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La conférence d’Asilomar 2025, un miroir aux alouettes
La conférence d’Asilomar (Californie, États-Unis) sur « l’ADN recombinant » a été organisée en 1975 par des chercheurs en biologie moléculaire. Elle visait alors à définir les conditions de sécurité nécessaires pour la manipulation des bactéries génétiquement modifiées peu de temps après les premières tentatives de transgénèse.
Aujourd’hui, les avancées biotechnologiques, associées à d’autres technologies telles que l’« intelligence artificielle », constituent surtout, malgré leurs promesses médicales, agricoles et environnementales, une épée de Damoclès au dessus de tout le vivant. En 2025, une nouvelle conférence d’Asilomar n’a pu aboutir à une déclaration commune des participants.
Les 50 ans de la conférence d’Asilomar permettent de recontextualiser les conditions de sa tenue et d’évoquer les craintes de l’époque. D’autres conférences ont suivi dans le sillage de la première et celle de février 2025, intitulée « l’esprit d’Asilomar », est l’occasion pour Inf’OGM de faire le point sur certains de ses aspects, notamment sociétaux et éthiques.
Début des années 1970 : les balbutiements de la transgénèse
En 1971, suite à la découverte des enzymes de restriction, « outils » permettant comme l’actuel Crispr/Cas de fractionner l’ADN, le biochimiste Paul Berg1 et ses collaborateurs de l’Université de Stanford (États-Unis) prévoient d’insérer dans le génome de la bactérie Escherichia coli un fragment d’ADN du virus SV40, un virus simien2. En fait, une étape intermédiaire était nécessaire, impliquant un virus qui attaque les bactéries, le bactériophage lambda3. C’était une des premières tentatives connues de transgénèse, appelée alors « clonage » de gène ou techniques d’ADN recombinant. La dernière étape, qui consistait à placer l’ADN recombiné dans Escherichia coli, n’a cependant pas pu être achevée dans l’expérience originale. Pourquoi ?
Ces prouesses techniques provoquaient des inquiétudes. Un collègue de Berg4 attira son attention sur le fait que le SV40 était connu pour provoquer le développement de tumeurs cancéreuses chez la souris ; ces manipulations ne risquaient-elles pas de créer des bactéries cancérigènes pouvant s’échapper des laboratoires ? Plus tard, en 2008, Paul Berg écrira : « nous avons donc décidé de reporter nos expériences jusqu’à ce que nous soyons certains que ce risque était inexistant. La plupart des chercheurs, comme moi, reconnaissaient que cette nouvelle technologie ouvrait des perspectives extraordinaires pour la génétique et pourrait à terme déboucher sur des opportunités exceptionnelles dans les domaines de la médecine, de l’agriculture et de l’industrie. Mais nous admettions que la poursuite effrénée de ces objectifs pourrait avoir des conséquences imprévues et néfastes pour la santé humaine et les écosystèmes terrestres »5.
Ce souci des risques fut à l’origine d’un moratoire sur ces manipulations génétiques en vertu d’un tout jeune « principe de précaution » : « si nous avions un tant soit peu de courage, nous dirions aux gens de ne pas mener ces expériences tant que nous ne savons pas où cela nous mène », suggérait en 1974 le biologiste Norton Zinder6. Leurs craintes étaient surtout motivées par le risque que leurs recherches puissent aboutir à d’éventuelles armes biologiques, l’ombre du projet Manhattan7 étant encore prégnante.
La conférence d’Asilomar de 1975
Organisée aux États-Unis, cette conférence d’Asilomar de février 1975 a abouti à lever le moratoire et établir des « règles de sécurité ». L’ère du « génie génétique », puis des biotechnologies, pouvaient commencer. Comment expliquer ce changement de cap ?
Cette conférence internationale réunissant environ 150 personnes, pour la plupart biochimistes ou biologistes moléculaires, dont certains initiateurs du projet comme Paul Berg, fut tenue à huis clos. Des avocats, des journalistes, quelques responsables politiques et des médecins étaient également présents. En revanche, aucun responsable en sciences sociales, ni philosophe, n’étaient là.
Ainsi, par le choix du huis clos et des participants, les organisateurs « ont délibérément réduit les discussions aux risques techniques, contournant des défis sociétaux et éthiques plus larges pour rendre la question plus gérable pour l’autorégulation »8. On était entre soi.
La conférence fut cependant houleuse d’après Paul Berg, certains voulant maintenir le moratoire. Mais un tournant dans les discussions eut lieu : « ce qui a bouleversé le débat, c’est la suggestion d’attribuer une estimation des risques aux différents types d’expériences envisagées, et d’appliquer des lignes directrices de sécurité de manière différente en fonction du degré de risque »9.
Il s’agissait alors essentiellement de mettre en place des mesures de confinement, d’éducation du personnel de laboratoire, de mettre en place des barrières biologiques entre les micro-organismes génétiquement modifiés et l’espèce humaine… en bref : gérer les risques et faire confiance aux scientifiques du domaine, qui sont censés maîtriser leurs manipulations ; un leitmotiv toujours d’actualité.
