OGM et allergie : questions en suspens
L’introduction des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) dans l’agriculture et l’alimentation pose, entre autres, la question de leur innocuité d’un point de vue sanitaire. Cette question recoupe plusieurs aspects : la toxicité des aliments, la résistance des bactéries aux antibiotiques, et celle que nous traitons plus particulièrement dans ce dossier, la relation entre OGM et allergie.
Le mot « allergie » (du grec allos – autre – et ergos – action) définit une réaction immunitaire excessive dirigée contre une substance étrangère (antigène) considérée par l’organisme, souvent à tort, comme ennemie, et appelée dans ce cas allergène. Celui-ci entre en contact avec le système immunitaire de l’appareil digestif [1]. A l’heure actuelle, les études réalisées ne permettent pas de conclure si les aliments issus d’OGM sont plus ou moins allergisants que les aliments traditionnels correspondants.
Allergies alimentaires en augmentation
On constate que le nombre d’allergies est en augmentation depuis un siècle, avec une forte accentuation ces dernières années. D’après Jean-Michel Wal (Inra), « les urgences allergiques ont été multipliées par cinq en quinze ans ». Les causes semblent être liées au phénomène de l’industrialisation de notre société et surtout, de notre alimentation : les allergies alimentaires sont fréquentes dans tous les pays développés, avec une moyenne générale de 3% à 4% et de 8% en population pédiatrique. La fragilisation des individus dans nos sociétés modernes « sur-protégées », due aux modifications rapides de notre environnement (pollution atmosphérique, stress, surmédication…), explique aussi cette augmentation des allergies.
La grande majorité des allergies identifiées sont provoquées par des aliments appartenant à 8 groupes : cacahuète, soja, fruits à coques, lait, œufs, poisson, crustacés et blé [2]. Leur étude montre que l’allergénicité (ou potentiel allergique) d’un aliment est pratiquement toujours dû à un grand nombre de protéines (généralement des glycoprotéines). De plus, une protéine allergénique présente généralement plusieurs sites capables de déclencher des allergies. La liste des allergènes est donc quasiment infinie. Cependant, les cas d’allergies les plus courants sont connus et répertoriés.
Or l’industrie agroalimentaire a non seulement mélangé abondamment des substances d’origines diverses (par exemple, on trouve du kiwi dans des petits pots pour bébés) sans étiquetage systématique, mais elle a aussi créé de nouvelles substances de synthèse, sans que des contrôles poussés précèdent leur mise sur le marché. Les OGM s’inscrivent dans ce processus d’industrialisation croissante de l’alimentation. Les produits qui contiennent des OGM sont généralement hautement manufacturés. Il est donc difficile de déterminer quel élément précis d’un produit déclenche la réaction allergique. Sachant que les premiers OGM sont apparus sur le marché en 1996, le recul est aujourd’hui insuffisant.
L’Association Médicale Britannique [3], dans un rapport publié en mai 1999, préconisait l’institution d’un moratoire sur les OGM en attendant que de nouvelles recherches permettent, entre autres, de déterminer le véritable pouvoir allergène des OGM. De même, dans son annexe au rapport de la Commission du Génie Biomoléculaire de 1999, Gilles Eric Séralini notait le manque d’analyses toxicologiques sérieuses faites lors de l’instruction des demandes de mise sur le marché des OGM.
Le potentiel allergène des OGM
La première source d’allergie possible par les OGM est liée à l’insertion d’un gène qui synthétiserait une protéine allergène.Autrement dit, l’OGM recevant un gène extérieur peut devenir allergène. Dans le cas des OGM, le caractère « caché », car directement inséré dans le génome d’une plante, est plus pernicieux.
Ainsi, une personne allergique à un produit donné X, risque de déclencher une réaction allergique en consommant un quelconque produit Y dans lequel le gène allergisant de X a été inséré.
