« Soigner l’humanité », la surenchère technologique
La santé humaine est un domaine où les promesses évoluent de façon exponentielle. Pas un jour sans qu’un article n’annonce la découverte d’un remède miracle… censé donner de l’espoir. De cette myriade de projets, il ne reste dans la plupart des cas que des brevets, des malades déçus, des lois plus permissives. Comment poser un regard critique sur cette surenchère ?
Dans les lois françaises de programmation pluriannuelle de la recherche (2020) [1] et de bioéthique (2021) [2], ou dans le rapport du Parlement européen [3] concernant les modifications du génome humain, le discours sous-jacent est le même : seule l’innovation biotechnologique, toujours sous-entendue comme progrès, peut soigner l’humanité ou la perfectionner. De façon ponctuelle, cela s’entend. Mais présenté de manière générale pour toute maladie ou « anormalité », cela pose question. La santé est surtout un excellent cheval de Troie pour faire accepter toutes les nouvelles technologies génétiques ou numériques, les affaiblissements législatifs, ou encore des transferts d’argent du public vers le privé. Cheval de Troie très efficace, car il est très difficile – pour ne pas dire tabou – de questionner la pertinence et la légitimité de tel ou tel projet, d’envisager que derrière la santé peuvent se cacher d’autres intérêts, économiques, politiques, sociétaux.
Discriminer les techniques entre elles
Pour déterminer si les techniques sont acceptables ou problématiques, nous devons discuter la pertinence, la maîtrise réelle, les risques, le coût financier, sociétal ou écologique de chacune d’entre elles ; puis les comparer aux alternatives possibles (par exemple : supprimer les causes environnementales des maladies dues aux activités humaines) et enfin déterminer si ces « solutions » sont réellement généralisables à l’ensemble de l’humanité… Enfin, pour tenter de comparer différentes techniques, il faut aussi regarder le contexte dans lequel elles peuvent se développer. Concrètement, les techniques anciennes se pratiquent avec des outils simples et reproductibles, mais les nouvelles technologies nécessitent, elles, un vaste réseau de technologies connectées, interdépendantes, ce qui les fragilise. Elles s’appuient aussi sur des données numérisées à partir de la connaissance du vivant, qui sont, par nature, incomplètes.
Modifications génétiques pour éradiquer des populations animales
Les moustiques vecteurs du paludisme, de la dengue, génétiquement modifiés pour être éradiqués, sont un bon exemple [4]. La surmortalité due à ces maladies est liée à la pauvreté, à des déficits dans les services de santé et de voirie. L’argent qui pourrait être mobilisé pour ces changements sociétaux est accaparé par la promesse d’une technologie miracle. Cette solution n’est pas sans risque et encore moins fiable. Et désormais, l’entreprise Oxitec vend la même technique pour éliminer les parasites des plantes, devenus résistants aux pesticides…
Réparer l’humain
Deux nouvelles techniques visent à réparer nos organes : la bio-impression 3D et la xénotransplantation. La bio-impression 3D est censée fabriquer des tissus biologiques (et même des organes) qui pourraient être utilisés en médecine régénérative (autogreffes), dans les tests pharmaceutiques, en production alimentaire (viande cellulaire par exemple) [5]. Couche par couche, une imprimante 3D construit des tissus biologiques à partir de cellules souches prélevées sur un patient, de collagène (protéine responsable de la cohésion des tissus) et de substances chimiques et biochimiques nombreuses assurant survie, reproduction et différentiation des cellules. Ainsi passe dans les esprits, à tort, que le vivant peut être produit en machine et maîtrisé. Quant à la xénotransplantation, elle se propose d’utiliser des animaux génétiquement modifiés comme réservoir d’organes. Récemment, en 2022, un cœur de porc transgénique a été greffé sur un homme, mais l’opération a échoué [6]. Cela pose de très nombreuses questions, dont la question éthique de la réification des animaux à notre profit. Des projets sont aussi en voie de fabriquer des chimères animal-homme à partir des embryons animaux pour prélever les organes humains sur l’adulte animal.
