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Nations unies – Seules « la démocratie et la diversité » permettront de lutter contre la faim dans le monde

Par Christophe NOISETTE

Publié le 28/03/2014

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Dans un nouveau rapport publié début mars 2014, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter [1], a appelé « à une réforme des systèmes alimentaires mondiaux et à leur démocratisation, afin de garantir le droit de l’homme à une alimentation adéquate et de progresser vers l’éradication de la faim » [2]. Il n’y a pas de fatalité, et l’éradication de la faim, estime-t-il, est un « objectif réalisable ». Mais pour parvenir à sa réalisation, il faut, dit-il, inverser complètement la tendance actuelle, à savoir « la quête unidimensionnelle d’une plus grande production de nourriture ».

Dans un premier temps, le rapporteur fait un certain nombre de constats pour lesquels « un large consensus » existe.

Premièrement, le nombre de personnes sous-nourries a diminué au cours des dernières décennies, passant de 1,015 milliard en 1990 / 1992 (soit 19 % de la population mondiale) à 842 millions de personnes en 2011 / 2013 (soit 12% de la population mondiale, alors que dans le même temps, cette population s’est accrue de deux milliards d’individus). Deuxièmement, les personnes qui souffrent de problèmes de nutrition sont largement plus nombreuses : on compte ainsi deux milliards de personnes qui présentent des déficiences en vitamines et en minéraux indispensables à une bonne santé, et en 2008, on comptait 1,4 milliard d’adultes en surpoids (dont 400 millions considérés comme obèses). Autrement dit, c’est plus de 50 % de la population mondiale qui a une alimentation à risques. Troisièmement, dans les politiques contre la faim, « l’accent [est] mis exclusivement sur l’augmentation de la production agricole », ce qui a engendré « de graves conséquences pour l’environnement ». Il cite l’exemple de la « révolution verte » qui a « conduit à une extension des monocultures », réduit de façon importante la biodiversité agricole et entraîné une érosion accélérée des sols et la pollution des eaux potables du fait d’une utilisation importante des engrais chimiques. Quatrième constat : la demande en viande va encore augmenter. Or, affirme-t-il, « une telle croissance n’est absolument pas soutenable. Dans le monde, plus d’un tiers des céréales sont déjà utilisées pour l’alimentation animale ». En effet cette production augmente la pression sur les terres agricoles et sa consommation excessive contribue à des maladies chroniques. Inf’OGM rappelle aussi qu’actuellement les OGM servent principalement à nourrir le bétail étasunien, européen mais aussi (et de plus en plus) chinois [3]. Cependant l’auteur estime qu’« il existe des modes durables de production de viande » qui peut alors devenir une source intéressante de protéines. Cinquième constat, « l’augmentation de la production a largement dépassé la croissance de la population au cours de la période allant de 1960 à 2000 ». Cependant les choix technologiques et politiques, à savoir, entre autre, une production spécialisée régionalement, une production d’une gamme étroite de produits de base et un commerce international, ont fait que « les bénéfices sont allés essentiellement aux grandes unités de production et aux grands propriétaires terriens, au détriment des petits producteurs et des travailleurs sans terres ; en conséquence, les inégalités se sont accrues dans les zones rurales et les causes profondes de la pauvreté n’ont pas été traitées ». Et dans les années 80, les politiques d’ajustement structurel et le désengagement des États ont eu un impact désastreux sur la pauvreté et la sous-alimentation. Les économistes libéraux s’attendaient « à ce que la libéralisation du commerce et la suppression du contrôle des prix encouragent les investissements privés, compensant la réduction des aides de l’État. Or, la surproduction dans les secteurs agricoles fortement subventionnés des pays riches a exercé une pression à la baisse sur les prix agricoles, dissuadant les investissements privés dans l’agriculture des pays en développement. Ces investissements, quand ils ont eu lieu, sont allés à un petit nombre de cultures commerciales destinées aux marchés d’exportation ».

Ce qui choque le plus quand on analyse de près les chiffres de la faim, c’est que la population qui en souffre le plus est issue des familles de paysans sans ressources. Le paradoxe est dénoncé depuis des décennies, mais « les systèmes alimentaires actuels ne sont efficaces que du point de vue de l’optimalisation des profits de l’agro-industrie ». Pour De Schutter, la question centrale est d’ordre politique et démocratique, non technique. Il écrit en effet : « Le plus grand déficit dans l’économie alimentaire est d’ordre démocratique. Si nous misions sur les connaissances des gens et si leurs besoins et préférences étaient mieux pris en compte dans l’élaboration de politiques alimentaires à tous niveaux, la transition vers des systèmes alimentaires durables s’en trouverait grandement facilitée ».