Ce cas n’est pas un simple cas d’école. En effet, en 1996, l’entreprise Pioneer Hi-Bred a transplanté un gène de la noix du Brésil dans le génome d’un soja destiné au fourrage [4]. Le but était de donner à ce soja une meilleure composition protéique (augmentation de la teneur en méthionine). Or, des recherches ont révélé que le gène inséré codait pour la production de la protéine responsable de l’allergie à la noix du Brésil chez l’homme. Dans ce cas précis, où une étude poussée démontrant le risque allergénique a eu lieu, le danger a pu être écarté : Pioneer a décidé de ne pas commercialiser cette variété de soja. Cependant, pour un OGM détecté comme produisant un allergène connu, combien ne le sont pas lors des procédures d’autorisations ? En effet, ces dernières n’imposent pas de tests toxicologiques chroniques et, aux États-Unis comme au Canada le principe de l’ »équivalence substantielle » domine en matière d’autorisation. Ce principe, défini par l’OCDE en 1993, se fonde sur l’idée que les produits alimentaires qui ont fait la preuve de leur innocuité peuvent servir de référence. La comparaison entre cette référence et un aliment transgénique permet de déterminer s’il y a ou non équivalence en substance. Ce principe permet donc de classer au même rang un aliment issu d’OGM et un aliment conventionnel, si les taux de nutriments du produit transgénique équivalent à ceux du produit conventionnel. Ce concept est régulièrement critiqué par des scientifiques, par exemple par une équipe gouvernementale hollandaise qui estime que « l’analyse de la composition chimique d’un aliment ne suffit pas à prouver l’introduction de nouveaux risques génétiques, biochimiques, immunologiques » qui pourraient lui être inhérents.
De plus, la noix du Brésil, connue pour son caractère allergène, a permis d’amener à la réalisation de tests in vivo. Mais qu’en est-il pour des gènes issus d’organismes étrangers à l’alimentation traditionnelle de l’homme ?
Prédire avec certitude le caractère allergène d’un nouveau produit est aujourd’hui impossible. Les travaux de Marion Nestle montrent que le caractère allergène d’une nouvelle protéine est « incertain, imprévisible et intestable » [5]. En effet, pour déterminer l’allergénicité d’une protéine, il faut effectuer un certain nombre de tests concernant les caractéristiques physiques, chimiques, la résistance à la chaleur et à l’acidité, la vitesse de dégradation enzymatique, le taux de corrélation des séquences peptidiques avec des protéines allergéniques connues. Mais, même s’ils en donnent une idée, ces tests ne permettent pas de prédire avec certitude le caractère allergène d’une protéine. En effet, d’une part les structures tridimensionnelles des protéines ne sont pas étudiées et, d’autre part, le nombre de séquences peptidiques allergènes répertoriées dans les banques de données est encore réduit. De plus, des mutations, même ponctuelles, de la séquence en acides aminés ou des modifications post-traductionnelles peuvent avoir une incidence importante sur l’allergénicité. Ainsi, Denise-Anne Moneret Vautrin explique qu’ « on ne sait actuellement pas ce qui pourrait prédire qu’une protéine est allergène » [6].
La transgenèse responsable ?
La transgenèse n’est pas une technique complètement maîtrisée.Ainsi, lors de la création d’un OGM, les scientifiques ne savent pas si le transgène a intégré ou non le génome-hôte. On ne sait pas non plus avec précision et a priori la position du gène étranger dans le génome, ni son expression, ni l’influence possible sur d’autres gènes. La dernière incertitude concerne l’évolution des gènes dans le temps. La stabilité à moyen terme reste à ce jour inconnue. Anne Briand Bouthiaux explique que : « la cause principale de l’instabilité des lignées transgéniques est sans doute le caractère hasardeux de l’insertion du transgène, générateur d’effets génétiques secondaires inattendus » [7].
Ces caractéristiques de la transgenèse soulèvent quelques questions. En effet, comme on ne connaît que peu l’ensemble des interactions géniques, on ne peut déterminer avec précision ce qui résultera d’une modification génétique. Ainsi, un gène, placé à deux endroits, produira soit deux protéines différentes, soit la même en quantité différente. Dans les deux cas, des allergènes peuvent apparaître sans avoir été voulus, ni prévus. En effet, la variation en quantité de protéines peut ou non déclencher une réaction allergique. On peut également, lors de l’insertion d’un gène, voir apparaître l’expression d’un gène inactif dans l’organisme naturel qui peut, à terme, apporter un caractère allergène nouveau.
