Sélection Assistée par Marqueur : avec ou sans transgenèse ?
SAM pour Sélection Assistée par Marqueur. Un acronyme qui a récemment fait son apparition dans le paysage médiatique des biotechnologies. Souvent présentée comme une alternative technologique aux PGM, une analyse plus poussée montre que la SAM et la transgenèse n’interviennent pas à la même étape dans le processus de génération de nouvelles plantes. Nous allons voir que ce qui détermine les avantages de la Sélection Assistée par Marqueurs réside de fait dans la technique de sélection utilisée. Et cette dernière peut être une sélection conventionnelle, une mutagénèse et même une transgenèse. Explication de texte.
Trouver des gènes et trier des plantes
La SAM est une technique permettant de connaître certains caractères génétiques des plantes et non d’en modifier le patrimoine génétique. Et ce point est important ! Car la mise au point technique de variétés de plantes suit très schématiquement trois étapes : la détection de nouvelles caractéristiques (recherche), la modification d’une plante afin qu’elle acquière ces caractéristiques (expérimentation) et la mise au point de variétés commerciales ayant intégré la nouvelle caractéristique (développement). Pour cela, le paysan, lui, va d’abord repérer des plantes disposant de caractéristiques l’intéressant. Il va ensuite multiplier ces plantes ou les croiser, puis sélectionner celles qui auront les caractéristiques désirées soit dans une seule plante – lignée – soit réparties entre plusieurs plantes destinées à être cultivées ensemble – population -, avant de stabiliser la présence de ces caractéristiques au sein d’une même variété par multiplications successives.
En laboratoire, les scientifiques peuvent également effectuer une amélioration conventionnelle des plantes, par multiplication ou par croisement. Si le gène d’intérêt ne se trouve pas dans une espèce sexuellement compatible, ou plus simplement pour gagner du temps, ils peuvent aussi effectuer une amélioration par mutagenèse (par exemple par rayons ionisants, choc chimique ou thermique), par fusion cellulaire, ou encore par transgenèse… Ils peuvent ainsi utiliser des caractéristiques trouvées dans d’autres plantes ou dans le monde animal et microbien, la transgenèse n’étant nécessaire que si l’organisme portant le gène d’intérêt responsable de la caractéristique recherchée n’est pas sexuellement compatible. La SAM peut intervenir une première fois lors de cette première étape en facilitant la détection d’un gène d’intérêt, indispensable pour décider du passage ou non de la phase de recherche à la phase d’expérimentation. Pendant l’expérimentation, elle peut faciliter la vérification de la stabilité de la présence de la caractéristique recherchée.
Pour la phase de développement, les plantes contenant le gène d’intérêt (après amélioration conventionnelle, mutagenèse, ou transgenèse…) sont croisées avec d’autres plantes intéressantes commercialement afin que ces dernières héritent du caractère désiré. La SAM prend alors tout son intérêt commercial. Car les scientifiques préfèrent que la séquence d’ADN comportant le gène d’intérêt et transférée à la plante commerciale soit autant que possible limitée au gène d’intérêt. Pour cela, les croisements sont multipliés afin d’obtenir en bout de course une plante dont le génome est identique à celui de la variété commerciale, mais disposant en plus de la nouvelle caractéristique. Ce travail, appelé introgression, peut nécessiter jusqu’à sept croisements. La SAM permet de limiter à quatre croisements cette étape.
La bonne technologie au bon moment : c’est ce que pense l’économiste Jeremy Rifkin de la SAM, mais sous conditions [1] : “Si la SAM devient abordable financièrement et techniquement parlant […], et alors que la connaissance de la génomique ira grandissante, les sélectionneurs du monde entier pourront échanger sur leurs pratiques et démocratiser la technologie. Ils parlent déjà de génomique libre de droit, envisageant les échanges de gènes. Si elle est correctement utilisée comme élément d’une approche systémique et holistique plus large de l’agriculture durable, la technologie de SAM pourrait être la bonne technologie au bon moment”.
