Actualités
Ceta : Les députés français veulent des garanties sur l’accord avec le Canada
Le 7 octobre 2014, la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution concernant l’accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada (accord économique et commercial global – AECG, ou Comprehensive Economic and Trade Agreement – Ceta). Objectif : mieux préciser certaines clauses, en enlever d’autres et faire en sorte que le Parlement français puisse le ratifier. Détails sur cette proposition [1].
Les députés exigent que le Ceta soit validé par les Parlements
Premier point : les députés demandent « à la Commission européenne et au Conseil de l’Union européenne d’affirmer clairement la qualification juridique d’accord mixte de l’accord économique et commercial entre le Canada et l’Union européenne ». Concrètement, qualifier un tel texte « d’accord mixte » revient à ce que « l’accord [soit] ensuite (…) soumis [au] Parlement pour ratification ». Or, souligne la Présidente de la Commission, Danielle Auroi, élue Europe Écologie Les Verts (EELV), « pour réfuter le caractère mixte de l’accord, la Commission européenne fait valoir que la compétence relative aux investissements est, depuis le Traité de Lisbonne, une compétence exclusive et non partagée ».
Vers une harmonisation des réglementations ?
Certes, reconnaît Danielle Auroi, « s’agissant de l’harmonisation des normes et la coopération réglementaire, le texte ne prévoit pas de mécanismes d’harmonisation ou de reconnaissance des normes mais prévoit des dispositions afin de faciliter la convergence des réglementations actuelles et futures, y compris celles touchant à la protection des consommateurs, des salariés ou de l’environnement ». Cependant certaines dispositions de l’accord, dites de « coopération réglementaire » « permettront une co-écriture des réglementations bien après la ratification de l’accord ». Or, les députés trouvent que le texte manque cruellement de précision. Ils « demande[nt] que soient définies avec précision les modalités de composition, de saisine, de décision et de contrôle du processus de coopération réglementaire ».
Au-delà de cette clarification, les députés rappellent que le chapitre consacré au « Commerce et développement durable » fait état d’une limitation du principe de précaution. En effet, ce chapitre « prévoit également que les restrictions au commerce et à l’investissement du fait de réglementations environnementales ne seront admises que si “elles tiennent compte des informations scientifiques et techniques pertinentes” ». Ce chapitre précise aussi, soulignent-ils, « qu’aucune des parties, face à des menaces sérieuses pour l’environnement, ne pourra invoquer le manque de certitude scientifique pour différer des mesures lorsqu’elles seront “rentables” ». Concrètement, la notion de rentabilité en matière d’environnement est plus que problématique. Danielle Auroi s’interroge : « Que se passera-t-il quand une collectivité publique décidera d’une mesure dont la rentabilité ne peut être estimée, par exemple, un moratoire ou la protection d’une zone fragile ? ». Ainsi, la proposition de résolution « exige que la portée et l’invocation du principe de précaution inscrit dans l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne puissent pas être remises en cause par les dispositions de l’accord ».
Depuis plus de quinze ans, le développement des OGM est une pierre d’achoppement entre les deux continents. L’Union européenne a d’ailleurs déjà été attaquée devant l’OMC par les États-Unis en 2003 [2]. Devant la crainte que la signature de cet accord aboutisse à un déferlement d’OGM sur notre territoire, les députés « s’oppose[nt] à ce que les dispositions prévues en matière de coopération bilatérale en biotechnologie puissent aller à l’encontre de la réglementation européenne relative aux organismes génétiquement modifiés, notamment en matière d’étiquetage et de prévention de la contamination ».
Les députés rappellent que « les règles européennes et canadiennes sont très différentes que ce soit en matière d’étiquetage ou de contamination. Les exportations en provenance des États-Unis ou du Canada sont refoulées des ports européens si elles sont contaminées : les autorités canadiennes ou américaines n’ont de cesse de demander que soit acceptée une présence d’OGM ». Or, précisément, le chapitre consacré à la « coopération bilatérale en biotechnologie » prévoit, selon les termes mêmes du projet d’accord, un dialogue portant « sur toute répercussion commerciale liée à des approbations asynchrones de produits ou à la dissémination accidentelle de produits non autorisés » ou encore sur « toute mesure pouvant avoir des répercussions sur le commerce entre le Canada et l’Union européenne, y compris les mesures prises par les États membres ». Comme le précisent les députés, « ces dispositions prennent un relief particulier quand on les rapproche de la lettre adressée en mars par le Commissaire sortant à la santé, Tonio Borg, au ministre canadien de l’agriculture dans laquelle il était indiqué que “ la Commission assurera que les propositions pour l’autorisation de tous les OGM soient traitées aussi vite que possible ” ».
Une critique de l’arbitrage « investisseur / État »
Dernier point de cette proposition de résolution : les députés « s’oppose[nt] à tout mécanisme d’arbitrage des différends entre les États et les investisseurs et demande[nt] en conséquence la révision substantielle des chapitres 10 et 33 sur la protection des investissements ».
De quoi s’agit-il ? La possibilité pour une entreprise canadienne ou ayant une filiale dans ce pays, qui estimerait être victime d’une « expropriation indirecte », de contester, au nom du principe de non-discrimination entre opérateurs, des lois ou décisions publiques qui affecteraient leurs profits. Par exemple, rappellent les députés, une telle clause a permis à des entreprises de contester « l’augmentation du salaire minimum en Égypte, de la sortie du nucléaire en Allemagne ou du message sanitaire sur les paquets de cigarettes en Australie ». Quels motifs pourront être invoqués pour mettre en cause une réglementation ? Le flou, là encore, domine. Et quid du coût des litiges ? Pour la Commission européenne, soulignent les députés, « si on revient sur le mécanisme de règlement des différends investisseur-État, ce serait l’ensemble de la négociation qu’il faudrait revoir ». Or, paradoxalement, informent les députés, « la Commission européenne a suspendu les négociations [avec les États-Unis] sur ce point et organisé une consultation publique. Toute décision sur l’inclusion d’une telle clause avec les États-Unis est suspendue. Quelle est alors la légitimité de prévoir de telles dispositions dans l’accord avec le Canada, préjugeant de la suite qui serait donnée à la consultation dont les résultats ne seront connus que fin octobre ? Et si l’Union européenne accepte ce précédent, comment pourra-t-elle défendre autre chose au cours des négociations transatlantiques ? ». Excellente question dont on attend encore la réponse…