Dix ans après, quel bilan peut-on tirer du débat sur les OGM ?
Louis-Marie Houdebine, chercheur à l’Inra
A la fin des années 90, les opposants aux OGM qui s’exprimaient dans les media et dans des débats étaient déjà beaucoup plus nombreux que ceux qui avaient une vue basée sur des faits scientifiques. Les débats étaient dans leur très grande majorité tacitement truqués comme si cela allait de soi, la science, les techniques et les industrielles étant considérés par principe et avec un esprit sous-jacent de revanche, de nihilisme voire de haine, comme des nuls et des corrompus (donc comme le mal à combattre en priorité). Dans ces débats, un chercheur (toujours parmi les quelques rares personnes qui avaient accepté de s’engager) était désigné pour être mis à mort avec la complicité des media. Les débats étaient organisés de manière à ce qu’il n’aient en réalité pas lieu, ce qui permettait aux charlatans de débiter leurs interminables mensonges et étaler, souvent sans le savoir, leur incompétence (ex : un opposant généraliste ignorant que les toxines Bt étaient des protéines par essence très biodégradables et non des composés chimiques classiques).
Depuis quelques années, la communauté scientifique s’est un peu mobilisée en publiant des livres et en descendant dans l’arène. Ce n’est toujours pas vraiment le cas pour les instituts publics de recherche. Les media de leur côté ont commencé à avoir des doutes sur leur manière de traiter le problème, sous la pression de l’opinion publique déboussolée qui souhaite de moins en moins cautionner des lapidations mais exprime son désir d’être informée objectivement. Le Figaro a viré de bord mais Le Monde s’entête à croire qu’il détient de droit (si ce n’est de Dieu) le devoir de dénoncer les OGM et leurs suppôts (cf. l’article récent intitulé « Génétiquement pro OGM »). Le truquage est maintenant au niveau gouvernemental avec la sinistre mésaventure du sénateur Legrand et de la Haute Autorité. L’engagement de l’AFIS et plus récemment la création de l’Association France Biotechnologie Végétale ainsi que l’initiative de l’AFSSA de communiquer certaines de ses évaluations aux media ont significativement contribué à rééquilibrer la situation.
La situation s’améliore mais très lentement. L’EU semble incapable de modifier son attitude vis-à-vis des OGM tant qu’elle n’aura pas fini de se vider dans le pied le chargeur de son pistolet.
Arnaud Apoteker, responsable de la campagne OGM
à Greenpeace France et administrateur d’Inf’OGM
Lorsque l’Union européenne a autorisé les premières importations d’OGM et les premières cultures commerciales de maïs OGM, rien n’avait été prévu pour l’information du public et des consommateurs. Pourtant, les nouvelles biotechnologies agricoles étaient présentées dans les milieux scientifiques et politiques comme une révolution agricole et alimentaire d’immense portée. Les promesses de nouvelles cultures remèdes à tous les maux dont souffrait la production agricole et alimentaire tenaient lieu de laisser-passer à des bricolages hasardeux pour créer et disséminer des plantes pesticides.
Il a fallu les premières actions spectaculaires de Greenpeace d’interposition de chargements de soja GM dans les ports européens, de la Confédération Paysanne de dénaturation de semences GM, des Faucheurs volontaires et de nombreuses autres associations pour obliger à des mesures destinées à renforcer l’évaluation des OGM et l’information du public. Parallèlement naissait l’association Inf’OGM, destinée à fournir une information critique sur les nombreuses questions liées aux OGM.
Dix ans plus tard, les OGM ont progressé à plus de 100 millions d’hectares sur la planète, un chiffre impressionnant, mais qui signifie que plus de 90% de la superficie agricole mondiale est sans OGM. Et les promesses de la biotechnologie agricole n’ont pas été tenues : il n’y a encore que des OGM pesticides, et les plantes miracles qui nous étaient promises sont encore à l’état de promesses, de plus en plus remises en doute. L’Europe, à part l’Espagne, résiste aux OGM, et plus les populations sont informées, plus elles les rejettent. Et cette année, on peut sentir les prémices d’un reflux des OGM dans de nombreuses régions.
Mais le plus important sans doute de ces dix années est que les OGM ont forcé nos démocraties à se poser les questions de l’impact environnemental des nouvelles technologies dans le domaine agricole et de la participation des citoyens à l’orientation de la recherche scientifique.
Les questionnements autour des OGM ont également appelé à se poser la question de l’agriculture durable et ne sont pas étrangers à la demande sociale de plus en plus exprimée pour une agriculture écologiquement saine et socialement juste, dont les OGM, les pesticides et l’appropriation du vivant sont à l’opposé. Inf’OGM a certainement contribué à l’émergence de cette réflexion.