Par ailleurs, cette conférence n’a jamais considéré les impacts écologiques et socio-économiques, notamment agricoles, et n’a pas anticipé l’appropriation du vivant par le brevetage de gènes et d’organismes. Quant aux risques sanitaires, ils ne prenaient pas en compte les phénomènes épigénétiques peu considérés dans les années 70, époque du « tout génétique ». L’année même de la conférence, Robert Sinsheimer, biologiste moléculaire, affirmait : « à Asilomar, aucune réflexion explicite n’a été menée sur les implications sociales ou éthiques plus larges que pourrait avoir le lancement de cette ligne de recherche, sur son rôle en tant que prélude possible à une ingénierie génétique à plus long terme et à plus grande échelle de la flore et de la faune de la planète, y compris, à terme, de l’Homme »10.
De nos jours, l’explosion des biotechnologies, des nanotechnologies et du numérique rebat les cartes. D’autant plus que le secteur privé devient omniprésent dans ces domaines, avec beaucoup d’exigences pécuniaires, ce qui n’était pas ou peu le cas en 1975.
L’« esprit d’Asilomar » de 2025
Le sommet « L’esprit d’Asilomar et l’avenir de la biotechnologie » s’est tenu à Asilomar du 23 au 26 février de cette année 2025, à l’occasion du 50ème anniversaire de la réunion internationale de 197511.
La présentation de cet esprit d’Asilomar 2025 est séduisante, car les préoccupations éthiques actuelles y sont présentées, et ce en lien avec des citations des chercheurs qui avaient préparé la conférence de 1975.
A la lecture des thèmes abordés, la tâche s’annonçait ardue : « la recherche sur les agents pathogènes et les armes biologiques, l’intelligence artificielle et la biotechnologie, les cellules synthétiques, les biotechnologies au-delà du confinement conventionnel, la définition de l’avenir des biotechnologies »12. Dans un petit résumé édité par la revue scientifique Cell13, on peut cependant lire que les intérêts des entreprises entraient en compte…
La réunion de 2025 fut, comme en 1975, un événement à huis clos avec 300 participants sélectionnés, dont des représentants des sciences sociales, de l’art, du journalisme et des ONG, mais surtout beaucoup de chercheurs dans les nouvelles biotechnologies, la biologie de synthèse et l’« intelligence artificielle » (IA), qui serait maintenant « bénéfique ». Une conférence organisée à Asilomar par le Future of Life Institute (Institut pour le Futur de la Vie) en 2017 avait d’ailleurs établi des principes pour encadrer une IA « éthique », dont Elon Musk est signataire14.
Dans l’esprit de la conférence de 1975 fondée sur la crainte des risques potentiels pour la santé humaine, celle de 2025 met en avant la balance bénéfices/risques des nouvelles technologies pour la société humaine. Ceci valide de fait ces technologies : leur remise en question n’est pas au programme, aucune suggestion de moratoire comme au début des années 70,… On peut y voir un recul idéologique.
Les potentialités transhumanistes de la biologie de synthèse et des algorithmes demanderaient pourtant une réflexion en amont des réalisations. On en est, par exemple, à imaginer faire revivre une espèce disparue par manipulations génétiques, biologie de synthèse, ou en utilisant des cellules souches (dites IPS)15. On envisage même une « résurrection des morts » par l’IA : un algorithme entraîné serait capable de retrouver des traces numériques du défunt sur Internet et ses proches pourraient alors dialoguer avec lui16 ! Dans une perspective tout aussi réductionniste, il est question de faire des jumeaux numériques des êtres vivants pour résoudre des problèmes médicaux17, alors que toutes les composantes du vivant ne peuvent être numérisées et que beaucoup d’entre-elles sont inconnues.
Ces considérations ont-elles été prises en compte à la conférence d’Asilomar de cette année ? Aucune déclaration recensant les conclusions de la conférence n’a été publiée. Quelques demandes d’engagement ou requêtes sont cependant présentées18.
Pour les micro-organismes pathogènes par exemple, nous voyons des préconisations envisagées pour l’évaluation des bénéfices/risques, la maîtrise et la transparence des expérimentations, des scénarios en cas d’échappement des labos… L’utilisation de la bio-ingénierie dans la conservation des espèces est encouragée, à condition d’être inter-disciplinaire. Concernant la dissémination des OGM dans l’environnement, il s’agit d’atténuer les risques tout en maximisant les avantages ! La requête concernant l’IA est claire : « les progrès de l’IA promettent d’accélérer considérablement les découvertes et les innovations biologiques bénéfiques et constitueront sans aucun doute l’une des contributions les plus importantes de l’IA à l’humanité et à la société. Cependant, les méthodes d’IA peuvent également augmenter les risques d’accidents et permettre des activités malveillantes visant des applications délibérément nuisibles, telles que le développement d’armes biologiques ». Suivent alors quelques recommandations non contraignantes encadrant cette technologie.
