n°172 - juillet / septembre 2023

Biodiversité et droits des paysans : un chemin encore long

Par Inf'ogm

Publié le 04/07/2023

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L’interface agriculture/biodiversité est encadrée légalement par de nombreux textes. Certains, comme le « Traité sur les semences » et la Convention sur la diversité biologique, font l’objet de réunions périodiques, au cours desquelles les nombreux débats ont souvent du mal à déboucher sur des décisions. Les deux dernières grand-messes n’ont pas dérogé à la règle…

Le cadre juridique international qui traite de l’interface agriculture/biodiversité, sous différents angles, est composé de trois textes. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa), en vigueur depuis 2004, concerne les conditions d’accès à certaines ressources génétiques cultivées, donc à la biodiversité cultivée ; la Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992, couvre tous les aspects de la biodiversité, dont ceux liés aux modifications génétiques ; et enfin, la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) définit notamment les droits à l’accès des paysans aux espèces cultivées et élevées. 

CDB : un plan d’actions ambitieux mais peu concret

Hormis pour l’UNDROP (voir encadré), les instances du Tirpaa et de la CDB se réunissent tous les deux ans pour évaluer et faire évoluer la mise en application de ces textes. On trouvera sur leurs sites respectifs l’ensemble des résolutions prises à l’issue de leurs deux dernières réunions : la COP15 sur la diversité biologique, à Montréal, en décembre 2022 [1] ; et le Tirpaa, à New-Delhi, en septembre 2022 [2].

UNDROP : de nombreux droits paysans, mais non contraignants


La Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP [3] a été adoptée en 2018 [4]. Ce texte, juridiquement non contraignant, reprend et complète les droits des agriculteurs déjà présents dans d’autres textes (Tirpaa, CDB et Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones).

Certains de ses articles concernent spécifiquement la biodiversité. Sous l’angle, entre autres, de l’accès aux « ressources » et leur gestion (article 5) ; du « partage juste et équitable des bénéfices de [leur] exploitation » ; de la protection des « systèmes traditionnels relatifs à l’agriculture, au pâturage, à la sylviculture, à la pêche, à l’élevage et à l’agroécologie présentant un intérêt pour la préservation et l’utilisation durable de la diversité biologique » (article 20).

En bref, cette Déclaration veut remédier aux distorsions juridiques et politiques qui ont un impact négatif sur les systèmes semenciers paysans et donc sur la biodiversité cultivée. Révolutionnaire dans son esprit, elle a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 17 décembre 2018, avec 121 voix pour, 8 contre et 54 abstentions. Au vu du comportement de la France face aux problèmes d’accaparement des terres et de l’eau par quelques propriétaires, est-il étonnant que notre pays fasse partie de ces abstentions ?

Ce texte a encore été peu utilisé. Dans une déclaration de décembre 2022, différents experts des Nations unies appellent « à mettre en œuvre l’Undrop en incorporant ses normes et standards dans les lois et politiques nationales, [car elle] sert aussi de feuille de route aux États […] et aux autres parties prenantes pour prendre des mesures concrètes sur le terrain ».

La COP15 de la CDB a adopté « le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal », qui vise à « restaurer la biodiversité » d’ici 2050. Quelques décisions concernent plus spécifiquement les liens entre agriculture et biodiversité.

Dans l’une d’entre elles, intitulée « Diversité biologique et agriculture » [5] , la COP a adopté le « Plan d’action 2020-2030 de l’Initiative internationale pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique des sols ». Ce plan énumère les actions à entreprendre dans la décennie à venir. Parmi celles-ci : renforcer l’étude de la biodiversité des sols, « promouvoir […] les pratiques agroécologiques », « prévenir l’introduction et la propagation […] des espèces exotiques envahissantes »… Beaucoup d’objectifs louables que la CDB envisage de décliner avec moult partenariats dans la formation et la recherche, à tous les niveaux (organismes de recherche, organisations et réseaux concernés, ainsi que peuples autochtones et communautés locales…). Il s’agit également de « promouvoir l’accès au partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques des sols ».

