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Des virus OGM comme outils de laboratoires disséminables dans l’environnement ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/04/2024

    
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Dans un article récent, des chercheurs détaillent plusieurs projets de modifications génétiques de virus en cours. Certains pourraient être volontairement disséminés dans l’environnement. Alors que le Parlement européen a demandé, le 7 février 2024, à la Commission européenne d’étudier une potentielle déréglementation de ces virus OGM, un premier tour d’horizon général et un peu brut des projets en cours semble nécessaire.

A l’instar des plantes, bactéries, levures ou encore animaux, les virus font l’objet de modifications génétiques. Comme en témoigne un article récemment publié1, les projets de recherche et développement avec de tels virus OGM se concrétisent. Si d’évidentes questions émergent quant aux risques sanitaires, environnementaux, voire de bioterrorisme, un premier tour d’horizon des projets en cours est nécessaire pour mieux appréhender ce sujet. D’autant que, dans les mois à venir, l’Union européenne pourrait se retrouver à discuter de la déréglementation complète des micro-organismes OGM, parmi lesquels les virus.

Utilisation de virus génétiquement modifiés : de quoi parle-t-on ?

Dès le début de leur article, les chercheurs, qui travaillent pour le ministère autrichien de l’Environnement et l’Agence fédérale allemande de conservation de la Nature, annoncent la couleur : « le spectre des scénarios d’utilisation possible de virus génétiquement modifiés est très large » ! En effet, le type et les objectifs des modifications génétiques possibles sont très variés. Les virus peuvent être modifiés génétiquement pour :

Des virus GM utilisés comme outils de laboratoire

La première utilisation identifiée par les chercheurs est l’utilisation de virus comme outils de laboratoire. Certains virus sont utilisés pour éteindre l’expression de séquences génétiques chez des organismes (notamment tomate, tabac, poivre ou Arabidopsis). Le principe général est d’utiliser des virus OGM pour introduire dans une plante des séquences génétiques issues du génome de la même plante. Cette séquence se retrouve alors exprimée en quantité « supérieure ». En réaction, la plante va éteindre l’expression de cette séquence. Les chercheurs peuvent ensuite étudier les effets liés à la non expression d’une séquence génétique végétale particulière.

Des virus GM utilisés comme vaccins

A l’inverse, plutôt que d’éteindre l’expression de protéines, des virus sont modifiés génétiquement pour exprimer différentes protéines ou partie de protéines. Les auteurs détaillent que les protéines désirées – transgéniques par définition – peuvent être des sous-unités, des parties de vaccins, des nanoparticules de protéines et des particules « similaires aux virus ». Des applications commerciales sont déjà envisagées. Un exemple donné est celui d’un baculovirus modifié génétiquement pour exprimer une protéine d’un virus infectant les carpes. Ce baculovirus transgénique va être utilisé pour infecter des cellules d’insectes cultivées in vitro. Ces cellules exprimeront à leur tour la protéine du virus infectant les carpes. Les poissons seront ensuite nourris avec les cellules d’insectes pour espérer induire une réaction immunitaire préventive. Ici, le virus n’est donc pas le vaccin mais un outil permettant d’espérer produire une protéine qui induira une réaction vaccinale.

Les auteurs rapportent finalement « différents types de vaccins pour un large éventail d’espèces animales ». Des projets portent sur des virus GM utilisables directement comme vaccins chez les volailles, les poissons, les porcs, les bovins et les poissons élevés de manière industrielle, mais également des populations sauvages. Ils indiquent également avoir identifié quelques projets de vaccins utilisant des virus GM pour les chiens, chats, moutons et lapins. De même qu’un projet pour vacciner un animal sauvage, le lion de mer de Steller (ou otarie de Steller), ou un autre chez des rongeurs africains pour lutter contre la fièvre de Lhassa..

Parmi ces projets, certains peuvent impliquer une dissémination dans l’environnement à proprement parler. Certains vaccins consistent par exemple en des virus génétiquement modifiés pour avoir un taux de réplication moins élevé, laissant ainsi le temps au système immunitaire de réagir avant que le virus ne se multiplie trop. D’autres sont utilisés comme vaccins mais ont, au contraire, toujours leur capacité de se répliquer. Les chercheurs précisent que de tels vaccins sont utilisés pour « prévenir ou traiter des maladies de zoonose ».

Des virus pour modifier d’autres organismes

Une autre utilisation de virus OGM mise en avant par les chercheurs est, cette fois, leur utilisation comme outil provoquant des modifications génétiques. A cette fin, les virus peuvent être utilisés comme vecteur pour permettre l’expression de « grandes constructions recombinantes », qui provoqueront des modifications génétiques. A titre d’exemple, les chercheurs parlent ainsi d’une « nucléase Crispr-Cas hypercompacte » vouée à être utilisée en thérapie génique. L’idée est de faire exprimer par un adénovirus (très utilisé comme vecteur, c’est-à-dire un transporteur, dans ce domaine) un « système Crispr miniature qui rentre dans le petit génome d’adénovirus ». Pour être efficace dans des cellules eucaryotes (le type de cellules du monde animal ou végétal), les séquences génétiques du système Crispr sont également modifiées génétiquement.

