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Crispr/Cas9 : premier repas à base de nouveaux OGM en Suède

Par Christophe NOISETTE

Publié le 09/09/2016

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L’Université d’Umeå, en Suède, vient d’annoncer que « probablement pour la première fois, des plantes modifiées avec les « ciseaux génétiques » Crispr/Cas9 , avaient été cultivées, récoltées et cuisinées ».

Début septembre, le chercheur en biologie moléculaire, Stefan Jansson, a officiellement servi des tagliatelles accompagnées de chou génétiquement modifiés avec la technologie Crispr/Cas9 [1] à Gustaf Klarin, un journaliste de l’émission de jardinage « Odla med P1 » [2].

Stefan Jansson indique qu’il s’agit « probablement » du premier OGM Crispr/Cas9 consommé. Probablement ? Un adverbe qui laisse songeur et qui démontre que même les instituts de recherches les plus avancées dans ces modifications génétiques ne savent pas ce qui se passe exactement étant donné le développement ultra-rapide de ces nouveaux OGM. 

La modification génétique consistait à supprimer une protéine du chou, appelée PsbS, que le scientifique décrit comme « une vanne dite de sécurité dans la photosynthèse ». Interrogé par Inf’OGM, le chercheur nous précise que « cette modification a été faite pour des raisons purement scientifiques dans le cadre d’un projet de recherche pour comprendre la croissance des plantes et leur développement. Il n’y avait aucune intention que ce chou soit d’une utilité pratique ».

Le chercheur avait semé onze choux dans un jardin et non pas en laboratoire. Interrogé par Inf’OGM sur le devenir des autres choux, le chercheur nous répond qu’il a déjà prévu d’organiser deux autres dîners avec des journalistes dans les jours qui viennent et qu’« après, il ne restera peut-être plus rien ».

Le laisser-faire des autorités

Cette double expérimentation – culture et consommation – n’a pas été officiellement autorisée par une autorité ad hoc, nous précise le chercheur : « Je n’ai pas eu à faire une telle démarche car selon l’interprétation de notre Conseil de l’Agriculture, ces plantes ne relèvent pas de la définition juridique d’un OGM. Vous n’avez pas besoin d’autorisation si vous plantez des graines de carottes « normales » dans votre jardin ».

L’Université rappelle, dans son communiqué de presse [3], qu’en novembre 2015, le Conseil suédois de l’agriculture avait estimé que si un seul segment d’ADN a été supprimé et si aucun ADN étranger n’a été inséré, la plante ainsi modifiée ne devait pas être considérée comme un OGM. Or, cet avis avait été sollicité par deux chercheurs suédois, dont Stefan Jansson. Ces derniers avaient en effet induit «  une mutation dans le génome d’Arabidopsis thaliana par le biais de deux techniques de modification génétique différentes, la mutagenèse aléatoire et l’utilisation de Crispr/Cas9 » [4]. Inf’OGM rappelait alors que cet avis était étonnant « d’un point de vue purement juridique, la législation européenne ne s’intéressant pas uniquement à la modification génétique revendiquée (mutation, transgène, méthylation…) mais à l’ensemble du produit final (la totalité de son génome, de ses composants physiques, chimiques…) résultant du procédé de modification, seul moyen de tenter d’évaluer les effets non intentionnels de la modification, souvent peu visibles de prime abord ».

Soulignons enfin que l’avis d’un tel Conseil n’est pas une décision juridiquement contraignante. En l’absence de décision sur le statut OGM ou non OGM de ces plantes dans l’Union européenne, ne pouvons-nous pas parler de « politique du fait accompli » ? En effet, étant donné l’absence de démarche officielle, nous pouvons en conclure que les autorités ont laissé faire ce chercheur. Il est en effet hautement improbable qu’elles n’aient pas été au courant.

Crispr/Cas9 sauvera le monde

Sans surprise, l’Université précise dans son communiqué que « bien que ce repas n’ait nourri que deux personnes, il était une première étape vers un avenir où la science peut apporter aux agriculteurs et aux consommateurs à travers le monde des plantes plus saines, plus belles et plus rustiques  ». Le communiqué énumère un ensemble de promesses, tant au niveau de la précision de la modification génétique que de ses potentialités : grâce à Crispr/Cas9, finies les maladies héréditaires ! Et sur son blog, Stefan Jansson n’hésite pas à évoquer sa « modeste culture estivale de 2016 (…) [qui] constitue le début d’une diffusion d’un savoir visant à « sauver le monde » »…

Conscients des enjeux réglementaires, les chercheurs n’hésitent pas à annoncer la couleur : « la question n’est pas de savoir si les chercheurs peuvent créer des plantes qui permettent une agriculture plus durable, mais si celles-ci seront autorisées en agriculture »… En résumé, les chercheurs affirment que si les nouvelles plantes génétiquement modifiées sont régulées comme des OGM, alors elles seront illégales dans plusieurs parties du monde. Une phrase inexacte qui révèle l’objectif réel de ce repas. Le statut « OGM » ou non d’une plante n’implique pas son interdiction mais sa régulation, son évaluation et son étiquetage. A l’heure où le débat au niveau de l’Union européenne est vif sur le statut « OGM » ou non des plantes issues de ces nouvelles techniques de modification génétique, la prise de position des chercheurs n’a rien de scientifique mais fait partie d’une stratégie politique et de communication. Ce « repas » est donc tout simplement un acte de lobbying qui dénature et discrédite largement la recherche scientifique et une façon d’habituer les consommateurs, les médias et les responsables politiques à ces manipulations. D’autant que la recherche avait été réalisée dans le cadre d’une institution publique, et que la « pub » de ce repas a été largement diffusée par l’Université elle-même.

Une affaire de « gros sous » ?

L’Université insiste, dans son communiqué de presse, que « cela signifie aussi que la plante peut être cultivée sans autorisation préalable ». Et le chercheur, sur son blog, affirme que « il est également impossible d’établir si la modification a eu lieu spontanément ou suite à une intervention humaine. En fait, ce serait plutôt étrange d’avoir deux plantes qui sont exactement les mêmes, mais l’une est interdite et pas l’autre. C’est la seule interprétation raisonnable. Même si la plante devait être considérée comme OGM, il serait probablement impossible pour quelqu’un qui la cultive d’être condamné pour quelque chose qui ne peut pas être prouvé. Le principe fondamental doit être qu’un procureur doit être en mesure de prouver qu’un crime a été commis pour que la personne soit condamnée pour cela ».

Une position qui peut être remise en question tant sur le plan scientifique (voir l’article Inf’OGM sur le rapport provisoire du Comité Scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies [5], que sur le plan logique : comment imaginer que les détenteurs de brevets sur ces techniques et/ou ces plantes n’assureront pas une traçabilité de leur brevet, seul moyen de réclamer leur royalties ?

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