Rétrospective 2003 : encore une année de statu quo
Contrairement à ce que nous annoncions l’année dernière, la tempête n’a pas eu lieu… Bien entendu, les tensions se sont exacerbées et de nouveaux fronts se sont ouverts : de nouveaux pays expérimentent ou autorisent les OGM sur leur territoire, d’importants crédits sont alloués à la recherche en biotechnologie… Cependant, la législation européenne s’est renforcée tout en maintenant le moratoire. Enfin, événement majeur, l’année 2003 a vu l’entrée en vigueur du Protocole de Carthagène.
En 2003, les cultures transgéniques ont encore progressé dans le monde, si on se réfère au rapport annuel de l’ISAAA1 paru début janvier 2004. Ainsi, les surfaces de cultures transgéniques commerciales ont augmenté de 15% cette année, passant de 58 millions (M) d’hectares en 2002 à 66,8 millions d’hectares en 2003 (chiffres tenant compte des cultures engagées illégalement au Brésil à hauteur de 3 millions d’hectares).
Etat des lieux
Le nombre d’agriculteurs concernés par ces cultures est de 7 millions, répartis sur 18 pays contre 6 millions en 2002 sur 16 pays. Les pays à cultures commerciales sont les suivants : Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chine, Colombie, Espagne, Honduras, Inde, Indonésie, Mexique, Philippines, Roumanie, Thaïlande (il s’agit de cultures illégales), Uruguay.
{{}} | Surface 2003 en millions d’ha (et % | Surface 2002 en millions d’ha (et % de la surface mondiale) | Evolution 2002 / 2003 en % |
Etats – Unis | 42,8 (64) | 39 (67) | +10% |
Argentine | 13,9 (21) | 13,5 (23) | +0,3% |
Canada | 4,4 (7) | 3,5 (6) | +26% |
Brésil | 3 (4) | 0 officiellement | —- |
Chine | 3 (dont 2,76 pour le coton) (4)8 | 2,1 (4) | +43% |
Afrique du Sud | 0,4 (<1) | 0,3 (<1) | +33% |
Quatre cultures représentaient encore à elles seules, en 2003, 99% de la surface totale des cultures transgéniques le soja transgénique en représente 61% (41,4 M d’ha), le maïs transgénique 23% (15,5 M d’ha), le coton 11% (7,2 M d’ha) et le colza 5% (3,6 M d’ha).
Nature de la modification génétique : 73% de la surface des cultures transgéniques le sont avec des OGM tolérant un herbicide, 18% avec des OGM producteurs d’insecticide et 8% avec des OGM tolérant un herbicide et producteur d’insecticide.
Parmi les nouveaux venus dans le monde des essais en champs d’OGM, notons le Burkina Faso, qui en 2003 a autorisé les premiers essais en champ de coton transgénique. D’une façon générale, les pays de l’Afrique de l’Ouest ont été tout au long de l’année passée – et risquent de l’être encore cette année – sujets à d’énormes pressions de la part des entreprises de biotechnologies pour qu’ils expérimentent le coton transgénique. La coopération américaine a décidé par exemple de doter le Mali, sur deux ans, d’un budget annuel de 15 millions de dollars.