Cependant; une requête retient notre attention. Elle « reconnaît qu’il existe des expériences et des objectifs expérimentaux qui ne devraient pas être entrepris ou poursuivis car les risques, tels qu’ils sont compris, l’emportent largement sur les avantages potentiels. Ces expériences et ces objectifs devraient être définis par des « lignes rouges » que les praticiens de la science ne franchiront pas ». L’emploi du conditionnel est ici significatif.
En résumé, les technologies sont acceptées sans être questionnées sur leur existence. Des vœux et des garde-fous sont simplement proposés. Une maîtrise totale et un réductionnisme à toute épreuve se lisent en filigrane.
Enfin, la requête sur les modifications génétiques dans l’espèce humaine est vide : elle fait appel à un débat international. Nous rappelons qu’une déclaration contre la légalisation de la modification génétique humaine appelée International Coalition to Stop Designer Babies a été écrite et soumise à signature19.
A lire le témoignage d’une personne présente à la conférence20, le sujet principal tout au long des discussions n’était pas la sécurité ou l’éthique, mais comment remédier au manque de confiance du public dans la biotechnologie. On relève des propositions variées : faire jouer ses relations publiques, encourager l’« innovation éthique » ainsi qu’une « technologie fondée sur la communauté »… D’après cette participante, lorsque la suspension du financement de certaines de ces technologies par la Darpa (agence de recherche de l’armée étasunienne) à été évoquée, quelqu’un a répondu : « alors, nous n’aurions plus de projets ». Quant aux risques, ceux qui ont été constatés venaient principalement de « mauvais acteurs ».
Cette conférence de 2025 n’est donc pas à la hauteur des exigences morales, éthiques et intellectuelles que l’on pouvait en attendre. Le manque de déclaration commune serait-il alors un aveu d’échec ? Elle s’intègre par contre tout à fait dans dans une fuite en avant transhumaniste dominée par les intérêts économiques. Et si tout cela n’était qu’un miroir aux alouettes savamment monté ?
1 Prix Nobel de Chimie en 1980.
2 Virus Simien Vacuolant, à ADN découvert chez le macaque Rhésus et retrouvé dans des vaccins contre la poliomyélite.
« Virus simien 40 – Définition », Techno-Science.net.
3 L’année suivante, un autre chercheur perfectionnera cette technique en utilisant un vecteur, une petite molécule d’ADN circulaire, un plasmide capable de se reproduire toute seule au sein de la bactérie.
4 Robert Elliot Pollack, biologiste et philosophe.
5 Berg, P., « Asilomar 1975: DNA modification secured », Nature n°455, p.290–291, 2008.
6 The Spirit of Asilomar and the Future of Biotechnology
7 Mise au point de la bombe A aux États Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale.
8 Pat Thomas, « Frankenfoods – Chewing Over a Polarised Debate », A bigger conversation, 18 décembre 2024.
9 Berg, P., « Asilomar 1975: DNA modification secured », Nature n°455, p.290–291, 2008.
10 The Spirit of Asilomar and the Future of Biotechnology
11 « Summit | “The Spirit of Asilomar and the Future of Biotechnology” », Inf’OGM.
12 The Spirit of Asilomar and the Future of Biotechnology, « Program ».
13 Molla, Kutubuddin A. et al., « The Spirit of Asilomar: lessons for the next era of biotechnology governance », Trends in Biotechnology, Volume 43, Issue 8, p.1809 – 1812, août 2025.
14 Alexis Orsini, « Les « 23 principes d’Asilomar » veulent encadrer le développement de l’intelligence artificielle », Numerama, 1er février 2017.
15 « Un mammouth 2.0 pour sauver le climat ? », Inf’OGM, 17 septembre 2025.
Zoé Jacquinot et Olivier Leduc, « Bioéthique : qu’est-ce qui se cache derrière les cellules iPS ? », Inf’OGM, 10 février 2020.
16 Valérie Mils, « Du rite funéraire au deadbot, notre lien aux morts réinventé », Muséum de Toulouse, 16 janvier 2025.
17 Annick Bossu, Hervé Le Meur et Eric Meunier, « Vivant numérisé et technologisé : ayez confiance ou taisez-vous ! », Inf’OGM, 11 mars 2021.
18 Rice Research Repository, « 2025 « The Spirit of Asilomar and the Future of Biotechnology » », 2025.
19 International Coalition to Stop Designer Babies, « Déclaration internationale contre la légalisation de la modification génétique des êtres humains », 2025.
20 Save Our Seeds, « The new “Spirit of Asilomar”: Move fast, don’t ask questions », GMWatch, 15 mai 2025.
La conférence d’Asilomar (Californie, États-Unis) sur « l’ADN recombinant » a été organisée en 1975 par des chercheurs en biologie moléculaire. Elle visait alors à définir les conditions de sécurité nécessaires pour la manipulation des bactéries génétiquement modifiées peu de temps après les premières tentatives de transgénèse.
Aujourd’hui, les avancées biotechnologiques, associées à d’autres technologies telles que l’« intelligence artificielle », constituent surtout, malgré leurs promesses médicales, agricoles et environnementales, une épée de Damoclès au dessus de tout le vivant. En 2025, une nouvelle conférence d’Asilomar n’a pu aboutir à une déclaration commune des participants.


