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Toxicité à long-terme de l’herbicide Roundup et du maïs NK603 modifié génétiquement pour tolérer le Roundup
L’article scientifique « Long term toxicity of a Roundup herbicide and a roundup-tolerant genetically modified maize », rédigé par Gilles-Eric Séralini et son équipe et publié en septembre 2012 dans la revue Food and Chemical Toxicology, vient d’être traduit partiellement par Dominique Béroule. La traduction a été relue par les auteurs.
Résumé : Nous avons étudié pendant deux ans sur des rats les effets sanitaires d’un maïs transgénique tolérant à l’herbicide Roundup (introduit dans l’alimentation à doses variables de 11% et plus), cultivé avec ou sans épandage de cet herbicide, ou bien de Roundup seul (à partir de 0,1 parties par milliard).
Dans tous les groupes de rats ainsi traités, les femelles sont mortes 2 à 3 fois plus que dans le groupe-témoin, et plus rapidement. Cette différence a été observée dans 3 groupes de mâles nourris avec l’OGM. Tous les résultats obtenus dépendent du sexe de l’animal et montrent une dépendance hormonale, avec des profils pathologiques comparables dans presque tous les cas.
Les femelles ont développé des grosses tumeurs mammaires plus fréquemment que la population de contrôle, l’hypophyse étant le second organe le plus touché ; l’équilibre hormonal a été modifié par les traitements à base d’OGM et de Roundup. Chez les mâles ainsi traités, les nécroses et congestions du foie étaient de 2,5 à 5,5 fois plus élevées.
Cette pathologie a été confirmée visuellement et par microscopie électronique en transmission. Les atteintes des reins étaient généralement de 1,3 à 2,3 plus élevées. Les mâles présentaient jusqu’à 4 fois plus de grosses tumeurs, qui apparaissaient jusqu’à 600 jours plus tôt que la population de contrôle. Les données biochimiques ont confirmé des déficits chroniques significatifs des reins.
Pour tous les traitements chez les deux sexes, 76% des altérations de paramètres physiologiques étaient liés aux reins. Ces résultats peuvent s’expliquer par les perturbations endocriniennes non linéaires (non proportionnelles à la dose) causées par le Roundup, ainsi que par la surexpression du transgène dans l’OGM, et ses conséquences métaboliques.
1. Introduction
Où l’on découvre le contexte réglementaire et scientifique de cette étude, ainsi que ses spécificités par rapport aux travaux existants sur le même sujet.
Contexte international : débat sur les plantes génétiquement modifiées ; faiblesse de la réglementation, en dehors d’un taux maximal d’OGM et de pesticides autorisés dans l’alimentation.
Études existantes : des tests sur 90 jours réalisés par les industriels producteurs d’OGM concluent à l’absence de toxicité. Pourtant, des premiers résultats avaient déjà montré des altérations fonctionnelles des reins, du foie et du pancréas, pour de très faibles concentrations (1000 fois plus faibles que le taux réglementaire).
Apports méthodologiques de l’étude proposée : Mesures fréquentes pendant 2 ans, réalisées sur au plus 11 échantillons sanguins et urinaires : plus que les standards habituels dans une expérimentation de longue durée.
Plutôt que de tester uniquement le principe actif (glyphosate), c’est l’ensemble de la formulation du Roundup qui est impliqué, avec ses adjuvants qui facilitent la pénétration cellulaire. 3 dosages des suppléments alimentaires ou de l’eau de boisson (NK603 et Roundup) ont été testés à très basse concentration, plutôt que les 2 dosages habituels.
2. Matériels et méthodes
Où l’on apprend que le protocole expérimental a bien suivi les règles éthiques en vigueur concernant les espèces vivantes utilisées. Les conditions de culture du maïs et le mode d’administration du Roundup à certaines parcelles sont également précisés. Ce paragraphe indique en détail le déroulement de l’expérimentation, ainsi que les mesures réalisées.
2.1. Ethique (…)
2.2. Plantes, régimes et chimie
Variété de maïs : le NK603 tolérant au Roundup, et sa version non transgénique pour l’alimentation du groupe témoin (les rats dont le régime ne comporte ni OGM ni herbicide). Les possibilités de contamination entre ces deux maïs ont été soigneusement évitées, puis vérifiées par analyse génétique d’échantillons après culture.