L’autre changement pour les plantes transgéniques concerne le Brésil. En 2002, ce pays a vu l’arrivée au pouvoir du Parti des Travailleurs avec Lula et, paradoxalement, les premières autorisations conditionnées de mise en culture du soja génétiquement modifié. Or, Lula avait affirmé pendant sa campagne qu’il n’autoriserait pas les OGM au Brésil. D’où vient alors cette volte-face ? Sans atténuer l’importance de la décision, il convient de souligner que cette autorisation ne concerne que les plantes transgéniques plantées en 2002 et 2003 et les semences issues de ces récoltes. Ceci peut se comprendre comme la volonté du Gouvernement de ne pas condamner les agriculteurs du Rio Grande do Sul et de quelques autres Etats qui avaient acheté en contrebande des semences de soja roundup ready provenant d’Argentine. Lula a d’ailleurs nommé une commission d’enquête parlementaire pour comprendre précisément les mécanismes de cette contrebande. La fin de l’absolue pureté du soja brésilien perturbe les entreprises agro-alimentaires européennes qui avaient fait du Brésil leur exportateur privilégié. Ces dernières vont donc devoir soit trouver d’autres pays producteurs de soja non transgénique (à l’instar de la Norvège qui a signé un accord avec le Mozambique), soit accroître leur contrôle, ce qui engendrera un surcoût. Pourtant, au Brésil, des Etats, à l’instar du Parana, continuent de s’opposer à ces autorisations de culture transgénique. Cependant, la grande majorité du commerce de soja transgénique au Brésil passe par le port de Paranagua (Etat du Parana) et ce port vient d’être déclaré inapte à gérer une double filière, OGM et non-OGM. Ne pouvant s’opposer à cette décision technique, le gouvernement fédéral a décidé d’investir dans trois autres ports au sud du Brésil, réouvrant ainsi les possibilités de commerce de soja transgénique. L’autre solution pour les agro-importateurs européens reste d’éviter le soja et de changer les recettes des produits en contenant.
Au Canada, les syndicats d’agriculteurs, comme de nombreux acteurs impliqués dans le commerce du blé, ont clairement exprimé leur crainte de perdre des parts de marché si le blé transgénique était autorisé, notamment du fait des réticences européennes2.
Enfin, l’année 2003 a également été l’année de la première commercialisation d’un animal transgénique : il s’agit d’un poisson fluorescent destiné à un usage domestique. Il a été autorisé à Taïwan (sous le nom de “Night Pearl”3- cf. Inf’OGM n°44) et aux Etats-Unis (GloFish, cf. Inf’OGM n°49). Des réactions se sont alors faites entendre comme celle de l’Aquarium National du Royaume-Uni qui s’inquiétait, entre autres, du transfert de gènes à d’autres espèces.
Changements législatifs
Une des deux avancées législatives majeures de cette année fut l’adoption par l’Union européenne, en juillet 2003, de deux nouvelles directives sur l’étiquetage et la traçabilité des produits issus d’OGM4. Rappelons que l’adoption de ces réglementations fut longue, puisque la proposition de la Commission européenne date de juillet 2001. Désormais, les règles d’étiquetage et de traçabilité concernent à la fois l’alimentation pour le bétail et l’alimentation humaine, que le produit final contienne ou non de l’ADN ou des protéines dérivées d’OGM. Ainsi, l’huile de colza obtenue à partir de colza transgénique et dans laquelle la transformation génétique n’est plus détectable doit être étiquetée. Cependant, les semences n’ont été incluses dans le champ d’application du règlement que lorsqu’elles sont destinées à un usage alimentaire. Reste donc encore à légiférer sur les seuils d’OGM tolérés sans étiquetage dans les semences conventionnelles. Autre lacune importante, les produits issus d’animaux nourris avec des aliments OGM comme la viande, le lait ou les œufs sont encore exclus de cette obligation d’étiquetage. Or, plus des trois quarts des OGM servent actuellement à l’alimentation du bétail. L’apparition de la notion de traçabilité, définie comme “la capacité de retracer le cheminement d’OGM et de produits dérivés d’OGM, à tous les stades de leur mise sur le marché, le long de la chaîne de production et de distribution” est une avancée majeure pour la prévention des risques liés aux OGM. La Commission devra créer un registre central dans lequel figureront toutes les informations séquentielles disponibles et les matériaux de référence relatifs aux OGM autorisés dans la Communauté. Mais rien n’est prévu pour les autres OGM commercialisés ou expérimentés hors de l’UE.