Risque allergène et traçabilité des OGM
La récente affaire du maïs Starlink [8] peut donner une idée des problèmes liés à la contamination d’un OGM potentiellement allergène dans l’alimentation. En septembre 2000, le Groupe Genetically Engineered Food Alert découvre dans différents produits destinés à la consommation humaine du maïs Starlink. Ce maïs, créé par Aventis CropScience, produit la protéine Cry9C, donnant au maïs un caractère insecticide (contre la Pyrale). La FDA (Food and Drug Administration aux États-Unis) l’autorise pour l’alimentation animale mais, en raison de risques d’allergies, l’interdit à l’alimentation humaine. En effet, la protéine Cry9C n’est pas dégradée par la chaleur ni par les enzymes digestives : elle est donc un candidat idéal à la création d’allergies.
Cette contamination entraîne un nombre record de « rappels » : au moins 300 types de produits ont dû être retirés du marché.Vu la rapidité de la dissémination des OGM (pollinisation ou manque de ségrégation des filières), l’allergène peut se propager facilement et de façon incontrôlée. A ce jour, 44 plaintes ont été déposées contre le maïs Starlink après des manifestations allergiques. Les différentes études menées ont abouti à des résultats totalement opposés quant au caractère allergène du Starlink. Selon l’EPA (Agence de protection de l’environnement aux États-Unis), la protéine Cry9C possède un potentiel allergique « modéré ». Le centre américain de contrôle des maladies (CDC) a conclu qu’aucune donnée ne permet de prouver qu’il existe un lien entre la protéine Cry9C et les allergies mais qu’il n’est pas impossible que des personnes aient eu des réactions allergiques au Starlink. Enfin, M Kawata de l’université de Nagoya, au Japon, dénonce le protocole utilisé pour les analyses de la protéine Cry9C (notamment par rapport aux échantillons témoins) et affirme que les tests de non allergénicité ne sont pas valides [9]. Suite à ces querelles d’experts, la FDA a conclu en juillet 2001 à l’absence de données suffisantes pour démontrer l’innocuité du Starlink, et a donc reconduit l’interdiction de ce maïs pour l’alimentation humaine.
Contrairement aux allergies dues aux acariens ou au pollen, aucune méthode de désensibilisation n’existe pour les allergies alimentaires. Des tests sériques pourraient être effectués, mais vu le coût de ce genre d’analyses ils restent difficilement envisageables dans un contexte de compression des dépenses de santé. La seule méthode fiable pour prévenir les réactions reste d’éviter l’aliment en cause.
Pour cela, il serait nécessaire de mettre en place une traçabilité et un étiquetage précis des OGM afin de permettre aux personnes allergiques d’éviter autant que possible les aliments incriminés. Mais l’étiquetage doit non seulement indiquer la présence d’OGM mais surtout quel OGM, avec quelle modification génétique, produisant quelle protéine… Seul un tel étiquetage permettrait également aux médecins-allergologues un meilleur suivi des substances à risques.
Les promoteurs des OGM argumentent que l’introduction d’aliments exotiques non OGM (comme le kiwi) n’ont pas non plus fait l’objet d’études allergéniques. La grande différence est qu’il est totalement impossible d’éviter ces produits allergènes s’ils sont dissimulés dans une construction génétique.
Comme nous venons de le voir un OGM, de par sa construction, introduit une source supplémentaire de risque en matière d’allergie : qui décidera s’il vaut réellement la peine d’être couru ? Et comment sera-t-il évalué ? Qui sera responsable au final en cas de problème allergique majeur ?
[2] Les causes d’allergies : oeuf (34% des cas d’allergie alimentaire), arachide (25%), lait (8%) et poisson (5%), http://www.afssa.fr/ftp/basedoc/All…
[3] Association médicale de Grande-Bretagne, ’The Impact of Genetic Modification on Agriculture, Food and Health (An Interim Statement)’, mai 1999, p. 8.
[4] « Identification of a Brazil nut allergen in transgenic soybean », Nordlee, J. et al., New England Journal of Medicine n°334, p. 688-692, 1996
[5] « Allergies to transgenic foods », New England Journal of
Medicine, n°334, p. 726-728,1996.
[6] Denise-Anne Moneret Vautrin, Service immunologie clinique et
allergologie, CHU de Nancy, a.moneret-vautrin@chu-nancy.fr
[7] « OGM, brevets pour l’inconnu », 2001, éd. Faton, p.42