Ce sujet est lié à celui de l’information de séquençage numérique sur les ressources génétiques (plus connue sous son sigle anglais DSI, pour digital sequence information), sujet qui a également été débattu lors de cette COP [6]. Décision a été prise de créer « un mécanisme multilatéral de partage des avantages découlant de l’utilisation de [cette] information ». Quel lien avec la biodiversité ? Il passe par le droit de propriété intellectuelle. Puisqu’il est possible, d’une part, de breveter des séquences numériques et, d’autre part, d’avoir accès à ces séquences via les bases de données, alors il devient possible de privatiser via les brevets tout organisme contenant ces séquences… ce qui diminue l’accès libre au vivant pour les paysans [7].

Trois autres protocoles, dans le cadre de la CDB, concernent le lien entre biodiversité et agriculture. Ils ont aussi fait l’objet de réunions en marge de la COP15. Les deux premiers visent à préserver la biodiversité de la contamination par des organismes vivants modifiés (OVM), vivants donc capables de se reproduire [8]. Ces deux protocoles ont l’ambition de contrôler et limiter la diffusion anarchique des OVM dans la nature :

- le Protocole sur la prévention des risques biotechnologiques (Protocole de Cartagena), ratifié par 173 pays [9] et entré en vigueur en 2003 ;

- complété par le Protocole sur la responsabilité et la réparation des dommages causés par les OGM (Protocole de Nagoya-Kuala Lumpur), entré en vigueur en 2018.

Le troisième protocole, le Protocole de Nagoya, concerne l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages découlant de leur utilisation [10]. Ratifié par 138 États, il est entré en vigueur en 2014. Il concerne toutes les ressources génétiques, sauf celles prises en compte dans le Tirpaa (voir plus loin). Le Protocole de Nagoya a entériné « le mécanisme multilatéral de partage des avantages » pour les DSI décidé lors de la COP15 [11]. Mais il a cependant décidé « de revenir sur la question de la nécessité et des modalités d’un mécanisme multilatéral mondial de partage des avantages » lors de sa prochaine réunion.

Tirpaa : des droits paysans sur la sellette

La dernière réunion du Tirpaa (New-Delhi, septembre 2022) avait justement repoussé la discussion sur le statut des DSI à la prochaine COP de la CDB, qui avait donc lieu quelques mois plus tard. Le Tirpaa interdit en effet l’appropriation via des brevets des ressources qu’il gère et la crainte, exprimée notamment par La Via Campesina, était que le futur statut des DSI le permette (voir p.13-14). Cela semble donc se confirmer avec le mécanisme multilatéral sur les DSI, décidé lors de la COP15.

Six mois après la réunion de son organe directeur, le Tirpaa a publié une liste d’« Options envisageables pour encourager, orienter et promouvoir la concrétisation des Droits des agriculteurs tels qu’énoncés à l’Article 9 du Traité international » [12]. En effet, dans la mesure où les gouvernements ne sont qu’incités à promouvoir le droit des agriculteurs, le Tirpaa a dressé cette liste de 27 options en s’appuyant sur les expériences des pays membres pour donner des idées à tous, notamment aux gouvernements. Par exemple, verser des fonds aux agriculteurs qui « conservent, mettent en valeur et utilisent de manière durable les [ressources phytogénétiques] ».

Mais, là encore, aucune obligation de mise en place, ce que le Tirpaa revendique : « le terme  » option  » confère un caractère non prescriptif et discrétionnaire » [13].

Chacune de ces réunions internationales laisse un goût amer. Comment est-il possible que de telles grand-messes accouchent de si peu de résultats concrets ? Comment est-il possible que certains débats soient reportés de réunions en réunions depuis tant d’années ? Comment est-il possible qu’on se gargarise de mots et de bonnes intentions mais qu’elles soient si dépourvues d’obligations et d’applications concrètes ? Serait-ce que, tant qu’aucune décision n’est prise, c’est le statu quo qui perdure, lequel convient bien à tous les pilleurs de biodiversité ? Heureusement, des empêcheurs de tourner en rond, comme La Via Campesina au niveau mondial, dont est membre la Confédération paysanne en France, veillent [14].

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