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Hauts plateaux algériens : supériorité des variétés paysannes de céréales*
En conditions de sol et de climat difficiles, les variétés paysannes montrent souvent une meilleure adaptation par rapport aux variétés créées dans des stations expérimentales présentant de biens meilleures conditions pédoclimatiques. Illustration avec des variétés de blé et d’orge, dans les Hauts Plateaux algériens.
Les Hauts Plateaux algériens sont les principales zones céréalières de l’Algérie. Bordés au Nord par l’Atlas tellien et au Sud par l’Atlas saharien, ces hauts plateaux parcourent en diagonale l’Algérie jusqu’au Nord-Ouest tunisien à une altitude moyenne de 1000 m. La végétation est de type steppique. Les étés sont arides et les hivers assez pluvieux (300 à 500 mm) mais rigoureux avec, en fin d’hiver et début de printemps, des risques de gel pouvant être préjudiciable aux céréales en montaison ou de vent venant du Sahara (le sirocco) pouvant les dessécher sur pied.
La majorité des 3 à 3,5 millions d’hectares de céréales annuellement cultivés dans ce pays se situe sur ces Hauts Plateaux. Les rendements moyens y sont faibles (le plus souvent moins de 10 q/ha [1]) et surtout fluctuent fortement, ce qui explique que la production de céréales de l’Algérie puisse varier de 1 à 4 comme le montre le graphique ci-dessous (source FAO).
Comme l’Algérie a en moyenne importé ces dernières décennies deux fois plus de céréales qu’elle n’en a produit, le rêve récurrent de certains responsables agricoles est de fortement augmenter la productivité des hauts plateaux dont les sols sont assez fertiles.
Avec cet espoir, des introductions de variétés issues de la révolution verte ont été tentées à très grande échelle sur les hauts plateaux dans les années 70-80 (variété phare, le Siete cerros en blé tendre) avec également quelques variétés européennes (comme le Strampelli en blé tendre).
Cette introduction des variétés de la révolution verte était décidée depuis Alger et mise en œuvre dans les domaines autogérés et les coopératives de réforme agraire (dans ces secteurs très administrés, les coopérateurs n’étaient que partiellement maîtres de leur assolement…).
Des variétés paysannes plus rustiques
Avec le recul, sur les hauts plateaux [2], les variétés paysannes locales (dont celles homogénéisées en station de recherche dans les années 30 comme les blés durs Hebda 3 et Bidi 17) ont, sur de nombreux aspects, montré leur supériorité par rapport à ces introductions externes qui n’ont obtenu des résultats satisfaisants que les années favorables et dans des situations bien spécifiques (sols les plus profonds et localisation des parcelles en dehors des couloirs de gel et de sirocco).
Ces variétés locales ont des noms de régions (par exemple, Saida en Orge, Oued Zenati en blé dur) ou de personne (comme Mohamed Ben Bachir en blé dur).
Par rapport aux variétés de la révolution verte, les rendements plus stables des variétés paysannes s’expliqueraient, de manière simplifiée, par leur plus grande rusticité. La plus grande profondeur de leur enracinement expliquerait en partie cette rusticité des variétés paysannes de blé dur ou d’orge [3].
Par ailleurs, les grains sont souvent moins nombreux par épi que les variétés de la révolution verte mais accusent une moindre sensibilité à l’échaudage, ce qui se traduit par un poids de mille grains (PMG) plus élevé et moins de pertes en son lors de l’usinage, surtout s’il est artisanal.
En blé dur, est observé par des agronomes de l’institut technique des grandes cultures (ITGC), « l’extraordinaire capacité de variétés du terroir à produire des grains avec une bonne vitrosité ». Le Dr Benbelkacem signale ainsi qu’en 1993, « les taux de mitadinage [4]dans la zone sub-littorale ont atteint 80%, à l’exception des variétés locales telles que Oued Zenati et Bidi 17 qui n’ont pas excédé les 5% » [5].
Enfin, la paille est généralement plus longue, ce qui très important pour les paysans des hauts plateaux qui, pour survivre, misent autant (sinon plus) sur leur troupeau ovin que sur les grains.
Les méthodes de culture ont également une incidence. On sait maintenant que le dry farming [6] très mécanisé (avec instruments à disques) largement pratiqué pendant et après la colonisation sur ces hauts plateaux a été très néfaste sur le plan environnemental. Il est aujourd’hui admis que le travail du sol doit être le plus réduit possible dans ces contextes pédo-climatiques afin de réduire l’érosion et les pertes en eau et en matière organique (quelques milliers d’hectares sont d’ailleurs maintenant en semis direct). Les apports d’engrais azotés doivent être aussi très limités car ils peuvent avoir des impacts négatifs sur les rendements (trop de feuillage et de pertes en eau, verse pour les variétés à paille longue, applications n’arrivant pas à temps aux racines vu les longues périodes de sécheresse…). Par contre, un apport de faibles doses d’engrais phosphatés induit un effet positif vu la faible teneur initiale en phosphore assimilable des sols calcaires des Hauts Plateaux.
