n°146 - juillet / août 2017

Lanceurs d’alerte : avancées encore insuffisantes

Par Glen Millot, Association Sciences Citoyennes

Publié le 18/10/2017

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La transparence légale n’impose pas aux entreprises de rendre publiques toutes leurs données internes concernant un produit. Dès lors, certains ont joué et jouent encore le rôle de lanceur d’alerte. Mais si le lanceur d’alerte est défini comme une personne qui, faute de dispositif approprié, prend sur lui d’informer sa hiérarchie, la justice ou le public d’une atteinte à l’intérêt général, il est plus souvent connu en tant que victime de représailles. La société civile, dont l’association Sciences Citoyennes, se mobilise.

Affaires Séralini, Médiator, Cahuzac, Luxleaks… La réponse législative à ces scandales a été pour le moins tâtonnante et dispersée. Sept lois ont été votées entre 2007 et 2016 accumulant redondances et incohérences mutuelles. Il était indispensable et urgent d’adopter une démarche globale et à la hauteur des enjeux, tant pour les lanceurs d’alerte injustement menacés, sanctionnés, licenciés ou attaqués en diffamation de manière abusive (les fameux « procès-bail- lons »), que pour améliorer la transparence.

Une certaine avancée législative

Sciences Citoyennes et Transparency international France ont ensemble fait un travail analytique et de plaidoyer. L’objectif ? Convaincre les institutions de l’importance d’une approche globale et les informer des meilleures pratiques à l’international. Il s’agissait aussi de fédérer la société civile pour renforcer ce plaidoyer. Plusieurs années de colloques, de travail de droit comparé, de participation au groupe d’étude du Conseil d’État… ont abouti au vote de la loi Sapin 2 fin 2016.

La loi Sapin 2 (9 déc. 2016, art. 6) définit le lanceur d’alerte : « personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ». Sont exclus les faits, informations ou documents relevant du secret de la défense nationale, médical ou des relations avocat – client. Et de préciser une longue liste des représailles contre lesquelles le lanceur d’alerte est protégé, comme le licenciement, l’absence de promotion ou de renouvellement de contrat…

S’il est trop tôt pour faire un bilan, on peut souligner des avancées : approche globale, extension de l’alerte au-delà du simple cadre du travail, désignation du défenseur des droits pour orienter et protéger les lanceurs d’alerte ; et des reculs : la révélation directe au public n’est plus possible pour les lanceurs d’alerte dans le cadre de leur relation de travail, et les personnes morales en tant que lanceur d’alerte sont exclues. Une importante zone grise demeure puisque la définition du lanceur d’alerte fait référence à des risques ou des préjudices graves pour l’intérêt général, une notion d’intérêt général sans définition juridique absolue. Les premières jurisprudences relatives à cette loi aideront à la préciser.

Définir un statut, et après ?

Un point important n’est pas abordé par la loi Sapin 2 : le traitement de l’alerte. Il est certain que personne ne prendra le risque de lancer une alerte s’il est convaincu qu’elle ne sera pas prise en compte. C’est pour cette raison que les Irène Frachon, Antoine Deltour, Edward Snowden et autres, ne représentent que le sommet de la partie émergée de l’iceberg. Beaucoup savent… mais ils savent aussi que l’issue la plus probable à leur alerte sera la placardisation voire le harcèlement, le licenciement ou pire…

Le travail du législateur n’est pas terminé. Et c’est au niveau européen que les prochaines étapes devraient avoir lieu. Des organisations de la société civile, dont l’action est coordonnée par Eurocadres, exigent que la Commission européenne élabore une directive sur l’alerte. D’abord réticente, cette dernière a fini par plier, suite au vote de plusieurs résolutions par le Parlement européen et à l’invitation du Conseil européen. Nous sommes cependant encore très loin d’une directive, puisque l’initiative, démarrée début 2017, peut tout à fait ne déboucher que sur une recommandation ou un avis absolument non contraignants. Mais l’approche est intéressante, puisqu’elle aborde autant la protection que le recueil des signalements et le traitement des alertes.

Quoiqu’il en soit, des lacunes législatives subsistent. Aussi avons-nous mis en place un comité de pilotage d’une vingtaine d’organisations dans le but de créer une Maison des Lanceurs d’Alerte qui aura notamment pour rôle de leur offrir un accompagnement (juridique, moral, etc.).

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