n°172 - juillet / septembre 2023

Le RSP : 20 ans de défense de la biodiversité cultivée

Par Inf'ogm

Publié le 04/07/2023

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Il y a tout juste 20 ans, plus de 350 personnes, dont des représentant.es de mouvements et syndicats paysans, d’associations de l’agriculture biologique et biodynamique, d’ONG, se réunissaient pour des premières rencontres sur les semences paysannes en France. Ces rencontres ont marqué la naissance du Réseau Semences Paysannes (RSP), un groupement de collectifs qui agissent pour la biodiversité cultivée. Vingts ans après, où en sommes-nous ?

En 2003, la question de la semence paysanne est cantonnée à un petit monde d’initié.es et tout est à faire : retrouver les semences, réinventer les savoir-faire, expérimenter, créer de nouvelles formes organisationnelles pour agir ensemble, se défendre face à une réglementation prohibitive, faire face à la menace des OGM. 

Diffuser les semences paysannes

Depuis, beaucoup d’ouvrages, de films, de programmes de recherche et, plus récemment, de podcasts ont documenté la gestion dynamique de la biodiversité cultivée et permis de mieux faire connaître les semences paysannes.

Ces semences ne sont pas que des « graines » : elles sont le fruit d’un travail collectif colossal et portent un message politique fort. Quand certains termes (semences anciennes, variétés pays, sélection paysanne…) sont repris pour en faire des éléments marketing, ils sont vidés de leur substance.

L’industrie semencière et la grande distribution reprennent en effet des expressions des luttes écologiques pour convaincre un public de plus en plus sensible à ces enjeux : on a ainsi vu des « tomates anciennes » hybride F1, des plaidoyers en faveurs des nouveaux OGM prônant la durabilité et la lutte contre le changement climatique…

Le RSP a bien tenté de jouer à ce jeu-là pour permettre aux consommateur.ices de connaître et reconnaître les produits issus de semences paysannes, porteurs des valeurs associées, en expérimentant une marque… qui n’est finalement restée qu’au stade expérimental, notamment à cause du risque de récupération de la grande distribution.

Aujourd’hui, une mention « issu de semences paysannes » peut parfois accompagner des produits commercialisés, mais elle doit être assortie à de la documentation pédagogique. Ces règles d’usage et de fonctionnement sont définies collectivement par les membres du Réseau.

En définitive, cette confrontation au monde de la grande distribution illustre un peu plus l’importance, au-delà de faire connaître le terme, de la nécessité de défendre les valeurs que portent les semences paysannes.

Se mobiliser pour une reconnaissance juridique

Le Réseau est impliqué depuis sa création dans la reconnaissance juridique des pratiques paysannes de production de semences et des droits des paysan.nes sur leurs semences. En effet, à l’époque, l’emprise du Catalogue officiel [1] est forte, et ce n’est qu’en 2004 que le Tirpaa, qui reconnaît le droit des agriculteurs à utiliser, échanger et vendre leurs propres semences, sera ratifié par la France [2].

Le RSP s’est tout d’abord attelé à faire émerger cet enjeu sur la scène politique et médiatique, avec le lancement de pétitions, la rédaction de propositions de loi et, plus généralement, des actions de plaidoyer actif au sein des instances nationales, européennes, voire internationales. Ainsi, des représentants du RSP ont participé à des réunions de l’Organe directeur du Tirpaa, à des rencontres avec les cabinets ministériels et ont pu siéger dans des instances comme la Fondation pour la recherche sur la Biodiversité (FRB), la section « Ressources génétiques » du Comité technique permanent de la sélection (CTPS) ou encore le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB).

Le RSP s’est aussi engagé dans la lutte contre les variétés rendues tolérantes aux herbicides par mutagenèse, des OGM cachés, au sein de l’appel de Poitiers [3]. Ce procès est encore en cours à ce jour, la question des nouveaux OGM s’étant invitée dans les débats.

