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ESPAGNE – Une mouche OGM pour sauver les oliviers ? La Catalogne n’en veut pas

Par Christophe NOISETTE

Publié le 06/08/2015

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Région de Tarragona, des champs d’oliviers à perte de vue… des vieux, parfois presque millénaires, et des jeunes, tout juste sortis de la pépinière. Les champs sont propres, aucune herbe ne pousse entre les arbres. Nous sommes en juillet et déjà les agriculteurs évaluent leur récolte. Les olives commencent à se former, mais nombreuses sont celles qui sont attaquées par la mouche de l’olivier (Bactrocera oleae). La mouche pond ses œufs directement dans les fruits… et quand la larve se développe, la pulpe se dégrade, s’oxyde au contact de l’air, les fruits tombent. Chaque année, les dégâts causés par ce petit insecte de quelques millimètres sont importants, et les pertes annuelles estimées à plus de 700 millions d’euros. En 2014, l’été humide et moins chaud a fait exploser les dégâts dans tout le bassin méditerranéen. Ce parasite n’est pas récent, et certains auteurs romains l’évoquaient déjà, il y a quelques 2000 ans. Cependant, sa présence est devenue, depuis quelques dizaines d’années, réellement problématique. Pourquoi ? Et comment lutter contre ce parasite ? Avec des mouches OGM ? Le gouvernement catalan a annoncé, le 6 août 2015, qu’il n’autoriserait pas de tels lâchers dont il « ne peut garantir le confinement » [1].

Oxitec, une start-up britannique, liée à l’Université d’Oxford et à la multinationale Syngenta, est spécialisée dans la production d’insectes génétiquement modifiés dont les mâles sont stériles… Leur stratégie vise à disséminer des grandes quantités de ces insectes transgéniques pour qu’ils s’accouplent avec leurs homologues naturels et ainsi, tenter de diminuer la prolifération de la population en diminuant son taux de reproduction.

Oxitec, qui a déjà reçu une autorisation commerciale au Brésil pour lâcher des moustiques mâles stériles [2], a annoncé des essais en champs dans l’état de New-York avec des papillons génétiquement modifiés (Plutella xylostella, OX4319), un parasite important des choux, colzas et autres plantes de la famille des Brassicacées [3]… Et, en Espagne, en 2013, Oxitec avait déposé une demande d’essai en champ pour disséminer des mouches de l’olivier (Bactrocera oleae, OX3097D-Bol), elles encore, mâles stériles. Les autorités catalanes, sans doute sous la pression de la société civile, n’avaient pas donné leur accord à cet essai. En juin 2015, Oxitec a re-deposé la même demande d’essai [4] en champs pour un lâcher à huit kilomètres au nord de Tarragona. Le 6 août 2015, le gouvernement catalan refusait de donner son consentement à cette demande, notamment car il « ne peut garantir le confinement » de ces mouches transgéniques [5]. Oxitec a donc annoncé qu’elle retirait sa demande…

5000 mouches transgéniques lâchées par semaine

La demande concernait six zones sous filets, couvrant une superficie inférieure à 1000 m². Oxitec envisageait de disséminer autant de mouches transgéniques qu’il y aurait eu de mouches mâles naturelles et déclarait pour sa demande : « le nombre précis de mâles OX3097D-Bol qui seront lâchés ne peut pas être déterminé en avance », mais ce nombre ne devrait pas excéder 5000 individus par semaine. Les mouches seront disséminées, dans un premier temps, dans des filets, pour évaluer l’intérêt de cette solution transgénique… Oxitec a ajouté un gène qui code pour la fluorescence (DsRed2) pour « suivre » ces mouches GM… Les lâchers se feront une à deux fois par semaine, avec un minimum de huit semaines continues. Cependant la demande couvre une année entière… A la fin de l’expérimentation, le suivi sera assuré par Oxitec via des pièges sur une période de quatre semaines… Et des insecticides seront pulvérisés sur le site pour s’assurer qu’aucune mouche GM brevetée ne reste, sans plus de précision. Or, la plupart des insecticides utilisés contre cette mouche sont pourtant devenus inefficaces… Leur partenaire Syngenta leur aurait-il proposé une nouvelle molécule plus efficace ? Sinon, le risque que des mouches transgéniques soient résistantes aux principaux insecticides ne devrait pas être exclu par les autorités.