L’un des deux champs de maïs NK603 a été traité à l’herbicide Roundup. Le mode d’alimentation des rats était conforme aux standards en vigueur, à raison de 3 doses possibles du maïs transgénique avec ou sans Roundup (11%, 22%, 33%) et une dose de maïs non-transgénique (33%) pour le groupe témoin. Le Roundup seul était dilué dans l’eau de boisson du groupe concerné.
Méthodes de vérification des concentrations : Analyse génétique qPCR ; HPLC-UV standard ; spectrométrie de masse.
2.3. Animaux et traitements
Sujets d’expérimentation : 100 rats mâles et 100 femelles de l’espèce Sprague-Dawley, répartis, pour chaque sexe, en 10 groupes de 10 individus. Exemple des groupes de mâles : 1 groupe témoin ; 6 groupes nourris aux concentrations 11%, 22%, 33% de NK603, avec ou sans Roundup ; 3 groupes avec seulement du Roundup dans la boisson aux 3 concentrations précitées. Chaque animal était soumis sa vie durant à deux suivis médicaux par semaine : signes cliniques, mesures éventuelles de tumeurs, consommation de nourriture et d’eau, poids.
2.4. Analyses biochimiques
Les échantillons sanguins ont été collectés sous anesthésie légère tous les 3 mois, ce qui signifie au maximum 11 prises de sang pour un animal encore vivant au bout de 2 ans. Les mesures ont concerné 31 paramètres, incluant le taux de coagulation, la présence d’albumine, de cholestérol, de testostérone et de différentes molécules (calcium, sodium, potassium, glucose…).
Le protocole utilisé a été comparé aux tests réglementaires réalisés par Monsanto, ainsi qu’à des tests obligatoires de produits chimiques (norme OCDE 408) ou -non obligatoires- des OGM. Des analyses d’urine ont également été réalisées au plus 11 fois sur chaque animal, et ont concerné 16 paramètres.
2.5. Pathologies anatomiques
Les animaux en début de souffrance ont été sacrifiés en fonction des critères éthiques suivants : perte de poids égale à 25%, tumeurs de 25% du poids total, saignement hémorragique, prostration. Parmi les 36 organes recueillis, 14 ont été pesés, ainsi que les éventuelles tumeurs. Méthodes de conservation et d’étude : glace carbonique, formol, microscopie électronique.
2.6. Analyse statistique
Il s’agit de répartir les données observées dans des groupes distincts. Méthodes reconnues pour modéliser, analyser et interpréter des données biologiques et chimiques complexes : Analyse à plusieurs variables par logiciel SIMCA-P(V12), Analyse en composante principale (PCA), Analyse partielle des moindres carrés (PLS), et PLS orthogonale (OPLS).
3. Résultats
Où l’on découvre que les rats des groupes-tests meurent plus précocement et développent plus de tumeurs que les rats du groupe témoin, avec des différences significatives en fonction du sexe, et des effets non proportionnels à la quantité d’OGM ou de Roundup ingérés.
3.1. Mortalité
A partir du début de la période d’expérimentation, les animaux (de 8 semaines d’âge) appartenant au groupe contrôle (nourris sans OGM ni Roundup) ont survécu en moyenne 624 jours (+ ou – 21 jours), pour les mâles, et 701 (+ ou – 20) jours pour les femelles. Avant l’âge moyen de survie, 3 mâles (sur 10) et 2 femelles (sur 10) du groupe-contrôle sont morts spontanément, alors que 5 mâles et 7 femelles sont morts dans certains groupes nourris au maïs OGM.
Cependant, le taux de mortalité n’était pas proportionnel à la dose reçue, atteignant un seuil aux valeurs faible (11%) ou intermédiaire (22%) avec ou sans Roundup. On notera que les deux premiers rats mâles des groupes OGM décédés ont dû être euthanasiés à cause de grosses tumeurs (de Wilms) des reins, environ un an avant le premier décès dans le groupe témoin. La première femelle décédée d’un fibrome mammaire appartenait au groupe nourris avec 22% de maïs OGM, 246 jours avant le 1er décès dans le groupe contrôle de femelles.
Chez les mâles, la différence la plus importante avec le groupe témoin fut : 5 fois plus de morts au 17ème mois, du groupe consommant 11% de maïs OGM. Chez les femelles, la mortalité fut 6 fois plus élevée durant le 21ème mois avec 22% d’OGM, avec ou sans Roundup.