Autre changement, le seuil au-dessus duquel l’étiquetage est obligatoire a été abaissé : un produit alimentaire dans lequel 0,9% d’un ingrédient est OGM (contre 1% précédemment) devra être étiqueté. Par contre, si ces ingrédients n’ont pas été autorisés par l’UE, mais sont estimés sans danger pour la santé, le seuil de tolérance est fixé à 0,5%, à condition que la présence de ces ingrédients soit accidentelle ou techniquement inévitable. Cette tolérance est valable dans un premier temps pour trois ans ; après ce délai, les OGM non autorisés seront définitivement proscrits. Enfin, pour les OGM jamais évalués dans l’UE, aucune trace n’est admise.
Suite à la publication de ces deux textes, de nombreux commentaires pronostiquèrent la fin du moratoire européen dès 2003… Or, par deux fois, cette levée a été repoussée. En effet, le moratoire de facto prendra simplement fin quand une nouvelle variété transgénique sera autorisée. Le 10 novembre 2003, le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale de la Commission européenne a repoussé à leur prochaine réunion l’examen de demande d’autoriser à l’importation le maïs doux Bt11 de Syngenta, destiné à l’alimentation humaine. Et le 8 décembre, les experts des Quinze ont de nouveau rejeté cette demande. Seuls six pays (Espagne, Irlande, Royaume Uni, Pays-Bas, Suède et Finlande) se sont prononcés en faveur de l’autorisation du Bt11. Trois autres pays, l’Allemagne, la Belgique et l’Italie, se sont abstenus et les six derniers (France, Autriche, Luxembourg, Danemark, Portugal et Grèce) ont voté contre. Selon la procédure habituelle, les ministres européens disposent désormais de trois mois pour se prononcer à leur tour, faute de quoi le dossier serait laissé entre les mains de la Commission, ouvertement favorable à la levée du moratoire. Cependant, de nombreuses associations et organisations professionnelles estiment que ce cadre législatif reste lacunaire du fait de l’absence de lois sur les semences, la coexistence des filières et la responsabilité.
Deuxième avancée majeure dans le domaine législatif, l’entrée en vigueur du protocole de Carthagène5, dit de Biosécurité, réglementant les mouvements transfrontières d’Organismes Vivants Modifiés (OVM). Non seulement il place au cœur de la régulation des échanges d’OGM le principe de précaution, mais surtout il permet aux pays en développement ne disposant pas encore de législations nationales sur la biosécurité, d’avoir accès à l’information sur les OGM, aux normes techniques et aux expertises qui les concernent et donc de refuser l’importation d’un OVM. Depuis l’entrée en vigueur du Protocole, le 11 septembre 2003, l’organe de prise de décision du Protocole – la Conférence des Parties – est chargé de la mise en œuvre et du suivi de l’accord. Il remplace le Comité intergouvernemental sur le Protocole de Carthagène (CIPC) qui avait été créé pour préparer l’entrée en vigueur du Protocole. La première Réunion des Parties aura lieu en février 2004 et traitera notamment de la mise en place du centre d’échange et du renforcement des capacités.
L’UE devant l’OMC
La menace exprimée en 2002 par les Américains de déposer une plainte à l’OMC s’est concrétisée. Après une longue hésitation, en partie lié au contexte géopolitique avec la seconde guerre d’Irak, les Etats-Unis ont finalement porté plainte, en juin 2003, devant l’OMC contre le moratoire européen. Cette plainte a été déposée avec l’Argentine, le Canada et l’Egypte et est soutenue par l’Australie, le Chili, la Colombie, le Salvador, le Honduras, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou et l’Uruguay. Les parties avaient alors 60 jours pour harmoniser leurs positions. Suite à l’échec prévisible de ces consultations, les Etats-Unis ont demandé à l’OMC de constituer un panel chargé de statuer sur le contentieux. Les Américains considèrent que les Européens se retranchent derrière des raisons plus proches du “protectionisme” économique que de la protection des consommateurs. A ce stade de la démarche, les Etats-Unis n’étaient plus soutenus que par le Canada et l’Argentine. Ainsi, lors de sa réunion du 18 août 2003, l’Organe de règlements des différends a examiné les premières demandes pour qu’un groupe spécial examine les mesures prises par l’UE. Fin janvier 2004, les Etats-Unis annonçaient qu’ils maintenaient leur plainte en dépit de l’accord de la Commission européenne pour autoriser le maïs Bt11 (les Etats membres ont trois mois pour statuer sur cette décision).
