n°172 - juillet / septembre 2023

L’agriculture industrielle tue la biodiversité

Par Inf'ogm

Publié le 04/07/2023

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L’effondrement de la biodiversité (sauvage et cultivée) est dû essentiellement aux activités humaines. Parmi ces dernières, l’agriculture industrielle, avec son cortège d’engrais, de pesticides et autres pratiques néfastes, y tient une place primordiale.

L’effondrement de la biodiversité a de nouveau été mis en lumière lors de la Conférence des Parties (COP 15) de la Convention sur la diversité biologique (CDB) à Montréal, en décembre 2022 [1] : la sixième extinction de masse est en cours [2], avec un million d’espèces animales et végétales vivantes menacées (sur huit millions – dont 75 % d’insectes [3] – estimées par l’IPBES [4]). Certaines catégories sont plus touchées que d’autres (40 % des espèces d’amphibiens pourraient disparaître au cours du siècle), mais, globalement, la destruction des écosystèmes par l’espèce humaine s’accentue depuis deux siècles : moins 40 % pour les espèces terrestres, 84 % pour les espèces d’eau douce et 35 % pour les espèces marines, et ce, sans compter les bactéries, indispensables à toute vie du sol.

Autre chiffre parlant : la biomasse des vertébrés terrestres était composée, il y a 10 000 ans, de 99 % d’animaux sauvages. Elle est aujourd’hui essentiellement composée d’animaux domestiques (67%) et d’humains (32%) (voir schéma).

« Harvesting the Biosphere : The Human Impact »

Dessin basé sur l’article de Smil, V. (2011), « Harvesting the Biosphere : The Human Impact », Population and Development Review, 37 : 613-636.

Pour se nourrir, se vêtir, s’abriter, se chauffer, en bref, pour vivre, les humains ont domestiqué et instrumentalisé la biodiversité. Mais cette utilisation est passée, en quelques milliers d’années, de simples prélèvements du milieu naturel (chasse, pêche artisanale, cueillette) à une exploitation à outrance, depuis un peu plus d’un siècle (agriculture et pêche industrielles, abattage de forêts entières, artificialisation des sols…), d’où cette extinction. Cette exploitation outrancière est elle-même due, à la fois à une croissance démographique exponentielle, et à un désir de confort, lui aussi sans cesse croissant.

Destruction à tous les étages

La biodiversité s’amenuise dans toutes les strates de la planète, dans le sol, sur les terres émergées et dans la mer. Les sols englobent plus du quart de la biodiversité de la planète4. Première cause de leur destruction, d’après l’IPBES : les changements d’usage des terres, notamment liés à l’urbanisation. Par exemple, en France métropolitaine, 60 000 hectares de sols agricoles, forestiers ou naturels sont artificialisés par an, soit la surface moyenne d’un département tous les 10 ans [5].

Mais ces sols agricoles sont déjà eux-mêmes fortement dégradés par l’agriculture industrielle, une agriculture à très fort investissement en capital (matériel agricole, robotique…) et en énergie fossile (notamment pour faire marcher ce matériel, mais aussi produire engrais et pesticides…). L’objectif est d’obtenir des rendements maximum sur du court terme : produire plus avec moins de surface, moins de paysans… mais donc plus de capital. Voyons donc, à travers quelques exemples, pourquoi ce type d’agriculture détruit la biodiversité.

Le développement de l’agriculture implique un certain degré d’artificialisation des sols. La tendance de l’agriculture industrielle est de produire le plus d’aliments possible avec le moins de paysans possible (devenus dans le langage courant des « exploitants agricoles ») [6]. Par exemple, entre 1970 et 2020, la France a perdu 1 200 000 exploitations agricoles (il en restait 400 000 en 2020), qui sont passées en moyenne de 20 hectares à 69 hectares [7].

