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ETATS-UNIS – Portes tournantes 2 : le retour de Taylor à la FDA, après son passage chez Monsanto

Par Christophe NOISETTE

Publié le 21/08/2009, modifié le 27/02/2025

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Le 8 juillet 2009, la FDA, agence des États-Unis en charge de la gestion des médicaments et de l’agriculture, annonçait avoir embauché Michael Taylor, en tant que conseiller principal du commissaire. Or, Michael Taylor a été un cadre de Monsanto et la FDA est l’agence qui « valide » les produits notamment ceux de Monsanto. Conflit d’intérêt ?

Cette pratique des portes tournantes, ou chaises musicales, n’est pas une nouveauté pour lui. Comme le précise le site combat-monsanto [1], le parcours de M. Taylor est intéressant à plus d’un titre : avocat de formation, Michael Taylor a travaillé pour la FDA de 1976 à 1980, il participait à la rédaction des documents juridiques concernant la sécurité alimentaire pour le Federal Register. En 1981, il rejoint le cabinet King et Spalding d’Atlanta qui compte parmi ses clients le Comité international des Aliments et de la Biotechnologie (IFBC) et Monsanto. En 1990, M. Taylor a été chargé par l’IFBC de rédiger une proposition juridique sur la manière dont devraient être réglementés les OGM : ce texte sera ensuite repris par l’IFBC afin de défendre une politique minimum de régulation auprès de la FAO et de l’OMS. Le 17 juillet 1991, il est nommé administrateur adjoint, chargé de la politique de l’agence (Deputy Commissioner for Policy) de la FDA. Pendant son mandat, il supervisera la rédaction des textes fondamentaux concernant la réglementation de l’hormone de croissance laitière et des OGM. C’est à cette époque qu’apparaît la notion d’équivalence en substance dont de nombreux commentateurs lui attribue la paternité. En 1994, M. Taylor fait un court passage au ministère de l’Agriculture (USDA). Il devient ensuite le vice-président de Monsanto. Cette confusion des casquettes lui vaudra une enquête pour conflit d’intérêt, abandonnée sans plus de poursuite…

Taylor défendu par Marion Nestlé : une surprise

Malgré ce passé lourd, Marion Nestlé, directrice du Département de nutrition à l’Université de New York, connue pour ses positions prudentes vis-à-vis des OGM et ses travaux sur les allergies où elle démontre que le caractère allergène d’une nouvelle protéine est « incertain, imprévisible et intestable » [2], écrit sur son blog [3] : « Je sais que ce que je vais dire va surprendre, pour ne pas dire choquer, beaucoup d’entre vous, mais je pense qu’il [Taylor] est un excellent choix pour ce travail. Oui, je sais qu’il a travaillé pour Monsanto, non seulement une fois (indirectement) mais deux fois (directement). Oui, il est la première personne dont le nom est mentionné quand on parle des « chaises musicales » entre l’industrie alimentaire et le gouvernement. Et oui, il a finalisé la politique défavorable aux consommateurs de la FDA concernant l’étiquetage des aliments GM ».

Afin de se justifier, elle rappelle que Taylor, seulement six mois après avoir été nommé chef de la Sécurité alimentaire et du Service d’inspection (FSIS) au sein de l’USDA, lors d’un premier discours public à la convention annuelle de l’Institut Américain de la Viande (American Meat Institute), a annoncé que l’USDA serait maintenant piloté par des objectifs de santé publique, autant si ce n’est plus que par des préoccupations de productivité et que, dans chaque usine de production de viande ou de volaille, l’USDA exigerait le mise en place du système HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point, [4]), méthode et principe de gestion de la sécurité sanitaire des aliments. Dans ce discours il a aussi annoncé que la viande de bœuf cru devra être testée, et que toute viande contaminée devrait être détruite ou retraitée. Enfin, il a aussi précisé que, du fait du potentiel de contamination de la bactérie E. coli O157.H7 à très faibles doses, l’USDA considérera toute contamination de viande hachée, à n’importe quel niveau, comme dangereuse. Pour Nestle, ce discours montrait un réel courage politique. Elle considère donc Taylor comme une sorte d’intellectuel de la sécurité sanitaire des aliments. Elle poursuit en citant les nombreux articles rédigés par Taylor dans lesquels il explique comment les organismes de réglementation devraient superviser les entreprises de l’agro-alimentaire.

Le système Taylor critiqué

L’approche défendue par Taylor, notamment dans le rapport « Stronger Partnerships for Safer Food » [5], publié en avril 2009, ne fait pas l’unanimité chez les partisans d’un contrôle strict des industries. Premièrement Taylor entend déplacer la charge du financement de la sécurité alimentaire de l’Etat fédéral aux Etats et autres acteurs locaux. Or, les budgets locaux ou des Etats sont en grande difficulté du fait de la récession économique. Le journaliste Tom Philpott, de Grist, un service d’information sur les questions environnementales, rappelle que le scandale du beurre de cacahuète, en 2008 – 2009, qui a tué sept personnes et rendu malade plusieurs centaines d’autres, était lié au fait que la FDA avait sous-traité à l’Etat de Georgie l’inspection des usines incriminées. Mais plus fondamentalement, la critique du système Taylor porte sur le fait qu’il menace de mort les petites exploitations ou unités de production. Dans un rapport publié récemment, Food & Water Watch démontre que les règles sanitaires proposées signifient la disparition des abattoirs communautaires ou régionaux.

La directrice de Food & Water Watch, Patricia Lovera, ne partage donc pas l’enthousiasme de Marion Nestlé. Elle précise que « Taylor favorise fondamentalement une approche axée sur les risques, et nous pensons que ce n’est pas adéquat ». Lovera explique que dans une approche axée sur les risques, les organismes de contrôle concentrent leurs ressources limitées dans les domaines du système alimentaire qui constituent le plus de risque. Cela semble logique, dit-elle, mais les récentes expériences nous prouvent qu’il est difficile de prédire où les facteurs de risque se situent réellement. Avec le système HACCP, l’idée est d’identifier les points du processus industriel qui posent le plus de risques et de régler les problèmes. Lovera parle d’une « approche techno-corrective ». Autrement dit encore, le système HACCP ne détermine pas des normes contraignantes. Pour Patricia Lovera, le système défendu par Taylor aura comme conséquence de pénaliser les petits producteurs et renforce la concentration de l’industrie agro-alimentaire. Or, pour elle, cette concentration est une des causes des problèmes sanitaires.

En conclusion, Tom Philpott affirme [6] que « peut-être le nouveau chef de la FDA pourra sauver quelques vies. […] Mais ce dont nous avons réellement besoin, c’est un système de sécurité sanitaire qui permettent d’éviter les viandes avariées et les salmonelles dans le beurre de cacahuète sans menacer les petits producteurs. Et je ne pense pas que Taylor le fera ni même tentera de le faire. L’industrie sait qu’elle a besoin d’un système de sécurité, et les technocrates comme Taylor peuvent mettre en place un tel système de façon minimaliste, ce qui ne remettra pas en cause les marges de bénéfices et les parts de marché ».

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