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Argentine – Un PGM : pays génétiquement modifié
Depuis 2023, la Commission européenne souhaite faire passer à la trappe la réglementation d’une large majorité de plantes génétiquement modifiées, évaluation des risques, étiquetage… compris. Pourtant, le bilan que présente l’Argentine qui a développé à grande échelle les cultures OGM n’apparaît pas enviable avec des conséquences sanitaires, sociales et environnementales très lourdes.
Dans un article très complet publié le 4 janvier 2024 dans The Conversation, Valéria Hernandez, anthropologue à l’Institut de Recherche et de Développement (France), montre comment l’Argentine actuelle a été façonnée autour du soja transgénique rendu tolérant au glyphosate. L’autrice s’attache à souligner le contexte politique et juridique de l’Argentine, qui l’a amené à être le premier pays d’Amérique latine à autoriser la culture de ce soja, dans les années 90, puis à développer de manière fulgurante la superficie allouée à ces OGM : « l’expansion du soja transgénique résistant au glyphosate a, de fait, grandement bénéficié de deux facteurs : d’abord le cadre juridique garantissant la libre circulation des biens, des services et des capitaux mais aussi la loi argentine sur les semences et les créations phylogénétiques de 1973 qui protège assez peu la propriété intellectuelle des semences car elle reconnaît le droit des producteurs à replanter leurs propres cultivars. […] ce qui a permis aux producteurs argentins de les acquérir à un prix bien inférieur à celui pratiqué par les grandes entreprises semencières »1.
La culture du soja transgénique va de pair avec l’utilisation massive du glyphosate et l’essor du modèle d’agriculture industrielle : c’est sur ce terrain que les multinationales, Monsanto en tête, ont remporté le jackpot. Les promesses des OGM argentins à la fin des années 90 de nourrir l’humanité n’ont pas été honorées, puisque la majeure partie de ces cultures nourrissent les animaux d’élevage des pays importateurs et non l’espèce humaine. Cerise sur le gâteau, l’agriculture argentine n’assure plus la sécurité alimentaire de sa population : « après quasi 30 ans des records annuels de production de soja, ce pays conserve plus du 40 % de sa population en dessous de la ligne de pauvreté. […] dans le pays surnommé le « grenier du monde » le gouvernement a dû lancer en 2019 le programme « Argentine contre la faim » […] [car] la population souffrant d’insécurité alimentaire est passée de 5,8 % a 13,1 % ».
A cela, l’autrice fournit quelques explications. Au début des cultures OGM, le modèle d’agriculture industrielle a pu permettre d’aider financièrement les plus précaires, mais, sur le long terme, il a aggravé la situation des familles paysannes, dépossédées de leurs terres et objets d’un chômage massif dans le secteur agricole.
Cet article ne fait pas l’impasse sur les dommages à l’environnement : déforestations et perte de puits de carbone augmentant l’effet de serre sur Terre, appauvrissement majeur des sols liés à la monoculture et aux pollutions chimiques (notamment à l’origine d’une chute des rendements), pollutions de l’air et des eaux, appauvrissement de la biodiversité et destruction d’écosystèmes. Ces constats n’ont malheureusement rien d’étonnant, puisque Valeria Hernandez note que « entre 1996 et 2016, le taux d’application des pesticides par hectare moyen est passé de 1,93kh/ha à 5,17kh/ha en Argentine. »
Cet article montre aussi que la population argentine se mobilise contre les atteintes à la santé provoquées par les herbicides, dont l’utilisation est très fortement associée aux OGM : malformations des enfants à la naissance, cancers variés et maladies de Parkinson2.
Après s’être ouverte, dans les années 2000, à la culture de maïs et colza transgéniques, puis, ces derniers temps, à celle de blé génétiquement modifié3, l’Argentine surfe maintenant sur la vague des nouvelles techniques de modification génétique (aussi appelées « nouvelles techniques génomiques ») : « À l’institut de technologie agricole d’Argentine, ont par exemple été développées des pommes de terres qui ne brunissent pas, du lait hypoallergénique ». Cette orientation est désormais facilitée par un gouvernement ultra libéral qui s’est déjà prononcé sur la déréglementation des OGM de manière massive : l’Argentine est donc et va rester un PGM (Pays Génétiquement Modifié) !