Se profile aussi l’idée de diagnostiquer et soigner des maladies grâce à de « mini-ordinateurs » qui seraient introduits dans le corps humain. Les premiers essais de conception informatique ont été réalisés, notamment au National Institute of Standards and Technology (NIST, États Unis), avec des petits ordinateurs ou « circuits biologiques » à base d’ADN ou ARN. L’ingénierie est complexe, il s’agit de biologie de synthèse : des « blocs de construction informatique biologique » sont censés se fixer sur des molécules associées à une maladie… Pour le moment, aucune de ces constructions n’a été intégrée à des cellules vivantes, mais il s’agit de donner espoir et de lever des fonds.
Modifier génétiquement l’humain
Les techniques de thérapie génique qui modifient génétiquement certaines cellules du corps visent à soigner des maladies dégénératives ou des cancers. Plusieurs questions se posent : leur inefficacité très fréquente, leurs effets secondaires dus à des connaissances incomplètes, leur coût prohibitif [7], leur utilisation pour doper les sportifs ou les militaires. Ces biotechnologies ont souvent recours à la biologie de synthèse.
Au prétexte d’éviter des maladies génétiques, il est aussi question de modifier le génome humain. À ce titre, le rapport de la Stoa, une unité du Parlement européen en charge de l’évaluation des sciences et des techniques, sur les modifications du génome humain est inquiétant : il établit que « l’édition du génome est un nouvel outil puissant permettant des ajouts, des suppressions et des substitutions précises dans le génome ». Le flou entretenu par le mot « édition » vise à minimiser l’intervention. Il s’agit pourtant de modifier génétiquement des embryons de façon irréversible, définitive. Face aux risques et dérives eugénistes de ces manipulations, le rapport de la Stoa définit alors des cadres ou limites qui pour beaucoup seront inapplicables. Aucune réflexion en amont n’a été envisagée sur le type de civilisation que cela pourrait induire, par exemple choisir son enfant à la carte, tel un objet. Ce qui n’empêche pas la Stoa d’affirmer que « ces modifications permettront de promouvoir le bien-être et l’amélioration morale et physique de l’humanité ».
Ainsi, la médecine génomique et numérique appelée à tort « médecine personnalisée » nous est progressivement imposée et nous prépare un mode de vie connecté, transhumaniste et inégalitaire pour lequel nous n’avons pas été consultés. Cette médecine nouvelle s’arque-boute sur les mêmes piliers que l’agriculture du futur : génomique, numérique et robotique [8].
[1] ,
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, « Vivant numérisé et technologisé : ayez confiance ou taisez-vous ! », Inf’OGM, 11 mars 2021
[2] , « Bioéthique et esprit de la loi : des garde-fous bien fragiles », Inf’OGM, 29 juillet 2021
[3] Rapport STOA : Edition du génome chez l’Homme. STOA : Science and Technology Options Assesment : évaluation des choix scientifiques et technologiques : unité du Parlement européen
[4] , « Burkina Faso – 10 000 moustiques OGM bientôt disséminés », Inf’OGM, 24 septembre 2018
[5] , « Organes et tissus bio-imprimés : où en est-on ? », Inf’OGM, 2 août 2022
[6] , « OGM – La xénotransplantation défaillante, voire dangereuse », Inf’OGM, 17 mai 2022
[7] La Belgique a décidé de rembourser une thérapie génique destinée à soigner l’amyotrophie spinale. Novartis le propose à 2 millions de dollars. Le contrat entre l’entreprise et l’état belge est considéré comme confidentiel…
Voir : « Bébé Pia : le médicament coûteux contre l’amyotrophie spinale bientôt remboursé en Belgique », 7sur7.be, 8 octobre 2021
[8] , « L’agriculture, terrain de jeu de la numérisation et de la robotisation », Inf’OGM, 14 octobre 2022