Description
Ce dossier sur les droits de propriété intellectuelle (DPI) dans le domaine du vivant pose une question cruciale : jusqu’où peut-on privatiser le vivant – notamment végétal – sans compromettre des principes éthiques fondamentaux et certains équilibres sociétaux, en particulier les droits des paysans ?
Dans un monde où les biotechnologies se développent à une vitesse fulgurante, il est impératif de réfléchir à la manière dont celles-ci sont encadrées par la loi et comment le législateur anticipe leur impact sur le terrain. Ce dossier explore les divers aspects de cette problématique, depuis la bataille des brevets dans l’agro-industrie, notamment autour du système Crispr-Cas, jusqu’aux effets potentiellement dévastateurs des monopoles sur la biodiversité et la souveraineté alimentaire.
D’une part, ce dossier rappelle les DPI sur le vivant et aborde les enjeux économiques induits par leur représentant le plus puissant : le brevet. Il s’intéresse en particulier à la place des brevets dans l’industrie des « nouvelles technologies génomiques » (NTG) appliquées au domaine végétal, et à leur outil prédominant : Crispr-Cas. Alors que ce dernier fait toujours l’objet d’une bataille judiciaire entre ses principaux inventeurs, il suscite aussi de nouveaux investissements et le dépôt de nombreuses demandes de brevets. Ce dossier aborde ces derniers aspects et l’insécurité juridique qu’ils produisent dans la filière semencière, notamment chez les obtenteurs, en mettant en évidence une asymétrie d’accès aux ressources génétiques, qui menace les fondements même des pratiques agricoles autonomes et durables.
Ce dossier éclaire, d’autre part, la façon dont le sujet des brevets a, fin 2023, pris par surprise le devant de la scène législative européenne jusqu’à empêcher l’adoption du règlement sur les NTG au cours de la mandature espagnole. Dans le sillage de cet événement juridique, ce dossier aborde aussi les nouveaux centres d’intérêt de l’industrie semencière : les DSI (Digital Sequence Information) et les COV (certificats d’obtention végétale) génotypiques. Il propose enfin une perspective large de ce que pourraient couvrir les droits de propriété intellectuelle sur toute forme du vivant à plus long terme.
L’objectif de ce dossier est d’inviter nos lecteurs à réfléchir à ces enjeux, en tant que témoins et en tant qu’acteurs de ces changements, pour envisager un futur où l’innovation technologique ne brutaliserait pas le vivant et l’éthique du vivant. Ce numéro, nous l’espérons, éclairera aussi certaines zones d’ombre et stimulera un débat nécessaire pour l’avenir de nos sociétés.