La SAM, détails techniques
Le fonctionnement de la SAM repose sur l’utilisation de certaines séquences d’ADN connues, appelées marqueurs et utilisées comme balises. Ces marqueurs sont répartis dans le génome et repérables très rapidement. Dès le départ, le gène d’intérêt, sous sa forme intègre, mutée, transgénique… présent dans le génome d’une plante est associé à des marqueurs environnants plus ou moins proches, à l’image des graduations d’une règle. En supposant par exemple que le gène d’intérêt est en position 1 d’une « règle virtuelle » d’ADN, on repère des marqueurs en position 0, 2, 3, 4… Lors de la phase de développement, c’est à dire lors du transfert du gène d’intérêt à la variété commerciale, les croisements effectués entre plantes vont aboutir aux mélanges de deux génomes. Afin de retenir les futures plantes commerciales ayant intégré le minimum d’ADN de la plante fournissant le gène d’intérêt (le bout de règle entourant la graduation 1), les scientifiques vont analyser les plantes filles afin de sélectionner celles contenant seulement un marqueur proche du gène d’intérêt (dans la zone de graduation entre 0 et 2 de la règle). Celles contenant à la fois ce marqueur ainsi que d’autres marqueurs plus éloignés (les graduations 3, 4…) ne seront pas retenues. Car seules les premières auront intégré presque exclusivement le gène d’intérêt mais peu d’autres séquences d’ADN.
L’utilité de la SAM s’explique ici car le croisement entre deux plantes ne se fait plus en prenant le pollen de l’une et en le déposant sur le pistil de l’autre pour générer des graines qui seront mises en culture. Les biotechnologies permettent aux scientifiques de travailler avec des cellules végétales qui sont ensuite multipliées pour donner des plantes. Or, lorsqu’on tente d’intégrer un gène d’intérêt par fusion cellulaire, mutagénèse ou transgenèse à des milliers de cellules végétales, il faut ensuite trier celles ayant intégré le nouveau caractère avant de les multiplier pour en faire des plantes. C’est pour cela que, dans le cas de la transgenèse, est intégré en même temps un gène de résistance à un antibiotique ou à un herbicide : ceci permet d’éliminer les cellules n’ayant pas intégré le transgène en les trempant dans un bain d’antibiotique ou d’herbicide. Lorsque la modification génétique est obtenue par mutagénèse en exposant des milliers de cellules à un facteur physique ou chimique, la seule méthode pour découvrir les mutations intéressantes était jusqu’à présent de multiplier toutes les cellules pour en faire autant de plantes : le faible pourcentage de réussite de ces mutations et leur caractère aléatoire ont réduit le développement industriel de cette biotechnologie pourtant relativement ancienne (cf. dossier “Des plantes mutantes dans nos assiettes”). Avec la SAM, on ne multiplie aujourd’hui que les cellules ayant intégré une caractéristique intéressante, ce qui permet à la mutagénèse de rejoindre les techniques de sélection industrielles.
Encore une fois, l’acquisition par une plante d’une nouvelle caractéristique n’est donc pas le fruit de la SAM mais peut se faire par sélection paysanne, croisement classique, mutagénèse, transgenèse ou toute technique d’amélioration des plantes. Une conférence de la FAO (2003) avait conclu que l’optimisation de la technique SAM résidait dans son couplage avec d’autres technologies, quelles qu’elles soient.
La SAM couplée à la transgenèse
La Sélection Assistée par Marqueurs peut être couplée à toute technique de sélection de plante comme l’amélioration conventionnelle, la mutagénèse, la transgenèse… Pour certains acteurs, l’intérêt scientifique et commercial est évident. Ainsi, en France, le Groupement National Interprofessionnel des Semence (GNIS), pour expliquer l’intérêt de la SAM, prend l’exemple de l’introgression du gène Bt chez le maïs : “A chaque génération, les plantes ayant récupéré le transgène sont sélectionnées sur la base de caractérisation à l’aide de marqueurs moléculaires” [2].
