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INTERNATIONAL – Le monde selon l’Isaaa : des OGM toujours aussi merveilleux

Par Christophe NOISETTE

Publié le 13/02/2009, modifié le 27/02/2025

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Tous les ans, l’Isaaa [1], organisation de promotion des biotechnologies végétales dans les pays dits en développement, publie un rapport qui fait la synthèse des surfaces cultivées avec des plantes GM, et qui, à travers des calculs énigmatiques, démontre le bien fondé des OGM pour l’environnement et les économies des pays pauvres. Le rapport est truffé d’hypothèses, d’estimations, il laisse d’année en année les mêmes interrogations : comment ces chiffres sont-ils construits ? Quelles sont les sources de l’Isaaa ? On n’en saura pas plus cette année, mais cet exercice de communication reste intéressant à décrypter.

L’Isaaa annonce donc qu’en 2008, « 13,3 millions d’agriculteurs répartis dans 25 pays ont cultivé 125 millions d’hectares de cultures biotech », soit une augmentation de 9,6%. On notera donc déjà une première décélération de l’augmentation des surfaces. C’est la première progression en dessous de 10% depuis les années 2000. En 2007, l’augmentation a été de 12%, donc un peu moins qu’en 2006 (+13%). L’Isaaa souligne qu’il s’agit de la sixième plus forte progression depuis 13 ans (donc en fait, après décryptage, d’une « progression moyenne »). Qu’importe pour l’ISAAA : ce terme « plus forte » participe à l’idée que c’est beaucoup et que ça va vite.

Plus absurde encore, l’Isaaa, comme chaque année, cumule les surfaces cultivées avec des PGM… Ainsi, il y a trois ans, en 2006, l’Isaaa se félicitait que le premier milliard d’acres (donc 500 millions d’hectares environ) cultivés en PGM avait été atteint. Ce chiffre n’était que la somme des surfaces cultivées en PGM depuis 1996. Cette année, l’Isaaa réitère et annonce que le deuxième milliard d’acres a été atteint. L’Isaaa utilise parfois des hectares, parfois des acres, en fonction de la force symbolique qu’on peut voir dans ces chiffres. L’Isaaa termine en annonçant qu’en 2015, soit 20 ans après les premières cultures GM, le quatrième milliard d’acres cumulés sera atteint et estime qu’alors 40 pays cultiveront des OGM. Sur quelles bases ? Propagande au service des quelques peu nombreuses entreprises de biotechnologies ?

25 pays, mais une stabilité sans surprise

Sans surprise, les Etats-Unis représentent, toujours à eux seuls, 50% des cultures transgéniques mondiales et, alliés à l’Argentine, au Brésil, et au Canada, ils cumulent 86% des cultures transgéniques mondiales. La donne n’est donc en rien modifiée. Dans les 25 pays qu’annonce l’Isaaa, onze représentent à peine, ensemble, 100 000 hectares, soit 0,08% des surfaces transgéniques.

Sans surprise toujours, le soja GM domine. Il couvre plus d’une quarantaine de millions d’hectares en Amérique latine (soit environ un tiers des surfaces GM mondiales, pour une culture sur un continent). Il a même gagné un peu, passant de 51% de l’ensemble des cultures GM en 2007 à 53% en 2008 (soit plus de 6,2 millions d’hectares supplémentaires), au détriment du maïs. Le coton a lui aussi augmenté un peu, passant de 15 à 15,5 millions d’hectares. Mais, si on regarde sur quatre ans, alors c’est le maïs GM qui bénéficie de la plus forte progression (+120%, de 15,5 à 35,2 M Ha).

En 2008, le club des pays producteurs d’OGM a été rejoint par deux pays africains, l’Egypte (700 ha de maïs Bt) et le Burkina Faso (8500 hectares de coton Bt), et par la Bolivie qui a planté, selon le rapport Isaaa, 600 000 hectares de soja Roundup Ready. Enfin, en 2008, un pays a quitté ce club restreint : la France qui, en février 2008, a décidé d’interdire la culture du maïs Mon810 sur son territoire.

Le rapport de l’Isaaa se félicite du succès de l’Union européenne, annonçant +21% avec 107 000 hectares de PGM. Mais dans sa monographie, l’Isaaa oublie de mentionner le maintien des moratoires nationaux, l’augmentation des « zones sans ogm », la non autorisation, à la culture, d’autres PGM que le maïs Mon810 et l’opposition citoyenne forte. Mais surtout, selon l’ONG les Amis de la Terre qui publie un contre-rapport, les surfaces GM dans l’Union européenne ont diminué de 2%. Explication : le moratoire français a fait perdre 22 000 hectares de maïs GM à l’UE en 2008. Et surtout, la Roumanie a été exclue des données 2006 par l’Isaaa alors qu’elle cultivait 130 000 hectares de soja GM. Devenue illégale suite à l’adhésion de la Roumanie dans l’UE, cette culture a été plus ou moins abandonnée, d’où une baisse importante des surfaces, non prise en compte par l’Isaaa.