Nouveaux résultats scientifiques contre les OGM
Des découvertes scientifiques sont venues renforcer les craintes supposées des risques liées aux cultures de plantes transgéniques.
Ainsi, en France, et dans le cadre de la demande d’autorisation du maïs Bt11 de Syngenta, l’Agence Française pour la Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) s’est prononcée contre cette autorisation considérant que les tests toxicologiques conduits sur des animaux étaient insuffisants. Dans son avis6, l’AFSSA “estime qu’en toute rigueur, afin d’éliminer la possibilité d’effets inattendus, il conviendrait d’évaluer l’impact d’une consommation régulière de maïs doux portant l’événement de transformation Bt 11 par une étude de toxicité/tolérance chez le rat ou une étude de tolérance/alimentarité chez un animal d’élevage (par exemple le poulet en croissance)”. C’était la troisième fois que l’AFSSA rendait un avis négatif sur ce dossier. L’Agence souhaiterait que des animaux soient nourris avec le maïs doux qui serait consommé par l’homme, par exemple des rats pendant 90 jours et des poulets (animal d’élevage) pendant 42 jours, comme le réclament déjà plusieurs scientifiques.
Une autre critique plus générale concerne les données moléculaires décrivant la nature du transgène présent dans la plante. Ces données sont obligatoires dans le cadre des demandes d’autorisation. Celles de ce maïs Bt11 ont été présentées en février 2003 par différents organismes de recherche tel l’INRA et il est apparu que la séquence du transgène n’était pas conforme à celle attendue dans une telle plante7. Ainsi, il reste à analyser complètement l’ADN transgénique et à comprendre l’origine des séquences aberrantes. Des constats similaires ont été faits pour le maïs Mon810 (Monsanto), le maïs T25 libertylink (Bayer) et le soja GTS (Monsanto)8.
Au Royaume Uni, des experts indépendants, nommés par le gouvernement britannique et placés sous la tutelle de la Société Royale de Sciences, ont présenté le résultat d’études menées depuis 19999 sur l’effet environnemental des OGM. Ces études, s’appuyant sur 250 essais en champ, concernaient le maïs, le colza et la betterave. Elles ont permis de montrer que le colza et la betterave transgéniques avaient un impact négatif sur les oiseaux et les insectes se traduisant par une baisse de la quantité de mauvaises herbes (donc de leurs graines) et une réduction de leur diversité (or, les oiseaux utilisent ces graines pour constituer leurs réserves de nourriture pour l’hiver) et une moindre fréquentation des champs par les insectes, notamment les abeilles et les papillons. Soulignons une deuxième étude10, moins médiatisée, qui a démontré que le pollen peut être disséminé jusqu’à 16 kilomètres de sa culture d’origine du fait des abeilles. L’autre conclusion est qu’un agriculteur ayant cultivé du colza transgénique ne peut pas produire du colza non OGM (avec un taux de contamination inférieur à 1%) pendant une période de 16 ans.