Cette « prouesse » n’a été rendue possible que grâce, entre autres, à l’intensification du capital, toujours en cours (plus de mécanisation, d’intrants…) [8], l’homogénéisation des cultures et la spécialisation des élevages [9]. Cette même tendance se retrouve au niveau mondial, avec toutefois bien entendu de fortes disparités : les exploitations de plusieurs milliers d’hectares en Argentine, au Brésil ou aux États-Unis n’ont rien en commun avec les fermes d’agriculture vivrière, notamment de pays du Sud. Sur 608 millions d’exploitations agricoles recensées dans le monde, 84 % d’entre elles font moins de 2 hectares, quand 1 % des exploitations cultivent 70 % de la surface agricole mondiale [10].

Dans ces conditions de gigantisme et de course aux rendements, les sols agricoles, qui sont en expansion au détriment des espaces naturels et représentent plus d’un tiers des terres émergées [11], sont dégradés, à la fois par les pratiques culturales (passages d’engins agricoles…) et les pesticides et engrais épandus. Il en résulte une destructuration et une érosion des sols, parfois une salinisation (près de 9 % des sols de la planète [12]), ainsi qu’une pollution entraînant la mort de la vie du sol. Sans cette vie (bactéries, micro-organismes…), la matière organique ne peut plus se transformer et la fertilité baisse : par exemple, le taux de carbone organique dans les couches supérieures du sol après 30 à 70 ans de culture a baissé de 25 % à 50 % dans les pays tempérés [13], ce qui est une cause majeure de l’effet de serre (lui-même réducteur de la diversité du vivant).

Culture et élevage de moins en moins divers

Au-delà de la biodiversité sauvage, plantes cultivées et animaux d’élevage souffrent également d’une érosion génétique à un double niveau. Tout d’abord, le nombre d’espèces cultivées diminue : sur 6 000 espèces de plantes alimentaires, moins de 200 contribuent fortement à la production alimentaire mondiale et neuf d’entre elles seulement représentent 66% de la production agricole totale [14].

La production animale mondiale, quant à elle, repose sur environ 40 espèces animales, dont seules quelques-unes fournissent la grande majorité de la viande, du lait et des œufs. Et 26% des races d’animaux d’élevage dans le monde sont menacées d’extinction.

Ensuite, la diversité génétique intravariétale est elle-même en diminution, ce qui signifie que deux individus d’une même variété sont génétiquement très proches, quasiment des clones [15]. Cela est dû à l’obligation légale dans de nombreux pays que les individus d’une même variété se reproduisent à l’identique pour pouvoir être commercialisés (et protégés au passage par un droit de propriété intellectuelle [16]). Cette homogénéisation génétique des individus d’une variété entraîne une fragilité adaptative, tant aux stress biotiques (dus à des organismes vivants) que climatiques, d’où le cercle vicieux de recours aux pesticides… et la destruction de la biodiversité qui continue !

Dans le discours officiel, c’est pour rompre ce cercle vicieux que les chercheurs – et les entreprises agro-semencières et agrochimiques – ont modifié génétiquement les cultures (et commencent à le faire pour les animaux). L’idée de base était de créer des plantes qui s’auto-protègent de toutes les agressions extérieures, grâce à des gènes de résistance, de façon à s’affranchir des pesticides. Avec certaines nouvelles variétés modifiées, certains agro-semenciers revendiquent, au passage, une augmentation de la biodiversité !

Dans la pratique, on en est loin : les variétés OGM créées tolèrent principalement des herbicides, afin de pouvoir les appliquer sans que la culture ne soit détruite ; et produisent des toxines, pour tuer des agresseurs, comme par exemple le maïs Bt contre la pyrale. De plus, elles font l’objet de brevets, privatisant toujours plus le vivant. On se passerait bien d’une telle « augmentation » de biodiversité !

