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Haïti – « Ni hybrides, ni OGM, mais des semences paysannes »

Par Frédéric GUERIN, Claire CHAUVET

Publié le 14/10/2016

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Entretien avec Jean-Baptiste Chavannes, porte-parole du Mouvement paysan de Papaye (MPP) à Haïti, par Frédéric Guérin, administrateur d’Inf’OGM et Claire Chauvet, sur la situation générale à Haïti après le passage du cyclone Matthew, et sur la réalité de l’agriculture, des paysans et de l’aide internationale.

Inf’OGM – Quelle est la situation des agriculteurs après le passage du cyclone Matthew ? Les médias occidentaux parlent de risque de famine…

Jean-Baptiste Chavannes, MPP – La situation des familles paysannes était très difficile avant le passage du cyclone Matthew car l’année dernière la sécheresse avait anéanti 80% des récoltes. Ainsi Matthew a trouvé les paysans dans une insécurité alimentaire déjà aiguë. Le Conseil National de Sécurité Alimentaire (CNSA), une institution étatique qui sous-estime généralement la réalité, parlait de quatre millions de personnes en état d’insécurité alimentaire grave en juillet 2015. Quant à nous, nous estimons que ce sont huit millions de personnes – dont la majorité se trouve paradoxalement en milieu rural – qui souffraient de la faim l’année dernière.

Le cyclone ne fait qu’aggraver cette réalité déjà très critique. Maintenant, il faut parler vraiment d’une catastrophe alimentaire. Et la famine s’est installée dans les zones les plus affectées par l’ouragan.

Matthew a systématiquement détruit la production agricole dans six départements sur dix que compte le pays. Trois autres sont partiellement affectés. Donc la faim va être cruelle dans les prochains mois.

Pour les agriculteurs, y a-t-il des besoins (urgents ou pas) et quels sont-ils ?

JCB – Aujourd’hui, la survie même de la majorité des familles paysannes est menacée non seulement par la famine mais également par des maladies. Le choléra frappe dans les départements dévastés par l’ouragan, et plus précisément dans quatre départements. Cela risque de faire tache d’huile si rien n’est fait pour freiner cette maladie très contagieuse.

Les familles paysannes, après la phase d’extrême urgence qui se résume en besoins d’aliments, d’eau potable, de vêtements, de médicaments, de logement provisoire, seront dans la phase de la relance de la production agricole dans des sols totalement érodés. Les familles auront besoin des outils aratoires, des semences de haricots, de maïs, de petit mil, de légumes, des boutures de manioc, de patate, de canne à sucre, d’igname, des drageons de banane, etc.

Les semences les plus urgentes sont les semences de haricots, de maïs et des légumes, car il faut produire rapidement des aliments. Il faut absolument des distributions de semences car tout a été emporté par les eaux dans les zones frappées par Matthew.

On peut acheter des semences paysannes dans les départements les moins frappés mais c’est sûr, le pays va en manquer.

Du point de vue de l’aide extérieure, craignez-vous un scénario bis comme après le tremblement de terre de 2010 ?

JCB – Nous craignons effectivement la répétition du même scénario auquel on a assisté après le tremblement de terre en 2010. Monsanto avait alors offert au pays un cadeau empoisonné de 400 tonnes de semences de maïs dites hybrides. Mais comme Monsanto est le roi des semences de maïs transgéniques, il est difficile de trouver des semences chez Monsanto indemnes d’OGM. Le Mouvement Paysan Papaye (MPP) avait lancé une mobilisation contre ce projet au niveau national et international. Mais nous ne sommes pas dupes. Le danger est permanent avec la présence des ONG étasuniennes qui agissent sur le terrain.

Le risque est grand que certaines organisations ou entreprises, profitant de cette situation de crise, ne distribuent dans le pays des semences commerciales, néfastes pour les semences paysannes, car hybrides ou OGM.

Pour cela, nous réfléchissons déjà aux possibilités de faire venir des semences paysannes de Cuba, du Brésil, ou d’autres pays latino-américains où des organisations paysannes défendent des semences locales et reproductibles. Malheureusement, les organisations paysannes haïtiennes n’ont pas de ressources financières pour l’importation de ces semences.

Quelles sont vos attentes concrètes de la part de la communauté internationale pour venir en aide aujourd’hui aux paysans haïtiens ?

JCB – Les besoins du secteur paysan sont énormes après ce désastre. Il faut relancer l’agriculture paysanne, il faut replanter les arbres fruitiers et forestiers disparus, il faut refaire les forêts qui n’existaient pratiquement plus avant le passage de l’ouragan, il faut travailler à la réfection des sols et à leur protection.

Nous n’attendons pas tout cela de la communauté internationale car l’aide qui arrive des pays dits développés n’est pas innocente. Elle vise souvent à éliminer l’agriculture paysanne, à éliminer les petits paysans. Par contre, nous souhaitons la solidarité des organisations paysannes au niveau international. Elles peuvent nous aider à trouver des semences paysannes, des outils aratoires, à mettre en place des pépinières d’arbres fruitiers et forestiers, etc. Certaines ONG solidaires peuvent également contribuer à ces programmes.

Tout support pour faire face à la période d’urgence est aussi bienvenu. Par exemple des médicaments pour combattre le choléra, des produits pour le traitement de l’eau, etc.

Existe-t-il une réglementation nationale en vigueur sur les OGM ?

JCB – Non, il n’y actuellement aucune réglementation sur les OGM à Haïti.

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