Parmi l’ensemble des femelles, il y eut 2 à 3 fois plus de décès, généralement plus précoces, dans tous les groupes traités, par comparaison au groupe-témoin. Les femelles se sont révélées plus sensibles que les mâles au Roundup présent dans la boisson, impliquant une réduction de leur durée de vie. La cause des décès est liée principalement à de grosses tumeurs mammaires chez les femelles et à d’autres problèmes organiques chez les mâles.
3.2. Observations anatomopathologiques
Une partie seulement des résultats sont présentés ; les autres feront l’objet d’autres articles.
95% des tumeurs (jusqu’à 2 cm de diamètre) n’ont pas régressé, et n’étaient pas liées à une infection. Comme pour le taux de mortalité, on observe un effet de seuil aux plus faibles doses.
La fréquence de ces tumeurs était 2 à 3 fois plus élevée dans les groupes-test que dans les groupes-témoins, mâles et femelles confondus. La taille des tumeurs devenait significative en moyenne 94 jours plus tôt chez les femelles, et 600 jours plus tôt chez les mâles de 2 groupes (11% et 22% d’OGM), par rapport aux animaux témoins. Au bout de 2 ans, les tumeurs les plus grosses, essentiellement mammaires, étaient 5 fois plus fréquentes chez les femelles que chez les mâles. C’est la taille atteinte par les tumeurs qui affaiblissait les animaux par compression des poumons ou de l’estomac.
Une seule tumeur cancéreuse des ovaires et deux tumeurs de la peau ont été identifiées. Des métastases ont été observées dans seulement deux cas : dans le groupe nourri à 11% de NK603 et celui à 33% de Roundup.
Au 24ème mois, de 5 à 8 femelles avaient développé des tumeurs dans chaque groupe traité, jusqu’à 3 tumeurs par animal, tandis que seulement 3 femelles étaient atteintes dans le groupe-témoin. Les groupes « avec Roundup » produisaient le plus fort taux de tumeurs. La glande hypophyse était le second organe le plus affecté chez les femelles, généralement 2 fois plus que dans le groupe contrôle.
Chez les mâles, les grosses tumeurs palpables (reins, et peau principalement) étaient à la fin de la période d’expérimentation deux fois plus fréquentes que dans le groupe témoin. (…) La dégradation des reins incluant des zones inflammatoires a révélé des atteintes chroniques, progressives et sévères des reins, jusqu’à 2 fois plus élevées avec le maïs dosé à 33% ou bien avec la dose la plus faible de Roundup.
3.3. Analyses biochimiques
L’analyse statistique a concerné des mesures biochimiques effectuées au 15ème mois, période la plus tardive où la plupart des animaux étaient toujours vivants (90% des mâles, 94% des femelles, 100% du groupe contrôle).
Des modèles statistiques ont été créés entre chaque groupe et son témoin. Seuls les modèles significatifs ont été conservés (Variance > 80 %, Capacité de prédiction > 60%) pour déterminer les variables discriminantes.
Ainsi, chez les femelles traitées (NK603, Roundup), les insuffisances rénales étaient visibles au niveau biochimique (82% de paramètres altérés). Chez les mâles, 87% des variables discriminantes étaient liées aux reins.
En résumé, pour tous les groupes traités, versus contrôle, 76% des variables discriminantes étaient liées aux reins. De plus, l’équilibre chez les femelles entre hormones mâle et femelle a été perturbé par la consommation de maïs OGM et de Roundup avec un niveau de confiance de 95%. Avec la plus forte dose de Roundup, le niveau d’hormone femelle (estrogène) a plus que doublé chez les mâles.
4. Discussion
Où l’on résume les caractéristiques des résultats obtenus, et où l’on propose des hypothèses explicatives au niveau de mécanismes génétiques, en s’appuyant sur d’autres travaux de recherche. La conclusion replace l’étude dans son contexte scientifique et réglementaire, en proposant que les OGM agricoles et les pesticides soient évalués avec le plus grand soin sur de longues périodes, afin d’en mesurer la toxicité potentielle.
Ce rapport décrit la première étude menée sur toute la durée de vie d’un rongeur, pour examiner les éventuels effets toxiques 1/ d’un maïs OGM (NK603) tolérant au Roundup et 2/ de la formulation commerciale complète de l’herbicide.
Comme souvent dans les maladies hormonales, la plupart des effets observés ne sont pas proportionnels à la dose de toxine impliquée.