Dans ce nouveau rapport, il propose donc de repartir des gens pour établir, étage par étage, les conditions d’une démocratie alimentaire. Si tous les niveaux – local, régional, national et international – sont à mobiliser, c’est seulement à partir des villages, et de façon ascendante, qu’une politique de sécurité alimentaire durable pourra s’établir. Ainsi, premier niveau : le renforcement des capacités des petits agriculteurs, notamment favorisant « des investissements prioritaires dans des formes d’agriculture agroécologique qui contribuent à la réduction de la pauvreté ». Des villages en lien avec des villes, car, rappelle-t-il, d’ici 2050, deux tiers des êtres humains vivront en milieu urbain. Ainsi, « il est essentiel que ces villes identifient les difficultés logistiques et les points de tension de leurs chaînes d’approvisionnement alimentaire et qu’elles développent un ensemble de canaux d’approvisionnement en denrées alimentaires, conformes aux souhaits, aux besoins et aux idées de leurs habitants ». Et c’est possible. Dans différents pays du monde, des tentatives de rétablir « le lien entre les consommateurs urbains et les producteurs alimentaires locaux, tout en diminuant la pauvreté rurale et l’insécurité alimentaire » existent et doivent être encouragées, diffusées…

Ensuite vient le niveau national… Il s’agit de définir des politiques cohérentes, et adaptées aux différents contextes. Cela peut être de faciliter l’émergence de circuits courts, de réduire la dépendance aux importations, de favoriser la création de coopératives dans le cadre d’une agriculture contractuelle… Ces politiques ne fonctionneront que si elles sont « élaborées conjointement par les partenaires concernés, y compris les groupes les plus touchés par la faim et la malnutrition [et que] leur mise en œuvre [fasse] l’objet d’un contrôle indépendant ».

Enfin, le niveau international, car « l’action menée à l’échelle nationale doit, elle aussi, pouvoir se fonder sur un appui international pour porter ses fruits ». Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) est un organe qui peut aider à relever les défis posés aux systèmes alimentaires, car c’est « le seul à faire entrer la participation et la démocratie dans l’arène de la gouvernance mondiale et à permettre de confronter les unes aux autres différentes visions de la sécurité alimentaire ». C’est donc aux autres organes internationaux – comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – de s’aligner sur la démarche du CSA. Autre aspect important au niveau international : les pays en développement doivent pouvoir compter sur les pays « riches ». Ces derniers doivent donc, eux aussi, engager des réformes importantes, substantielles et notamment « rompre avec les politiques agricoles tournées vers l’exportation et permettre au contraire aux petits agriculteurs des pays en développement d’approvisionner les marchés locaux », et ne pas accaparer les terres agricoles mondiales. Ceci implique donc un changement radical dans nos pratiques alimentaires : maîtriser la demande et réduire les gaspillages alimentaires. Car la FAO avait estimé dans un rapport publié que 50 % de la nourriture produite étaient gaspillée [4].

Le rapporteur ne mentionne pas les plantes génétiquement modifiées. Cependant, la vision qu’il propose semble incompatible avec le développement de cette technologie. Il soutient l’innovation, mais combat le productivisme. Ainsi, il affirme que l’agro-écologie est « compatible avec l’amélioration génétique (les deux étant complémentaires) telle que la pratiquent les centres de recherche du GCRAI (précédemment connu sous le nom de Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale) à travers la sélection assistée par marqueurs, et telle que l’ont pratiquée des générations d’agriculteurs cultivant des variétés locales ». Or, les plantes transgéniques sont une rupture avec ce qu’ont pratiqué ces agriculteurs. La création de telles variétés nécessite de mobiliser d’énormes capitaux, implique une vision hiérarchique de l’agriculture, et actuellement, notamment avec les variétés tolérantes aux herbicides, entraîne des frais d’intrants que les agriculteurs cherchent au contraire à limiter. A l’opposé, citant un rapport consacré à l’accès à la terre, le rapporteur souligne « qu’il fallait soutenir les circuits de semences paysannes menacés par les politiques publiques centrées presque exclusivement sur les variétés à haut rendement qui donnent certes de très bons résultats dans certaines conditions bien précises, mais s’avèrent souvent plus coûteuses et moins adaptées à certains écosystèmes agricoles spécifiques ».

En conclusion, optimiste, l’auteur déclare : « L’élimination de la faim et de la malnutrition est un objectif réalisable », mais ceci passera non par une solution technique miracle mais par une ré-orientation en profondeur des économies locales, nationales et internationales et une modification de nos pratiques, si ce n’est de notre culture encore trop empreinte de productivisme.

[1Le deuxième mandat du rapporteur se termine aujourd’hui, vendredi 28 mars. Son successeur n’a pas encore été nommé à l’heure où nous publions cet article

[4Christophe NOISETTE, « Des OGM pour nourrir le monde ? : Une mauvaise réponse technique à un problème politique », Inf’OGM, 13 novembre 2009, p.22. On peut notamment lire : « Au Royaume-Uni, l’équivalent de 30 milliards d’euros de nourriture partent à la poubelle chaque année, soit le montant de l’aide internationale annuelle accordée par le pays »

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