CHINE – Une étude démystifie les avantages du coton Bt
Autorisé en 1997 en Chine, le coton Bt génétiquement modifié pour tuer les ravageurs de la famille des lépidoptères (Helicoverpa armigera et Pectinophora gossypiella, principalement) représente près de 70% des surfaces nationales de coton. Dans certaines provinces – Hebei, Henan ou la Vallée du fleuve Yangtsé (VFY)-, le taux d’adoption dépasse les 90%. On peut donc parler d’une adoption rapide et massive. La littérature scientifique et l’industrie mettent souvent en avant l’efficacité de ce coton Bt pour réduire l’utilisation des pesticides et procurer un gain de rendement, comme explication à cet engouement. Cependant il a été « rapporté un faible impact du coton Bt en termes de réduction du nombre de traitements chimiques et de gain de rentabilité. […] Il y aurait ainsi un paradoxe, jamais signalé, d’une large adoption du coton Bt dans la VFY en dépit de faibles avantages spécifiques » [1].
Deux chercheurs, Michel Fok, du Cirad, et Naiyin Xu, de l’Académie des sciences agricoles de Jiangsu, ont entrepris un travail d’enquête dans la région de la vallée du fleuve Yangtsé, en Chine, afin de mieux cerner la réalité de la culture du coton transgénique [2]. Ce travail s’appuie sur des documents rarement exploités par la Communauté scientifique internationale car en chinois et sur une enquête réalisée auprès de 186 producteurs de coton.
Le coton Bt présente peu d’intérêt
Les chercheurs affirment que « le choix du coton Bt dans la province du Jiangsu et, plus globalement, dans la Vallée du Fleuve Yangtsé est quasi généralisé. On observe peu de réduction de traitements dans le contrôle chimique des ravageurs et peu de gain de rentabilité ». Ainsi, expliquent-ils, tous les paysans qui ont répondu à leur enquête ont eu à traiter contre les chenilles de Helicoverpa armigera, censées être tuées par la toxine Bt, entre une à huit fois, avec une moyenne de 4,1 traitements. Ces traitements s’expliquent « en partie parce que ce ravageur exprime quatre à cinq générations jusqu’à la fin du cycle du cotonnier, au-delà de la période de synthèse de la toxine Bt dans les plantes ». Par ailleurs, les paysans de cette enquête ont eu à traiter contre les araignées rouges, les punaises (Lygus) dont « les spécialistes chinois disaient qu’elles ne nécessitaient pas de traitement chimique avant l’avènement du coton Bt », et la chenille Spodoptera litura, elle aussi devenue un ravageur nécessitant des traitements depuis quelques années.
Les chercheurs évoquent ensuite la question de la rentabilité. Premier élément : le prix des semences. « On peut observer qu’il y a de gros écarts entre les prix des semences. Ces écarts proviennent surtout du caractère hybride des variétés. […] Les semences des cultivars non hybrides sont dix à treize fois moins chères que les semences hybrides ». Deuxième élément : le coût des traitements qui ne diminuent donc pas comme nous venons de le voir… Troisième élément : le rendement en tant que tel. Les chercheurs concluent de leur enquête : « il semble que l’adjonction du trait Bt, dans les variétés non hybrides, n’induise pas de gain de rendements ». Au final, ils affirment que « en ce qui concerne le revenu brut après déduction des coûts des intrants », on notera une absence d’effet du trait Bt et une supériorité pour les variétés hybrides (indépendamment de la présence du trait Bt).
Une intégration technologique ancienne
Pour expliquer le paradoxe d’une adoption rapide et massive sans intérêt agronomique flagrant, plusieurs pistes sont envisagées par les auteurs.
La première raison évoquée est qu’il pré-existait dans la vallée du Fleuve Yangtsé un système technologique favorable à l’introduction du coton Bt dans cette région. Tout d’abord, d’un point de vue général, il est important de rappeler que la Chine est le premier pays producteur de coton et que le niveau de rendements est l’un des plus élevés au monde. Mais avec des coûts de production eux aussi très élevés (du fait des engrais, des pesticides), de sorte qu’un renchérissement du prix des semences a une incidence relative faible. L’élément le plus important est sans doute la généralisation de la technique de la transplantation du cotonnier mise en place pour sécuriser les récoltes contre les gelées précoces. En 2000, cette technique avait été adoptée par près de 90% des cotonculteurs chinois : elle permet 30% de gain de rendement. L’adoption de cette technique, précisent les auteurs, s’est accompagnée d’une adoption forte des variétés hybrides.
Une offre variétale qui favorise l’adoption des PGM
Le changement institutionnel est manifeste par l’adoption, à la fin des années 90, de deux lois : celle sur les semences et celle sur la protection de la propriété des variétés. Ce nouveau cadre a incité les semenciers à développer des variétés hybrides et / ou transgéniques et à venir, comme Monsanto, s’implanter sur le territoire chinois.
Paradoxalement, le fait que les semences paysannes soient autorisées à la vente en Chine a favorisé les semences de type hybrides F1. Les auteurs écrivent ainsi : « l’offre de variétés hybrides F1 est une option commerciale pour mieux capter la demande, puisque le renouvellement annuel des semences est nécessaire. Là où les hybrides sont largement utilisés, l’utilisation de semences paysannes est quasi inexistante ». Or, ces semences hybrides sont de plus en plus aussi transgéniques, notamment du fait, pour les semenciers, d’un faible coût d’accès à la technologie Bt.
Le dernier facteur explicatif est l’offre variétale en tant que telle. En six ans, plus de 300 nouvelles variétés de coton ont été utilisées, induisant une concurrence exacerbée et donc une publicité effrénée. Or, les nouvelles semences sont de plus en plus transgéniques. Ainsi, en 2007, 86% de l’ensemble des variétés proposées étaient transgéniques contre 45% en 2000. Et la quasi totalité des variétés hybrides étaient en même temps transgéniques. « La diffusion du trait Bt profite ainsi de celle des variétés hybrides dont la valeur est reconnue par les paysans car elles rendent plus rentable l’application de la technique de transplantation ».
Les auteurs concluent que l’adoption du coton Bt résulte d’une « continuité dans la trajectoire technologique, en opposition à la rupture des tenants du concept de Gene Revolution par référence à la Green Revolution ». Autrement dit, l’agriculture transgénique est philosophiquement et agronomiquement dans le même paradigme que l’agriculture chimique.