Les doses produisant des effets significatifs sont minimes, et donc susceptibles de se produire dans l’environnement : 11% de maïs OGM dans la nourriture, ou 50 ng/l de Roundup, comme dans une eau du robinet contaminée, restant pourtant dans les limites autorisées.
Comme fréquemment chez la plupart des mammifères, y compris les humains, les mâles mourraient avant les femelles, sauf dans le cas de certains groupes-test de femelles (OGM/Roundup).
Les premières tumeurs sont apparues au 4ème mois chez les mâles et au 7ème mois chez les femelles, prouvant l’insuffisance des 3 mois habituels d’évaluation de la toxicité des plantes OGM.
Même à la plus petite dose considérée, le Roundup seul induit chez les femelles des tumeurs associées à un déséquilibre hormonal (estrogène).
Hypothèses explicatives de l’augmentation des tumeurs et de la mort précoce des animaux nourris au seul maïs NK603 (sans Roundup) :
1- Production de produits toxiques spécifiques à la nourriture contenant de l’OGM.
2- Inhibition de produits protecteurs des organes, contenus dans la nourriture OGM :
Le maïs NK603 a été construit par génie génétique de manière à sur-exprimer une enzyme indispensable à la survie de la plante, et modifiée de façon à être insensible au Roundup. Dans sa version naturelle, cette enzyme facilite une chaine de réactions biochimiques qui produisent différentes molécules : en plus d’acides aminés indispensables à la plante, cette chaine de réactions engendre habituellement des molécules plus secondaires, telle que l’acide caféique qui intervient dans la synthèse de la lignine qui rigidifie la plante.
Les effets de l’acide caféique sur un organisme qui se nourrit de sa plante-hôte est connu en pharmacologie : à la fois antiinflammatoire, antimutagène et antioxydant.
Or, les analyses effectuées mettent notamment en valeur un déficit en acide caféique de l’alimentation OGM (avec la version génétiquement modifiée de l’enzyme). Comme montré dans une autre étude, un tel déficit pourrait diminuer l’effet protecteur de l’acide caféique vis-à-vis du développement de cancers et de tumeurs mammaires.
Les insuffisances hépatiques et rénales des rats mâles, dont les premiers signes avaient déjà été observés par la même équipe de recherche en 2007 sur des tests à 90 jours, pourraient avoir la même origine : un vieillissement prématuré des reins par stress oxydatif (radicaux libres), insuffisamment contrarié par un acide caféique déficitaire.
Chez les mâles également, les atteintes du foie sont caractéristiques d’une intoxication chronique, comme confirmé par l’analyse des paramètres biochimiques. La structure du noyau des cellules du foie a révélé des altérations comparables chez les deux sexes, conformément aux effets toxiques reconnus de très petites doses de Roundup : programmation de la mort cellulaire, production d’énergie interne à la cellule, dégradation de la membrane induisant une nécrose des cellules du foie.
Les perturbations des chaines de réaction biochimiques impliquées dans ces résultats appellent des investigations approfondies.
Méthodes proposées : Analyse génétique (caractérisation du transcriptome) ; étude du profil moléculaire des foies et reins perturbés (Métabolomique).
Conclusion :
Alors que le principe actif du Roundup (glyphosate) était déjà connu pour dégrader le fonctionnement des reins et du foie à des doses dépassant les normes autorisées, cette étude prouve clairement que des doses largement en dessous de ces normes de l’herbicide complet altèrent sévèrement les fonctions mammaire, hépatique et rénale, dépendantes des hormones.
Cette étude constitue le premier recueil détaillé sur les effets délétères à long-terme de la consommation d’un maïs tolérant au Roundup et du Roundup lui-même, herbicide le plus utilisé dans le monde. Des études futures pourraient concerner l’influence de ces produits sur le métabolisme des cellules (ex : déséquilibre de composants tels que l’acide caféique), ainsi que la possible présence du gène étranger (transgène) et de Roundup dans les tissus du rat.
Les perturbations biochimiques significatives et les défaillances physiologiques consignées dans cette étude confirment les effets pathologiques d’une plante OGM et du Roundup sur les deux sexes, avec différentes amplitudes.
Nous proposons que les OGM agricoles alimentaires et les formulations de pesticides soient évalués très précisément par des études à long-terme pour mesurer leurs effets potentiellement toxiques.