Au niveau des nouvelles PGM, l’Isaaa annonce l’arrivée de la betterave transgénique RR (tolérant le roundup) cultivée pour la première fois, aux Etats-Unis, en 2008, sur 258 000 hectares (soit 59% de la surface consacrée cette année à la betterave). Sur le site de l’USDA, section statistique, on trouve pour 2008 le chiffre de 1 090 800 acres (soit 545 400 ha environ). Si onutilise cette donnée, la part GM dans la betterave états-unienne descend à 47%. Petite différence qui ne change pas fondamentalement l’ordre de grandeur, mais étant donné que l’Isaaa ne donne pas ses sources, tout est sujet à caution… Et la confrontation avec certains chiffres officiels connus occasionnent des surprises ! Cette adoption rapide, quasi vertigineuse, cache une opposition forte à l’utilisation de cette betterave GM dans l’alimentation. Il faudrait alors savoir avec précision quelle est la part des betteraves GM qui a été consacrée à la production d’agro-carburant. En effet, suite à des campagnes citoyennes, plusieurs géants de l’agro-alimentaires ont prévenu qu’ils n’utiliseraient pas de dérivés de cette betterave (sucre…) dans leurs préparations [2].

La fin de la faim, un leitmotiv éculé…

Le fil conducteur du communiqué de presse de l’Isaaa est, cette année encore plus que précédemment, la question de la faim dans le monde et la crise alimentaire. Les vieux démons d’une révolution verte version génétique reviennent, jamais vraiment abandonnés par les promoteurs des OGM. Ainsi, là encore sans surprise, l’auteur du rapport, M. James, réitère que « les plantes biotech peuvent faire deux contributions importantes à la sécurité alimentaire mondiale », via l’augmentation des rendements et la réduction des coûts de production. Avec 9,2 milliards d’individus à nourrir en 2050, dit-il, les biotechnologies seront nécessaires. Or, il oublie de signaler que la faim n’a pas diminué en Argentine, pays qui consacre pourtant l’essentiel de ses terres agricoles au soja RR depuis plus de 10 ans.

Le rapport, même dans sa version courte [3], met en exergue le nouveau maïs de Monsanto « résistant à la sécheresse » [4], sans en dire le nom (mais le rapport annonce une sortie aux Etats-Unis en 2012, renvoyant directement au communiqué de presse de Monsanto récent relayé largement par les médias), et annonce que ce maïs, testé dans le Middlewest, servira aux agriculteurs d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine. Organisation de la confusion. On se rappelle les belles promesses du riz doré, qui devait nourrir les enfants indiens dès 2005 [5].

Le rapport, toujours dans sa logique d’accumulation, annonce que les PGM ont contribué à accroître l’offre et l’accès alimentaires, en augmentant la production de 141 millions de tonnes en douze ans, entre 1996 et 2007. Ce chiffre jamais détaillé dans le rapport, laisse rêveur. La production de soja RR, destinée en très grande majorité à l’alimentation du bétail avec l’augmentation de la consommation de produits carnés au niveau mondial (en Chine, en Inde, etc.) et l’interdiction concomitante des farines animales dans l’UE, a certes augmenté de façon exponentielle. Le marché a pour ainsi dire explosé mais la quantité de nourriture disponible n’a pas pour autant augmenté. La production de viande dans les pays développés reste excédentaire, entraînant des conséquences dramatiques dans certains pays du Sud, victimes d’importations à trop bas prix.

De même, pour prendre un dernier exemple, l’Isaaa se félicite du nombre d’agriculteurs indiens qui ont adopté le coton Bt (environ cinq millions, lit-on dans le rapport, qui cultivent 7,6 millions d’hectares). Or, les partisans des biotechnologies, quand on évoque des mauvais rendements du coton GM en Inde, affirment que la contrebande, le mélange, les fausses semences Bt, etc. font qu’au final peu d’agriculteurs indiens cultivent des semences GM certifiées. Pourtant, ces agriculteurs sont quand même mentionnés dans le rapport annuel. Deux poids, deux mesures ?

Comme toujours, après la lecture de ce rapport, le sentiment qui domine est la déception. En effet, il ne s’agit que d’un exercice d’empilement de données, disparates et non vérifiables dont le but n’est pas la connaissance de la réalité des OGM. Ce rapport n’a rien d’une étude scientifique, validée et référencée. Son but est simple : marteler que rien ne pourra arrêter la croissance des OGM, produits miracles qui sauvent le monde de la crise alimentaire et environnemental.

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