Une olive attaquée par Bactrocera oleae
Crédits : Christophe Noisette, L’Aire de rien

Dans sa demande, Oxitec rassure les autorités… « On s’attend à ce que les interactions entre OX3097D-Bol et les organismes non cibles soient équivalentes à celles qui existent entre la mouche de l’olivier sauvage [et ces mêmes organismes non cibles] dans la mesure où des tests en laboratoire sur deux espèces prédatrices et une espèce parasite n’ont pas montré d’effet négatif »… ; ou encore : les études « ont montré qu’il y aura un risque négligeable pour la santé animale associée avec la dissémination » de cette mouche transgénique. Oxitec affirme aussi que la mouche est un parasite strict des oliviers, et que donc on ne risque pas de retrouver des œufs de cette mouche n’importe où…

Un écosystème modifié

Les Amis de la Terre Espagne considèrent, eux, au contraire, que cette mouche transgénique pourrait perturber l’éco-système… Tout d’abord, les filets ne sont pas des cages totalement étanches et Oxitec reconnaît que des petits reptiles, mammifères et autres oiseaux pourront être en contact avec ces mouches transgéniques sans avoir pris le soin d’en évaluer les conséquences. D’autre part, si la stratégie d’Oxitec s’avérait efficace, elle pourrait favoriser le développement d’autres parasites, considérés actuellement comme moins problématiques, à l’instar de la teigne de l’olive (Prays oleae) ou de la cochenille noire de l’olivier (Saissetia oleae)… On sait que le coton Bt, en Chine, a favorisé le développement de punaises, un autre parasite du cotonnier [6]…. D’autre part, la mouche d’Oxitec est développée à partir d’une souche grecque. Les Amis de la Terre soulignent que « la dissémination de souches non indigènes peut être problématique si la souche est résistante aux insecticides ou si, d’une façon ou d’une autre, cette souche est plus à même de survivre que les souches espagnoles. Et Oxitec n’a pas justifié dans sa demande l’utilisation d’une telle souche non indigène, si ce n’est de faciliter son utilisation dans tous les bassins de production, progressivement ».

Par ailleurs, la stérilité ne pourra pas être absolue. Dans le cas du moustique, cette limite a été reconnue par la Oxitec elle-même… Et en présence d’un antibiotique relativement répandu, la tétracycline, les mouches, comme les moustiques, sont fertiles… Or, la région de Tarragona est aussi connue pour ses élevages de cochons, lesquels utilisent de la tétracycline. D’ailleurs, sans traitement particulier, les purins de porcs, qui sont parfois épandus sur des terres agricoles, peuvent contenir d’importantes quantités de tétracycline [7].

Enfin, en Espagne, la production d’olives biologiques est en forte croissance. En 2011, plus de 168 000 hectares étaient ainsi cultivés, soit une croissance de plus de 33% par rapport à l’année précédente. La production biologique représenterait donc près de 24% de la surface cultivée [8]. Si la stratégie OGM venait à se développer, dans quelle mesure les agriculteurs biologiques pourraient se protéger de ces mouches génétiquement modifiées ?

Quant au risque sanitaire, aucune étude ne le renseigne. Or, les fruits commercialisés peuvent contenir des larves mortes transgéniques, qui contiennent une protéine appelée tTa. Et une étude menée par Harry J. Han, du département de neuroscience à Houston, établit un lien chez les souris génétiquement modifiées pour exprimer la protéine tTa et des désordres neurologiques [9]. Bien entendu, l’extrapolation à l’humain qui consommerait des larves qui produisent cette protéine n’est pas démontrée, mais cette piste devrait faire l’objet d’une étude approfondie, nous semble-t-il…

Enfin, étant donné que la mouche transgénique n’empêche pas la ponte de larves dans le fruit, elle ne permet pas d’éviter les pertes à la récolte… La stratégie vise à réduire la population, donc les attaques futures… Mais pendant combien de temps et combien de mouches faudra-t-il lâcher pour que cette réduction soit visible ? Et à quel coût ? Et tout d’abord, pourquoi la mouche de l’olivier prolifère-t-elle ?

Revenir aux pratiques diversifiées

Peu d’études se sont intéressées aux causes de ce fléau. En discutant avec certains producteurs, une explication revient régulièrement : l’appauvrissement de l’écosystème et de la biodiversité. La mouche de l’olivier prolifère-t-elle car elle a moins de prédateurs ? Parmi eux, citons les hyménoptères parasitoïdes tels que Pnigalio mediterraneus, comme aussi Eupelmus urozonus, Psyttalia concolor, Eurytoma martelli, Cyrtoptix latipes. D’ailleurs, l’Inra a commencé à travailler, en 2008, sur l’introduction volontaire d’une guêpe, Psyttalia loundburyi, un insecte parasite importé d’Afrique… Les recherches continuent notamment pour savoir si cette guêpe s’implante bien dans nos conditions climatiques (et si elle atteint un niveau de parasitisme satisfaisant)…

Une oliveraie vers San Mateu (Catalunya)
Une oliveraie vers San Mateu (Catalunya)
Crédits : Christophe Noisette, L’Aire de rien

Deux éléments sont à prendre en compte : d’une part les agriculteurs ont entrepris de désherber autour des arbres avec des herbicides à base de glyphosate (molécule active du roundup), laissant une terre à nue, détruisant les niches alimentaires et écologiques de la faune, fragilisant alors les équilibres toujours précaires et complexes. Et d’autre part, la spécialisation agricole régionale s’est faite autour de l’olivier, de l’amandier et de l’élevage intensif de cochons. Et ainsi, les cultures comme le blé ou la vigne sont devenues anecdotiques.

