Argentine : la culture de soja OGM qui rend malade
L’Union européenne importe massivement des protéines végétales, notamment du soja, pour nourrir les animaux d’élevage. Or, une grande part de ces importations provient d’Amérique du sud et est très souvent génétiquement modifiée [1]. Alors que la récente étude du professeur Séralini questionne l’innocuité des OGM sur la santé, l’association des Mères d’Ituzaingo [2] interpelle sur d’autres effets de la culture d’OGM : ceux occasionnés par les applications massives, souvent aériennes, de Roundup, notamment sur les femmes enceintes.
Inf’OGM : Qui sont les mères d’Ituzaingo ? Quel est votre combat ?
Nous sommes Sophia Gatica et Maria del Milagro Goday, nous faisons partie des Mères d’Ituzaingo. Ituzaingo, c’est le nom de notre ville, en Argentine, dans la région de Cordoba.
Il y a quelques années, j’ai (Sophia) perdu ma fille, née trois jours auparavant, à cause d’une malformation aux reins. J’ai commencé à me poser des questions, à interroger mes voisins. C’est à ce moment que je me suis rendue compte que notre quartier était très touché par des cancers, que beaucoup d’enfants naissent avec des problèmes de santé, de graves malformations (enfants nés sans mâchoire, avec un sixième doigt…). Plusieurs mères ont alors décidé de se réunir pour essayer de comprendre pourquoi nos enfants étaient malades, pour interpeller les autorités publiques sur notre sort, demander que des études soient réalisées pour expliquer la situation et surtout trouver des solutions pour y remédier.
Inf’OGM : Quel est le lien entre les OGM et ces maladies que vous avez constatées ?
Une étude réalisée par l’Université de Buenos Aires a confirmé les enquêtes que nous avons menées en faisant du porte à porte, à savoir que dans notre ville, le taux de cancer est de 41% plus élevé qu’au niveau national. Cette étude met également en évidence le lien fait avec les cultures de soja transgénique, toutes proches de nos habitations et l’utilisation en grande quantité de glyphosate, associée à cette culture. D’après des études réalisées, plus de 80% des enfants ont, dans le sang, des traces de produits chimiques utilisés par l’agriculture. La culture intensive du soja a également des conséquences importantes sur notre environnement : déforestation, utilisation massive de nos ressources en eaux, pollution, érosion et dégradation du sol. Le gouvernement a essayé d’étouffer les conclusions de cette étude, nous avons même reçu des menaces, des appels téléphoniques anonymes qui visaient la vie de nos enfants si nous ne mettions pas un terme à notre enquête. Mais face à notre détermination, face à nos manifestations, a finalement été instauré un périmètre interdisant les épandages à moins de 500 mètres des maisons. Une première victoire mais tellement insuffisante, quand un périmètre minimum de 1500 mètres serait nécessaire. Cette interdiction n’a jamais été respectée.
En 2004, nous avons déposé une plainte contre deux agriculteurs et un aviateur qui ont fait des épandages de glyphosate et d’endosulfan près de notre quartier, tout à côté de nos maisons, alors même que cela est interdit.
Après de très longues années de procédure, la condamnation vient de tomber : seuls deux des trois prévenus ont été jugés coupables et condamnés à des peines que nous jugeons dérisoires : trois ans de prison avec sursis pour l’un et des travaux d’intérêt général pour l’autre.
Cette décision est d’autant plus décevante pour nous, que la présidente du pays, Mme Kirchner, vient d’accepter le projet de Monsanto de construire une usine de maïs dans la région de Cordoba.
Nous espérons quand même que cette décision dissuadera les agriculteurs d’utiliser ce produit mais surtout de le faire à côté de nos maisons, à côté de là où nos enfants jouent. Sursis et travaux d’intérêt général contre la vie de nos enfants, nous ne pouvons accepter cela, même si nous savons que cette décision constitue une première en la matière. Nous n’en resterons pas là. Notre combat continue !
La Commission européenne répond : c’est de votre faute !
En septembre 2012, s’est tenue la Conférence des régions sans OGM à Bruxelles, au Parlement européen. Les mères d’Ituzaingo ont pu interpeller la Commission européenne en s’adressant à M. Poudelet, Directeur de la Direction sécurité de la chaîne alimentaire, au sein de la Direction Générale de la Santé et des Consommateurs (DG SANCO), sur la situation en Argentine due à la culture d’OGM [3]. Pour M. Poudelet, en ce qui concerne la question de la santé, il faut bien faire la différence entre les OGM que l’on consomme et la façon de produire ces OGM. Or, selon lui, la situation en Argentine résulte des conditions d’application « peu satisfaisantes » du glyphosate, le principe actif du Roundup, très souvent associé aux PGM : les doses appliquées sont souvent bien supérieures aux doses recommandées, et les méthodes d’épandage par avion, souvent très proches des habitations, contribuent également à cette situation. Pour la Commission européenne, les OGM sont donc loin d’être responsables de cette situation… Une réponse inacceptable aux yeux des « madres ». Pour elles, les OGM sont bien le fruit d’un système agricole intensif dans lequel les pesticides ont toute leur part à jouer. Un système à grande échelle dans lequel l’Europe a aussi une part de responsabilité. Frileuse d’avoir des cultures sur son territoire, elle n’hésite en revanche pas à importer massivement de quoi nourrir son bétail, avec, pour une grande part, du soja GM. Des enfants malades en Argentine ? C’est à ce prix que nous mangeons de la viande en Europe [4]. Et si les méthodes de productions sont vraiment « peu satisfaisantes », qu’en est-il des produits qui en résultent ? Dans quelle mesure sont-ils sûrs, y compris pour l’alimentation animale pour laquelle ils sont largement destinés ?
[1] , « Dépendance en protéines végétales et OGM : des collectivités s’engagent pour en sortir », Inf’OGM, 14 septembre 2010
[3] Pour voir la conférence : http://www.greenmediabox.eu/archive/2012/09/05/gmo-free/. (question des mères Partie I à 01.11.57, réponse de M. Poudelet à 01.21.57)
[4] cf. « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » : Candide, Voltaire