Détection des OGM chez les animaux
Un point qui n’a pas avancé est celui des analyses d’échantillons de bovins nourris avec des OGM, analyses ayant pour objectif de savoir si le transgène ou la protéine issue de ce transgène ont la capacité à passer dans des tissus de l’animal ayant consommé un aliment transgénique. Le gouvernement français s’était engagé en 1999 à financer une recherche scientifique dont l’objectif était d’analyser des échantillons bovins nourris avec du maïs Bt (ferme des Trinottières, Maine et Loire). Après une première phase de recherche ayant servi à la mise au point du protocole, le gouvernement a préféré refuser la subvention plutôt que de permettre la conduite des analyses proprement dite. La raison en est restée secrète : le Ministère de l’Agriculture en charge de la gestion du dossier a affirmé à Inf’OGM que le rapport du comité scientifique ainsi que l’avis de refus du ministère sont classés confidentiels et ne peuvent donc pas être communiqués au public.
Malgré ce frein français, le transfert de transgène et de protéine transgénique dans des tissus animaux a été démontré. E. H. Chowdhury a ainsi mis en évidence la persistance de l’ADN et de protéines d’origine transgénique dans des organes de cochons nourris avec du maïs Bt. Les analyses ont révélé la présence du gène codant pour la protéine Bt et celle d’une forme tronquée de cette protéine transgénique dans l’estomac, le duodenum, le rectum et les produits fécaux de cochons alimentés pendant une semaine avec du maïs Bt.
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Une opposition toujours aussi nette en Europe
En Grande-Bretagne, le gouvernement a organisé un vaste débat public, intitulé “A GM Nation Debate”11. A l’issu de ce débat, le gouvernement a mené un sondage auprès de 37 000 personnes. Il a révélé que 95% des sondés s’inquiétent des contaminations des cultures conventionnelles, 93% estiment que les scientifiques ignorent les effets sur la santé, 93% pensent que le génie génétique sert des intérêts financiers et non sociétaux, 91% sont soucieux des effets sur l’environnement et seuls 2% seraient prêts à consommer des OGM.
Ces chiffres confirment les résultats d’une étude réalisée à la demande de la Commission européenne dans le cadre du projet “Vie scientifique dans la société européenne”12. Cette étude conclut ainsi : “Une majorité d’Européens ne sont pas favorables à l’alimentation transgénique. Les OGM sont jugés comme inutiles et risqués pour la société. Pour les cultures d’OGM, l’approbation est timide. Elles sont jugées légèrement utiles mais tout aussi risquées que l’alimentation à base d’OGM. […] Seuls l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et la Finlande ont une opinion publique dans l’ensemble favorable à l’alimentation transgénique”. L’étude note une constance dans la méfiance de l’opinion européenne à propos des OGM, qu’ils soient cultivés ou consommés entre 1999 et 2002. Les citoyens européens sont toujours environ 50% à refuser d’acheter de la nourriture transgénique, même avec une réduction prouvée de l’usage des pesticides et 65% à la refuser même avec une réduction de son coût.
L’opposition aux OGM s’est aussi exprimée à travers la cration de nouvelles “zones sans OGM”, la poursuite des arrachages d’essais de PGM et la tenue du Forum Social Européen.
En France, la campagne “Ni essais, ni cultures d’OGM dans ma commune, je m’engage”, lancée début 2002 n’a pas diminué d’ampleur. Aux 2000 communes qui se sont engagées à interdire les OGM sur leurs territoires, se sont joints des Conseils Généraux (Gers, Dordogne, Loiret), des Régions (Centre et Aquitaine) et des parcs naturels. 230 communes ont pris un arrêté ayant force contraignante. Les modèles d’arrêtés13 ont été mis à jour afin de prendre en compte les avancées jurisprudentielles découlant de la décision du Tribunal administratif de Limoges en mars 2003. Ils reposent sur une interdiction des OGM, dans les champs et la restauration communale, limitée dans le temps (une année culturale) et dans l’espace (les parcelles limitrophes d’une exploitation labellisée).