L’appauvrissement de la complexité écologique est un élément clé dans le développement d’un parasite. De fait, un certain nombre de plantes hébergent les parasites de la mouche. Ainsi, dans le cadre de la lutte biologique par conservation, plusieurs plantes [10] sont recommandées dans les oliveraies comme hébergeant des auxiliaires de l’agriculteur. Selon François Warlop, du Grab [11], l’Inule (Dittrichia viscosa) [12] contribue à reformer un équilibre écologique en attirant essentiellement un parasite de la mouche de l’olive qui se développe aussi sur la mouche de l’Inule ! Pour retrouver un éco-système, il est conseillé de remettre en place des haies autour des cultures d’oliviers, qui pourront aussi nourrir et héberger des oiseaux, lesquels se nourrissent notamment de mouches…

Par ailleurs, une partie des larves de la mouche – qui ne tolèrent pas des températures trop basses – passe l’hiver dans le sol. Ainsi les agriculteurs, en préférant les herbicides à la pratique plus classique du griffon, facilitent aussi le développement de la mouche. A noter qu’avec la crise, et l’augmentation du prix des herbicides, certains agriculteurs reviennent au travail du sol. Une autre possibilité consiste à mettre des animaux dans l’oliveraie. Le pâturage des troupeaux juste après la récolte peut s’avérer fort utile car non seulement il apporte de la matière organique mais il entretient le couvert végétal, et les animaux mangent des olives restées au sol et qui peuvent encore héberger des larves de mouche…

La pratique de l’irrigation, qui fait grossir les fruits, peut aussi favoriser le développement de cette mouche qui apprécie une certaine humidité. Or, il est désormais acquis que ce sont les fruits les plus gros qui sont les plus piqués.

Nombreuses alternatives

La proposition d’Oxitec vient dans un contexte où les insecticides chimiques ont perdu grandement de leur efficacité : par un phénomène biologique classique, les mouches de l’olivier sont devenues résistantes à ces molécules. Tout d’abord, il existe d’autres stratégies – non transgéniques – pour stériliser les populations de mouche, comme l’irradiation ou la stratégie Wolbachia [13].

Mais nous allons nous intéresser principalement aux stratégies de lutte intégrée, qui peuvent être réalisées par l’agriculteur lui-même, et qui n’impliquent pas de volonté d’exterminer la population entière d’une espèce.

Un piège 'artisanal' contre la mouche de l'olivier
Un piège ’artisanal’ contre la mouche de l’olivier
Crédits : Christophe Noisette, L’Aire de rien

Dans les champs d’oliviers cultivés selon les principes de l’agriculture biologique, la stratégie la plus répandue est celle du piégeage massif. Il s’agit d’attacher des bouteilles en plastique remplies d’un mélange artisanal (vinaigre, phosphate d’ammoniaque…) ou d’un produit commercial à base d’hormones sur les arbres, et d’attendre que les mouches tombent dans le panneau… Certains pièges, notamment ceux mis en place par l’Oliveraie de Pedroches [14], permettent de maintenir les dommages liés à cette mouche en dessous de 10%. Certains agriculteurs biologiques couplent aussi l’utilisation de pièges avec des pulvérisations d’hydroxyde de cuivre, comme insecticide naturel.

Une troisième piste utilisée par les producteurs d’olives est la mise en place d’une barrière minérale afin d’éviter que la mouche ne se pose sur les fruits pour y pondre. La pratique la plus aboutie et qui vient d’être homologuée en France, consiste à pulvériser une argile blanche [15], à base de kaolin, sur les arbres [16]. Le Spinosad est une autre matière active utilisée pour ce ravageur, qui a désormais son homologue de synthèse également.

Enfin, la dernière piste consisterait à décaler la récolte des olives. Cette piste n’est guère pratiquée car les agriculteurs estiment qu’une récolte trop précoce influencera la qualité et la quantité de l’huile d’olive produite. Pour certains spécialistes, cette crainte n’est pas fondée, mais ce « mythe » est tenace. Changer les pratiques agricoles n’est pas simple, alors modifier les présupposés culturels ! En tout état de cause, aucune alternative dans le contexte actuel ne permet de se débarrasser intégralement de cette mouche qui occasionne d’importantes pertes.

De nombreuses autres recommandations existent pour limiter la présence de cette mouche. Ainsi, Raymond Gimilio, docteur en biologie végétale au CNRS, recommande aussi « d’éviter les tailles trop fortes, d’éviter les excès d’azote qui fragilisent les parois cellulaires, d’éviter une irrigation trop forte ou drainer les sols engorgés, maintenir un enherbement qui facilite l’évaporation de l’eau du sol »…

En réaction à cette demande d’essai en champs d’Oxitec, de nombreuses organisations européennes et notamment méditerranéennes, dans un communiqué de presse commun [17] avaient demandé un moratoire sur les lâchers d’insectes transgéniques, notamment du fait de risques mal évalués… Pour ces organisations, d’autres solutions moins risquées, et qui favorisent l’autonomie des agriculteurs, sont à privilégier.

[10comme Lactuca viminea, Lactuca serriola, des asphodèles, molène, Dittrichia viscosa ou encore Foeniculum vulgare

[15nom commercial : SOKALCIARBO WP

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