte. (…) Et ces moustiques GM peuvent survivre, même sans la présence de tétracycline, à hauteur de 3%, ce qui engendrerait une impossibilité totale de contrôle de ces lâchers de plusieurs milliers de moustiques GM » [17]. Enfin, si le ministère de la Santé brésilien parle d’éradication, Oxitec, dans son communiqué, est plus prudent. Suite aux essais menés dans les îles Caïmans, l’entreprise estime que cette technologie ne devrait faire baisser la population de moustiques que d’environ 80%.

L’AS-PTA nous confiait aussi que « ce moustique a été classé en risque biologique II, mais les études menées en suivant les règles de la CTNBio correspondent au niveau I », niveau moins fort de risques. Aucune justification n’a été fournie pour expliquer ce subterfuge inquiétant.

Des impacts sur l’immunité à effets retardés

Les ONG mentionnent encore dans leur critique qu’Oxitec n’a pas pris en compte le fait que la technique, si elle est partiellement ou temporairement efficace, peut engendrer des effets graves sur l’immunité humaine. Deux cas ont été envisagés par les ONG critiques vis-à-vis de ce projet.

Premier cas : si le lâcher de moustiques GM est efficace temporairement, alors l’immunité humaine contre la dengue peut baisser et entraîner des dégâts au moment d’un retour de la dengue (ce qu’on appelle l’effet rebond). Ce risque à long terme ne semble pas trop poser de problème car l’efficacité de ces lâchers est loin d’être prouvée…

Second cas : si l’efficacité n’est que partielle, le risque est encore plus grand. Tout d’abord, il faut savoir qu’il existe cinq sérotypes de la dengue, certains mortels, d’autre moins. Or, dans les zones où la dengue est endémique, plusieurs sérotypes se côtoient. La recherche académique soutient qu’une personne infectée par un sérotype, puis, ultérieurement, par un second, a un risque plus grand de contracter une forme la plus grave de la maladie, potentiellement létale, de la dengue : la dengue hémorragique. De plus, dans les zones où les risques de transmissions sont élevés, et donc là où les personnes sont piquées très souvent, une succession rapide de deux piqûres par deux sérotypes différents peut favoriser le développement d’une immunité croisée. Ainsi, pour Helene Wallace, de GM Watch, réduire seulement partiellement la fréquence de piqûres de moustiques peut réduire cette acquisition d’immunité croisée. Or, l’approche transgénique n’est pas efficace à 100%, soutient-elle. Donc lâcher des moustiques GM ne permettra pas d’éliminer la population des moustiques vecteurs, mais simplement réduire, de fait, le nombre de morsures… entraînant de facto une baisse de l’immunité croisée. « Ce risque n’a pas été pris en compte dans les évaluations faites par Oxitec, bien qu’il soit mentionné dans les projets d’évaluation des risques dans les demandes d’essais en Floride ». Mais, ajoute H. Wallace, si en Floride il n’existe pas de dengue endémique, il n’en va pas de même au Brésil… où paradoxalement ces impacts n’ont pas été étudiés. Impossible donc d’estimer les risques.

Comme pour la faim dans la monde, l’éradication des grandes épidémies ne se fera pas à l’aide d’une simple technique. Ce sont des politiques agricoles, pour l’une, et sanitaires, pour l’autre, qui auront des réels impacts. Certes, mais pourquoi ne pas cumuler les deux stratégies, répondront les partisans des modifications génétiques… D’une part, car les ressources utilisées par les pouvoirs publics pour l’achat et la gestion de plusieurs milliers, voire millions de moustiques GM, ne pourront pas être mises dans d’autres secteurs… D’autre part, selon certaines ONG comme les Amis de la Terre par exemple, les biotechnologies créent des monopoles et concentrent la richesse, deux facteurs qui minent l’efficacité des politiques publiques de lutte contre la pauvreté.

[5D’après l’AS-PTA, le membre qui a voté contre a expliqué son vote négatif pendant une heure et demie, mais toutes les lacunes et les critiques qu’il a exposées ont été ignorées de ses collègues. Ils ont voté oui, sans poser de questions

[6Selon l’OMS, au 28 mars 2008, les autorités sanitaires brésiliennes avaient fait état au total de 120 570 cas de dengue, dont 647 cas de dengue hémorragique, et de 48 décès

[11portal.anvisa.gov.br/wps/content/anvisa+portal/anvisa/sala+de+imprensa/menu+-+noticias+anos/201616/anvisa+decide+que+mosquito+transgenico+e+objeto+de+regulacao++sanitaria

[12L’Anvisa a donc lancé un programme sur deux ans intitulé « évaluation des macro-organismes à des fins de lutte biologique des vecteurs et des agents pathogènes dans l’environnement urbain »

[13cf. note 1

[14Le fameux moustique tigre plus invasif et porteur de plus de maladies

[16Winskill P, Harris AF, Morgan SA, et al. (2014) Genetic control of Aedes aegypti : data-driven modelling to assess the effect of releasing different life stages and the potential for long-term suppression. Parasites & Vectors 7(1):68.)

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