De nouvelles techniques de biotechnologie pour échapper à la loi sur les OGM ?
En 2008, la Commission européenne demandait à un groupe d’experts de définir si les nouvelles techniques de transformation des plantes (mutagenèse, cisgenèse, etc.) conduisent à des plantes qui seront soumises à la législation sur les OGM [1]. Depuis, aucune nouvelle du travail de ce groupe… jusqu’à février 2011, avec un rapport intermédiaire. Au vu de ce rapport, il semble que les experts recommanderont que beaucoup des plantes issues de ces nouvelles techniques ne soient pas soumises à la législation OGM… Analyse de ce possible tour de passe-passe.
En 2008, la Commission européenne (CE) demandait à un groupe d’experts d’étudier huit nouvelles techniques de biotechnologie et d’établir si ces techniques appliquées aux plantes et / ou aux micro-organismes donnaient ou non des organismes devant être gérés selon la directive 2001/18 (cf. encadré). Et donc, si ces produits obtenus allaient ou non subir les mêmes traitements (évaluations des risques, étiquetages, surveillance des cultures et des filières et autre devoir d’informations du public) que les OGM obtenus par transgenèse. Trois années après avoir été constitué, le groupe d’experts n’a toujours pas rendu de rapport final et les informations sur les avancées de ses travaux ont été quasi inexistantes. Mais une question sur les critères d’évaluation posée par la CE à l’AESA en février 2011 était accompagnée du rapport intermédiaire de la saisine de 2008 dévoilant les tendances du moment [2]. Bien qu’inaccessible aujourd’hui sur le site de l’AESA, ce rapport intermédiaire a été récupéré par Inf’OGM, qui le commente dans cet article. En mai 2011, le Centre Commun de Recherche (CCR) de l’Union européenne a également publié un rapport sur le sujet [3] qui n’est pas toujours d’accord avec le rapport intermédiaire du groupe d’experts.
Selon leur classement, ces PGM non différentiables seront commercialisées ou abandonnées
Les nouvelles techniques de biotechnologie serviront à mettre au point des plantes possédant de nouvelles caractéristiques. Mais leur développement commercial semble, pour les entreprises, être conditionné à leur classification légale en tant qu’OGM ou non. Ainsi que l’écrit le CCR, « les plantes les plus avancées pourraient arriver sur le marché à moyen terme (deux, trois ans) dans le cas où ces techniques ne sont pas classées comme donnant des OGM » ! De leur côté, les experts réunis au sein du groupe européen sur le sujet notent que considérer ces techniques comme donnant des OGM serait « problématique » puisque allongeant la procédure et le coût d’obtention d’une autorisation de commercialisation. Les experts expliquent d’ailleurs que « les entreprises de biotechnologies et les obtenteurs ont exprimé leur souci […] de ne pas continuer plus avant dans le développement commercial des nouvelles techniques lorsqu’elles auront été considérées comme sujettes à [la législation OGM] ou s’il n’est pas clair si elles y sont sujettes ou non ». Pour le CCR, « les principales contraintes à leur adoption sont l’incertitude législative et le fort coût potentiel de l’évaluation des risques et de leur enregistrement (si les plantes obtenues par ces techniques sont classées OGM) ». Il précise que « ces plantes sont pour la plupart non différentiables de celles obtenues conventionnellement, leur détection n’est donc pas possible ».
Une définition des OGM à multiples critères
Huit techniques sont au centre de toutes les attentions (cf. tableau). Ces techniques ne sont pas toutes équivalentes même si elles permettent toutes de modifier le génome des plantes pour leur faire acquérir des caractéristiques intéressantes commercialement. Pour répondre à la question posée, les experts sont partis de la définition légale d’un OGM telle que donnée par la directive 2001/18, en utilisant la liste des techniques conduisant à une modification génétique (Annexe 1A part 1 de la 2001/18), la liste de celles n’y conduisant pas (Annexe 1A part 2) et la liste de celles y conduisant mais spécifiquement exclue de la législation (Annexe 1B, cf. encadré page 6). Mais ce travail, technique par technique, a nécessité que les experts se mettent préalablement d’accord sur l’interprétation des termes de la définition d’un OGM.
Au regard de cette définition et des annexes, le rapport montre que les opinions au sein du groupe pour chacun des points abordés ne sont pas unanimes (cf. tableau). Les experts ont en effet découpé la définition afin d’établir les critères retenus pour juger du caractère OGM ou non de chaque technique. Par exemple, ils ont discuté pour savoir s’il fallait considérer la technique ou les seuls produits finaux obtenus (certaines techniques conduisant à des OGM non différentiables d’organismes obtenus par des techniques conventionnelles) ; si la notion de matériel héréditaire impliquait un héritage de fait potentiel ; ou encore si la notion d’organisme correspondait strictement à une « entité capable de se répliquer et de transférer du matériel génétique ». Les réponses apportées ne sont pas binaires et la suite du rapport montre surtout qu’un seul point peut suffire à remettre en question la notion d’OGM.
Peu de techniques donnent des plantes soumises à la législation OGM
Nous ne présenterons pas ici le principe et les questions soulevées par chacune de ces techniques, une brochure Inf’OGM dédiée à ce sujet dans une version grand public étant prévue pour l’automne 2011. Mais force est de constater que, selon le rapport intermédiaire des experts, sur les huit techniques, il y en aurait peu qui devraient être soumises à la législation OGM.
Les avis sont donc encore très partagés entre experts. Principalement car, comme nous l’avons vu, la liste des critères retenus pour répondre à la question de la nature GM ou non GM n’est pas un ensemble exclusif. Ainsi, la méthylation de l’ADN est vue par certains comme une modification génétique car faisant intervenir un acide nucléique préparé à l’extérieur de la plante et pouvant se propager. Mais pour d’autres, aucune modification de la séquence ADN de la plante n’ayant eu lieu, ce n’est pas une technique donnant un OGM. Certains experts considèrent aussi que la descendance de ces plantes est à qualifier d’OGM car obtenue d’une plante modifiée par une technique utilisant un acide nucléique recombinant…
La date de livraison du rapport final des experts n’est pas encore connue. Mais de leur rapport intermédiaire ainsi que du rapport du CCR, il apparaît que plusieurs techniques devraient donner des produits non soumis à la législation européenne : soit parce que non GM soit parce que spécifiquement exclus de la législation. Surtout, les annonces dans les deux rapports que le développement commercial des plantes issues de ces techniques est conditionné justement à ce qu’elles ne soient pas considérées comme OGM montrent que les critères scientifiques, contrairement aux habitudes du passé, ne sont plus les seuls éléments pris en considération. Ce qui rejoint d’ailleurs les demandes de la société civile à ce que les critères socio-économiques, entre autres, soient intégrés dans les évaluations conduites. Mais le risque est que ces définitions présentées comme « scientifiques » remplacent la réflexion socio-économique plutôt que de lui servir de base. Il est enfin toutefois peu rassurant de penser qu’un non assujettissement à la législation OGM entraînerait semble-t-il une moindre évaluation…
Ce nouveau dossier vient renforcer un programme déjà bien chargé pour 2012 sur les OGM, avec une évaluation complète de la législation européenne, et une refonte des lignes directrices d’évaluation des risques.
[2] Pour le mandat n°M-2011-0062 de la CE à l’AESA : [3] « New plant breeding techniques, State-of-the-art and prospects for commercial development », mai 2011, 220 p. http://ipts.jrc.ec.europa.eu/public…