Depuis les échecs des variétés de la révolution verte sur les Hauts Plateaux, des bilans ont été réalisés et plusieurs auteurs estiment que l’introduction répétée de ces variétés a réduit la riche diversité des blés durs du pays. Hazmoune [7] écrit ainsi en 2000 que « l’introduction de ce matériel génétique a fait régresser les variétés locales en les marginalisant pendant les années favorables avant de disparaître à son tour après les années défavorables. (…) Il s’avère nécessaire de retracer la réalité de cette érosion génétique et de proposer une alternative de réhabilitation de ce riche patrimoine en l’améliorant ».
Certes les qualités de ces variétés locales sont maintenant mieux reconnues (plusieurs publications de l’INA El Harrach ou de l’ITGC l’attestent) et elles sont utilisées dans des programmes de croisement avec des introductions étrangères ayant un potentiel plus important. Mais les variétés issues de ces croisements ne seraient que partiellement adaptées aux Hauts Plateaux.
L’histoire se répète pourtant et l’Office Algérien Interprofessionnel des Céréales (OAIC) a introduit, en 2015, 34 variétés de blés français [8]. Comme l’indique le directeur général de l’OAIC, « il s’agit de variétés de blés durs, blé tendres atteignant les 80 quintaux à l’hectare avec des pics allant parfois jusqu’à 110 quintaux »…
Un besoin de sélection participative ?
Plutôt qu’un nouveau mirage technologique, une solution plus adaptée aux problématiques de la céréaliculture des hauts plateaux algériens ne serait-elle pas d’associer des groupes d’agriculteurs de ces zones à des programmes de sélection participative ? [9].
Une approche de ce type a été mise en œuvre à la station ITGC de Khroub (station située à 700 m d’altitude au Sud de Constantine) par le Dr Abdelkader Benbelkacem qui a obtenu de bons résultats sur l’orge mais la législation semencière ne lui aurait pas permis d’inscrire les variétés produites.
Toutefois, un article de Janvier 2016 de la revue Agriculture [10] signé par Mohamed Zairi et al met en évidence l’intérêt des variétés Icarda obtenues par sélection participative pour les agro-éleveurs de la région de Sidi Bel-Abbès.
Le financement de tels programmes de sélection participative concernant toutes les céréales devrait à l’avenir être une priorité dans les zones de grandes cultures du Maghreb présentant de forts handicaps climatiques comme les hauts plateaux d’Algérie et de Tunisie.
[1] un quintal = 100 kg. Pour un ordre de grandeur, les rendements moyens de céréales en Europe tournent autour de 55 à 65 q/ha).
[2] Dans les plaines plus arrosées du littoral ou les zones de moindre altitude et moins exposées au gel et sirocco (par exemple, Guelma et Bas-Chelif), les contraintes pédoclimatiques sont moins fortes et les variétés de la révolution verte expriment mieux leurs potentiels. Toutefois, ces zones favorables sont de plus en plus cultivées en maraîchage et en arboriculture afin de faire face aux demandes croissantes de la population algérienne. Et dans ce pays où l’eau est rare (moins de 500 m3 par habitant pour tous les besoins contre 30 fois plus en France), il est généralement préférable de l’affecter à des cultures à haute valeur ajoutée plutôt qu’aux céréales.
[3] voir en blé dur, publications de Hazmoune, 1995 ou, en orge, de A. Khaldoun : « Étude des caractères d’enracinement et de leur rôle dans l’adaptation au déficit hydrique chez l’orge », A. Khaldoun, J. Chery, P. Monneveux, 1990, Agronomie, EDP Sciences, 1990, 10 (5), pp.369-379.
[4] Accident physiologique qui provoque l’apparition de portions farineuses dans l’albumen du blé dur, alors que celui-ci est normalement vitreux.
[5] Voir également sur ce sujet Cultures des céréales en Algérie : aspects techniques et économiques
[6] Le dry farming consiste à cultiver une année sur deux avec, l’année de non culture, un labour puis de nombreux passages d’outils à disque pour détruire les mauvaises herbes, affiner la terre, minéraliser la matière organique…
[7] Hazmoune T. – ITCG, Ferme Expérimentale du Khroub – « Erosion des variétés de blé dur cultivées en Algérie : perspectives » in Royo C. (ed.), Nachit M. (ed.), Di Fonzo N. (ed.), Araus J.-L. (ed.), « Durum wheat improvement in the Mediterranean region : New challenges », Zaragoza : CIHEAM – Options Méditerranéennes : Série A. Séminaires Méditerranéens ; n. 40, 2000, pages 291-294
[8] « L’Algérie introduit des variétés de semences à haut rendement« , Janvier 2015
[9] Voir méthodologie adoptée par Salvatore Ceccarelli, spécialiste de la sélection de l’orge à l’ICARDA, Centre international de recherche agronomique en zones sèches, initialement basé à Alep en Syrie. Voir aussi : , « La recherche participative : paysans et chercheurs, partenaires », Inf’OGM, 30 avril 2014.
[10] Revue Agriculture. Numéro spécial 1 (2016), 162 – 173.