Parallèlement, la veille juridique semences (VJS) est mise en place, en 2009, pour mutualiser le suivi de l’information relative aux droits sur les semences (réglementation commercialisation, droits de propriété industrielle, droits des agriculteurs, « nouveaux OGM »…). En 2013, la VJS s’oriente vers une animation de la réflexion et la montée en compétence collective. Un effort de vulgarisation des problématiques juridiques est fait, avec la production de fiches thématiques et de synthèses pédagogiques, l’animation de groupes de réflexion sur des points précis ou encore l’animation de formations.

Depuis, dans ses nouvelles orientations adoptées fin 2017, le Réseau a choisi de ne plus porter de plaidoyer actif. Il se concentre sur le soutien au plaidoyer de ses membres. Le temps long nécessaire à l’élaboration de propositions collectives n’est guère compatible avec le temps de la politique, et la diversité des acteur.rices composant le Réseau rend difficile la construction de positions catégoriques.

S’unir pour défendre la biodiversité cultivée

Toutefois, la construction et la participation à des alliances et coalitions est, et reste, l’essence même du RSP. Dès 2005, le RSP est ainsi, avec la Coordination nationale pour la défense des semences fermières (CNDSF), à l’initiative des rencontres européennes « Libérons la diversité », qui déboucheront sur la création, en 2012, de la coordination européenne Let’s Liberate Diversity (LLD), qui réunit des organisations de défense de la biodiversité cultivée de toute l’Europe. La coordination est aujourd’hui devenue une véritable plateforme d’échanges, avec notamment l’organisation de rencontres européennes annuelles.

Depuis deux décennies, semeurs et semeuses organisent et participent à des rencontres (internationales, nationales, par espèces, thématiques…) : c’est par les échanges, les migrations et les mélanges que vit et s’enrichit la biodiversité cultivée. Ces rencontres ont un point commun essentiel : laisser la place aux praticien.nes et privilégier les échanges dans les champs et les jardins. Ce besoin de se rencontrer et d’échanger a conduit au concept de Maisons des Semences Paysannes (voir encadré).

Les Maisons des Semences Paysannes : un espace de travail collectif

L’histoire raconte que les Maisons des Semences Paysannes (MSP) sont inspirées des Casas de Sementes Criolas brésiliennes, lieux de gestion collective des semences paysannes, introduites en France par Agrobio Périgord au début des années 2000.

La formule rencontre du succès, et essaime bien au-delà du RSP, puisqu’il existe aujourd’hui plusieurs dizaines de MSP réparties dans tout l’Hexagone. Donner une description type des MSP serait un exercice périlleux. Elles ont toutes un fonctionnement propre. Certaines ont une existence physique avec un lieu qui leur est dédié, d’autres non. Certaines rassemblent des paysan.nes, d’autres des jardinier.ères, certaines mettent les deux en lien. Certaines travaillent sur les potagères, d’autres sur les blés ou les maïs, et d’autres sur l’ensemble des espèces. Certaines comptent des dizaines de membres, d’autres seulement une poignée.

Ce qu’il faut retenir, c’est que les MSP sont un cadre malléable, au service de celles et ceux qui veulent gérer collectivement la biodiversité cultivée.

Pour aller plus loin : Réseau Semences Paysannes, Les Maisons des Semences Paysannes. Regards sur la gestion collective de la biodiversité cultivée en France, 2014.

L’horizontalité : incarner un autre modèle de société

Au-delà du quoi, la question du comment est également importante. Progressivement, depuis 2010, le RSP « cultive l’horizontalité » : le bureau de l’association est collégial, l’équipe salariée et le conseil d’administration fonctionnent en gouvernance partagée, les membres ont de nombreux espaces pour s’investir au-delà du conseil d’administration et les outils d’intelligences collectives s’invitent dans les réunions, formations et autres temps de rencontres…

Finalement, dans les moments de découragement, on peut avoir l’impression que rien n’a changé en 20 ans, et que rien ne peut être fait contre les géants de l’agro-industrie, de la privatisation du vivant et du capitalisme. Or, ce n’est pas parce que ces derniers parlent plus fort que d’autres voix n’existent pas. Aujourd’hui, le RSP investit ses efforts dans la construction d’alternatives pour bâtir un autre modèle de société, plus respectueux du vivant dans toutes ses dimensions.

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