En Europe, la Commission a réaffirmé sa ferme opposition à l’instauration par des Etats membres de zones sans OGM sans preuves scientifiques nouvelles et en l’absence d’un problème spécifique national. Elle a indiqué qu’elle pourrait, dans le cas contraire, engager des actions devant la CJCE. Cette position visait particulièrement la volonté de l’Autriche d’interdir l’utilisation d’OGM en Haute-Autriche pendant trois ans. Toutefois, 11 régions du territoire communautaire se sont déclarées “zone sans OGM” et la CJCE a provisoirement autorisé, en septembre, l’Italie à les interdire. Selon la Cour, un Etat membre “peut de manière préventive (…) restreindre temporairement ou suspendre la vente de ce type d’aliment sur son territoire”, dans la mesure où il prouve de manière détaillée les risques liés à ces produits.
En 2003, plus d’une vingtaine de parcelles ont été arrachées par des opposants aux OGM. La plupart de ces arrachages ont été revendiqués par des collectifs, incluant des responsables de la Confédération Paysanne, d’ATTAC, des Verts…
Parmi tous ces arrachages, l’un d’entre eux a particulièrement défrayé la chronique. C’est dans la nuit du 15 août, qu’une parcelle de 3000 m2 de maïs génétiquement modifié appartenant à Meristem Therapeutics et localisée à Clemensat (Puy de Dôme) a été détruite. Cet arrachage est l’un des rares à ne pas avoir été revendiqué. Cet essai concernait un maïs génétiquement modifié pour produire de la lipase gastrique. Or cette molécule est utilisée dans un médicament qui soulage les problèmes gastriques entraînés par le traitement contre la mucoviscidose. Mais cette molécule pourrait tout aussi bien être produite grâce à des bactéries génétiquement modifiées en milieu confiné ou grâce à des tissus végétaux cultivés en labo. Cette avancée des cultures d’“OGM médicaux” en plein champ a soulevé la réaction d’observateurs avertis14, rappelant que même aux Etats Unis compte tenu des risques de contamination un moratoire sur ces cultures était mis en place dans certaines régions de grandes cultures céréalières. Cependant, le débat sur la coexistence des filières (et son corollaire, la responsabilité) est loin d’être tranché et l’analyse économique n’est probablement pas la plus à même de décider d’essais en champs ou non.
En réaction à ces destructions, des chercheurs ont lancé, le 3 septembre 2003, une pétition “défendons la recherche”15 qui a récolté environ 2200 signatures (du monde de la recherche publique et privée). Le gouvernement a accepté de rencontrer ces chercheurs pour les assurer de son soutien.
Les chercheurs dans le débat
Mais le corps scientifique n’est pas unanime sur la question des OGM, comme le manifeste la lettre ouverte au président français Jacques Chirac, envoyée le 7 juillet et signée par 445 chercheurs du Cirad, de l’IRD, de l’INSERM, du CNRS, de l’INRA… Dans cette lettre, les signataires demandent la grâce de José Bové, emprisonné suite à la destruction de serres de riz génétiquement modifiés appartenant au Cirad. Non seulement ils jugent la sanction contre Bové “disproportionnée”, mais surtout ils reconnaissent à José Bové le rôle “d’alerte” qu’il a joué “dans la réflexion du monde de la recherche sur la gravité du problème de l’utilisation des OGM et, au-delà, de toute découverte scientifique”. Fin juillet, ces chercheurs du domaine public ont lancé leur propre pétition “ouvrons la recherche”16 pour demander un débat public sur les aspirations de la société en matière de recherche, notamment sur les OGM, démarche qu’ils poursuivront en 2004 avec la mise en place de “fora de la recherche”.
Autre témoignage de cette contestation, un Collectif pour une Consultation des Citoyens sur les OGM17 a vu le jour. Son objectif est l’organisation d’un débat citoyen en France, afin qu’une position claire sur les OGM puisse être émise à l’adresse du gouvernement. Il prépare donc un argumentaire détaillé sur les points controversés des OGM18. Ainsi, au cours du Forum Social Européen (Saint Denis, novembre 2003), ce collectif a pris position sur les OGM, les semences et les brevets. Il demande notamment le maintien du moratoire et son élargissement aux essais en champ, un seuil de tolérance 0% pour les flux d’OGM, un contrôle citoyen des orientations de la recherche publique et une responsabilité en cas de contamination génétique ; la non brevetabilité du vivant et l’établissement d’un système des droits collectifs de protection des ressources génétiques ; la défense des semences paysannes, la liberté totale de ressemer le grain récolté et d’échanger les semences et la mobilisation de moyens publics de recherche pour une agriculture durable respectueuse de l’environnement.