Pour résumer, des virus sont génétiquement modifiés pour faire exprimer par des cellules humaines infectées un complexe Crispr/Cas lui-même modifié qui, à son tour, modifiera le génome des cellules infectées.

Les auteurs de la revue donnent également l’exemple de virus qui sont génétiquement modifiés pour exprimer non pas le système Crispr complet, mais « seulement » l’ARN servant de guide pour un système Crispr/Cas. Ces virus GM infectent ensuite des plantes qui ont préalablement été génétiquement modifiées par transgénèse pour exprimer une nucléase Cas9. La nucléase exprimée par la plante transgénique utilisera alors l’ARN guide apporté par le virus pour modifier génétiquement la plante de façon à ce qu’elle ait « des mutations héritables », c’est-à-dire qui seront transmises aux générations suivantes.

Des virus GM comme « agents de biocontrôle »

« Seules quelques publications concernant l’utilisation de virus GM contre des pathogènes végétaux » ont pu être trouvées par les chercheurs. Un exemple chez les citronniers est donné. Basé sur la stratégie d’extinction de l’expression d’une séquence génétique, des chercheurs infectent des citronniers avec des virus génétiquement modifiés pour changer certains signaux visuels, olfactifs ou gustatifs. Cela aurait pour conséquence d’attirer la psylle asiatique des agrumes, un insecte « suceur de sève » qui attaque les citronniers en leur transférant des bactéries responsables de la maladie du huanglongbing. Ayant attiré les insectes, ces arbres joueraient le rôle de piège à insectes et permettrait « de faciliter le retrait des insectes à l’aide d’insecticides ou d’autres moyens ».

Face à la même maladie qui concerne différents agrumes (citronniers, orangers par exemple), des chercheurs testent depuis 2020, aux États-Unis, l’utilisation de virus génétiquement modifiés. Ces virus sont modifiés génétiquement afin d’exprimer une petite protéine d’épinard aux propriétés antimicrobiennes.

Quelques projets, qualifiés de biocontrôle pour contrôle biotechnologique, visent à « contrôler les insectes parasites en agriculture » en utilisant des virus OGM. De tels virus pourraient être utilisés comme insecticides. L’un des exemples donnés concerne par exemple le développement de virus iridescents de Chilo génétiquement modifiés pour être transformé en « un agent de contrôle plus puissant par insertion de gène de toxine ». Dans l’étude rapportée, la toxine choisie, et que le virus OGM exprime, cible les larves de la teigne Galleria mellonella. En 2015, un article scientifique faisait le point sur les baculovirus OGM utilisés comme insecticides2. Ces virus sont modifiés génétiquement pour produire différentes molécules insecticides, comme des neurotoxines ou des enzymes de dégradation.

Des travaux utilisant des virus génétiquement modifié infectant des bactéries (on les nomme bactériophages) ont également été identifiés. Des projets de virus bactériophages GM sont envisagés pour modifier « la spécificité des virus pour un hôte, véhiculer des substances antimicrobiennes, en thérapie humaine et vétérinaire comme pour des utilisations industrielles ». Parmi les approches envisagées, les chercheurs font part d’une proposition de chercheurs de l’Université de Wagenigen (Pays-Bas) de modifier génétiquement des bactériophages pour qu’ils « protègent ou soignent les plants et cultures horticoles (oliviers, vignes…) contre la bactérie pathogène Xylella fastidiosa ».

Les chercheurs ont également croisé, dans leur bibliographie, des approches de contrôle de populations animales par utilisation de virus GM. Les stratégies réfléchies consistent en une « immunocontraception », c’est-à-dire induire une réaction immunitaire qui va empêcher soit la production de gamètes, soit leur fertilisation par un autre gamète, soit le développement d’un embryon. Si des pré-études ont été faites pour cibler des rongeurs, lapins, crapauds de mer ou encore des carpes en Australie, plusieurs problèmes liés à la dissémination dans l’environnement seraient apparus : « durée de stérilité insuffisante, transmission du virus GM inefficace ». Les chercheurs précisent que ces approches utilisant des virus GM ont depuis été abandonnées.

L’ensemble des utilisations de virus génétiquement modifiés est donc assez large. D’outils de laboratoire, ces virus GM sont aujourd’hui utilisés ou utilisables en santé humaine (thérapie génique) ou animale (vaccination, contrôle de population…). Demain, leur utilisation en agriculture avec dissémination dans l’environnement pourrait devenir une réalité. Une réalité d’autant plus rapide si le législateur européen devait décider que ces disséminations de virus (comme celles de bactéries ou levures OGM) peuvent se faire sans aucun encadrement réglementaire…

  1. Michael F. Eckerstorfer et al., « Scanning the Horizon for Environmental Applications of Genetically Modified Viruses Reveals Challenges for Their Environmental Risk Assessment », International Journal of Molecular Sciences, 2024, 25, 1507. ↩︎
  2. Jeremy A. Kroemer et al., « Expression, Delivery and Function of Insecticidal Proteins Expressed by Recombinant Baculoviruses », Viruses, 2015, 7, pages 422-455. ↩︎
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