Faune et flore sauvages également affectées

Une récente expertise scientifique collective de l’Inrae (parue en mars 2023) sur les impacts des pesticides sur la biodiversité a montré l’ampleur des contaminations dans « tous les types de milieux terrestres et aquatiques, l’ensemble des compartiments qui les composent et la plupart des organismes qui s’y trouvent » [17]. Ce qui entraîne, entre autres, un déclin des populations d’invertébrés terrestres et aquatiques et d’oiseaux.

Une des conséquences, de plus en plus visible, est le déclin de la pollinisation par les insectes (abeilles, bourdons, fourmis, papillons ou mouches…), entraînant des pertes de production. Selon l’IPBES, environ 70 à 75 % des plantes cultivées (surtout arbres fruitiers, légumes, oléagineux et protéagineux) dépendent de la pollinisation entomophile (par les insectes), soit 35 % du tonnage de la production agricole mondiale [18]. Sans compter que certaines espèces végétales sont strictement pollinisées par une espèce d’insecte donnée.

Le capitalisme : voilà l’ennemi de la biodiversité !

Quel est le point commun à l’origine de toute cette destruction et de la non application des solutions ? Notre arrogance quant à notre volonté de dominer la nature, notre sentiment d’être supérieur à elle et non partie prenante. Mais aussi, surtout, la recherche du profit à court terme, défendue par les lobbies des entreprises, malheureusement souvent relayés par les politiques.

Les illustrations sont nombreuses au sein de l’agriculture industrielle, de la pêche et de l’exploitation forestière. Par exemple, l’Union européenne a interdit l’usage de néonicotinoïdes, pesticides tueurs d’abeilles. Pourtant, pendant plusieurs années, la France les a autorisés sur certaines cultures (dont les betteraves, voir p.10-11) [19]. Toujours en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) annonce, en février 2023, vouloir interdire l’herbicide S-métolachlore, dont les résidus sont présents dans les nappes phréatiques à des niveaux très supérieurs aux normes européennes. Mais le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, lui demande, lors du congrès du syndicat majoritaire des exploitants agricoles (FNSEA), de revoir sa copie  [20] ! La même FNSEA bloque toute perspective de solutions pour faire diminuer le taux de nitrates dans les eaux [21], malgré un « avis motivé » de la Commission européenne à la France, en février 2023 [22].

Autres exemples : près du tiers des stocks de poissons sont surexploités et plus de la moitié ont atteint leur limite de résistance [23]. L’Union européenne propose d’interdire, en 2030, le chalutage en eaux profondes. Réponse, en mars 2023, du secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville : « Je le dis très clairement, la France – le gouvernement – est totalement opposée à la mise en œuvre de l’interdiction des engins de fond dans les aires marines protégées. Totalement, clairement et fermement » [24]. Enfin, en matière d’exploitation forestière, la France souhaite « bâtir deux centrales biomasse d’ici 2024-2025 pour fournir de l’énergie à l’Agence spatiale européenne […] sur la côte nord de la Guyane française » [25], pour produire 120 000 tonnes de biomasse (5 300 hectares de forêts seraient détruits), et ce, malgré la nécessité affichée de protéger les forêts tropicales, réitérée par le président français E. Macron au One forest Summit de mars 2023 [26] !

Le tableau des méfaits de l’agriculture industrielle sur la biodiversité est bien sombre. L’agriculture industrielle tue la vie, y compris celle des agriculteurs, empoisonnés par les pesticides ou qui se suicident. On met souvent en avant les pertes économiques, réelles, liées à l’effondrement de la biodiversité. Mais certaines solutions « vertes » suggérées par les multinationales servent souvent d’alibi pour que les mêmes continuent à exploiter la planète et engranger d’immenses profits. Laissant sur le chemin les populations les plus pauvres, qui, comme l’a montré l’IPBES, sont celles qui dépendent le plus de la biodiversité pour leur survie [27]. En agriculture, les seules solutions durables sont celles qui favorisent l’autonomie des paysans, grâce à l’agroécologie et aux semences paysannes [28].

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