Même si elle est la mieux organisée, l’opposition européenne n’est pas la seule à la surface du globe. Partout des associations et des syndicats s’élèvent contre la commercialisation des OGM.
Nouvelles promesses ?
Les OGM ont été présentés par ses promoteurs comme un moyen de réduire l’utilisation des pesticides (ce que contredisent les travaux de Benbrook19, lesquels s’appuient sur les chiffres de l’USDA) ou d’éradiquer la faim dans le monde (ce que de nombreuses associations caritatives refusent du fait notamment de la dépendance qu’engendrent les brevets sur ces plantes). Deux nouveaux fronts se sont récemment ouverts : d’une part lors de la réunion de Milan sur le Protocole de Kyoto, l’utilisation des arbres transgéniques a été acceptée dans le cadre de projets forestiers20 destinés à stocker des gaz à effet de serre ; d’autre part, l’augmentation de la demande en biocarburant, en renforcant la pression sur les terres arables, risque aussi de favoriser les cultures transgéniques. Ainsi, il est urgent d’ouvrir un vrai débat public sur les OGM s’insérant dans un débat plus général sur la société que nous désirons léguer à nos enfants… En attendant, il semble donc important de maintenir (ou d’instaurer) des moratoires, afin de créer des espaces propices au dialogue.
1, www.isaaa.org
2, www.education.guardian.co.uk/higher/news/story/
0,9830,978391,00.html
3, www.infogm.org/article.php3?id_article=1248
4, “Traçabilité et étiquetage des OGM dans l’alimentation”, dossier Inf’OGM n°46, octobre 2003
5, www.biodiv.org/biosafety/default.aspx?lg=2
6, www.afssa.fr/ftp/basedoc/BIOT2003sa0353.pdf
7, biosafety.ihe.be/TP/MGC_reports/Report_Bt11.pdf
8, Collonnier et al., Characterization of commercial GMO inserts : a source of useful material to study genome fluidity. Poster présenté
au 7ème International Congress of Plant Molecular Biology
9, pubs.royalsoc.ac.uk/FSEresults/
10, www.defra.gov.uk/environment/gm/research/epg-rg0216.htm
11, www.gmpublicdebate.org/ut_09/ut_9_6.htm
12, Eurobaromètre 58, p.40, europa.eu.int/comm/public_opinion/archives/eb/ebs_177_en.pdf
13, www.infogm.org/rubrique.php3?id_rubrique=293
14, “Du danger des OGM médicaux”, J. Testart, Libération, 12 septembre 2003, www.infogm.org/article.php3?id_article=1243
15, http://defendonslarecherche.free.fr
16, http://ouvronslarecherche.free.fr
17, Le CCC-OGM se compose de Attac, BEDE, Confédération Paysanne, Coordination Nationale de Défense des Semences Fermières, Ferme de la Bergerie, Fondation Sciences Citoyennes, France Nature Environnement, FRAPNA Ardèche, Geyser, Giet, Greenpeace, MDRGF, Nature & Progrès et Solagral.
www.infogm.org/rubrique.php3?id_rubrique=360
18, Une synthèse est déjà disponible : “OGM : la société civile argumente son refus”, éd. Inf’OGM, 2003, 36p., 1 euro (+ frais de port à 0,58 euro en écopli)
19, www.biotech-info.net/Technical_Paper_6.pdf
20, www.unfccc.int/cop9/latest/sbsta_l27.pdf