Des points de controverse ?
Dans le cas où la SAM est couplée avec une technique comme la transgenèse, toutes les questions soulevées dans le dossier des PGM restent valables. Mais si la SAM est utilisée sans transgenèse, est-elle pour autant sans risques ?
Aujourd’hui, la SAM permet d’identifier en très peu de temps les cellules ayant acquis un caractère recherché. La mutagénèse associée à la SAM s’appelle le TILLING (Targeting Induced Local Lesions IN Genone – Ciblage des Lésions Induites Localement dans le Génome) ou mutagénèse dirigée. Au-delà de l’intérêt technique, elle présente un autre avantage essentiel : ces plantes n’étant pas juridiquement considérées comme des PGM, leur commercialisation n’est pas soumise aux mêmes contraintes d’étiquetage ou d’évaluation d’impacts sur la santé ou l’environnement. Protégée par un Certificat d’Obtention Végétale qui, contrairement au brevet, n’oblige pas d’indiquer le procédé d’obtention, les plantes ainsi génétiquement modifiées peuvent alors être vendues comme des plantes traditionnelles.
Les avantages de la SAM sont liés au surcroît d’efficacité qu’elle donne aux techniques de sélection de variétés de plantes. Comme pour toutes techniques de sélection visant la performance, l’utilisation de la SAM a aussi pour conséquence une réduction importante des variétés utilisées et donc une perte de biodiversité agricole certaine, les semenciers commercialisant moins de variétés pour profiter d’importants retours sur investissement (cf. débat contradictoire, Guy Kastler, p.7).
Des questions économiques et sociales se posent également. Car comme l’a souligné une conférence de la FAO [3], cette technologie coûte cher et conduit à l’octroi de brevets pour des outils comme les marqueurs ou des protocoles de sélection. Les coûts liés aux matériels et produits biologiques posent la question de leur rentabilité et surtout de leur accessibilité pour les pays en voie de développement. Or, aucune analyse économique n’a été conduite afin de comparer cette technique par rapport à des programmes ne l’utilisant pas. Par ailleurs, cette technique n’échappe pas au problème de la propriété intellectuelle : les marqueurs utilisés ou les techniques de sélection avec certains marqueurs peuvent être, voire sont déjà, brevetés (Brevet US Patent 6100030 de Pioneer [4], brevet en cours de demande aux États-Unis 20060248611 de Dow Agroscience [5]…). Les questions de dépendance des organismes de recherche publique, qui doivent acheter l’objet du brevet ou au moins obtenir l’accord des entreprises pour l’utiliser, se posent donc clairement.
Mais un des points de discussion les plus importants pourrait surtout porter sur les plantes commercialisées demain, qui auront été obtenues grâce à la SAM. Car, comme nous l’avons vu, la SAM permet de générer plus rapidement des variétés de plantes modifiées par mutagénèse par exemple. Et ceci est évidemment intéressant commercialement. De plus, ces plantes modifiées ne sont pas considérées par la loi comme des plantes transgéniques. Elles échappent donc aux contraintes d’étiquetage, de traçabilité… Bref, des plantes modifiées génétiquement au sens propre du terme, mais pas au sens législatif, pourront être commercialisées plus facilement car mises au point plus rapidement.
Conclusion
Le lecteur aura donc compris que derrière la Sélection Assistée par Marqueurs (SAM) peut se trouver n’importe quelle technique de sélection et d’amélioration végétales, et notamment les biotechnologies modifiant le génome d’une plante. Ainsi, les demandes de débat citoyen portant sur ces biotechnologies sont toujours d’actualité et ne sont pas rendues obsolètes par la SAM. In fine, la SAM est une méthode peut-être prometteuse techniquement parlant, mais à laquelle il semble prématuré de prêter des implications sociétales importantes.