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Les effets néfastes du glyphosate

Par Valentin BEAUVAL

Publié le 18/08/2017, modifié le 08/07/2024

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Le glyphosate, matière active du Roundup, a été bien accueilli lors de sa mise sur le marché en 1974 car son effet systémique permet de détruire un grand nombre d’adventices à rhizome comme les liserons, les chardons et les graminées vivaces appelées « chiendents ». C’est un herbicide systémique pénétrant par les feuilles et ensuite véhiculé dans la plante jusqu’aux racines. Il ne détruit que les plantes directement touchées et il n’a pas d’effet anti-germinatif pouvant nuire à la levée d’une culture ou contrôler les levées d’adventices à venir. Ces caractéristiques sont indéniablement intéressantes. Malheureusement, son utilisation ne s’est pas limitée au contrôle d’adventices difficiles à gérer par les agriculteurs…

Préambule : Ce document est un témoignage écrit produit aux juges du procès de Foix à la demande des prévenus sur le sujet précis des impacts négatifs sur le plan environnemental, sur le plan socio-économique ainsi que la présentation des alternatives agronomiques, l’impact sanitaire ayant largement été développé par d’autres témoignages oraux.

On constate depuis le début des années 2000 et la baisse du prix du glyphosate [1] en France et dans de nombreuses régions agricoles du monde, une très forte augmentation de son utilisation comme « herbicide total » (détruisant toutes les plantes présentes). Dans ce cadre, il est appliqué en plein et parfois plusieurs fois par an sur les mêmes parcelles. Parmi les usages fréquemment observés, on peut citer :

 1) des applications en plein avant les semis pour « nettoyer la parcelle » et éviter un travail mécanique du sol ;

 2) pour les agriculteurs semant des plantes rendues résistantes à cet herbicide, des applications systématiques après levée sur ces plantes (comme sur les plantes génétiquement modifiés telles que soja [2], maïs, coton, colza…) ;

 3) pour quelques zones ayant un climat humide (Nord-Ouest de l’Europe), utilisation sur céréales à paille juste avant leur récolte pour favoriser la dessiccation, laquelle accélère la maturation de ces céréales ;

 4) avant la moisson de certaines semences (luzerne…) et de nombreuses graines (pois-chiche), application pour détruire les adventices et faciliter la récolte ;

 5) dans de très nombreuses zones de l’UE sur les parcelles de céréales à paille, application après récolte pour détruire les herbes présentes dans les chaumes, lesquelles étaient auparavant détruites par des déchaumages mécaniques ;

 6) des applications pour « dessécher » des plantes dîtes de couverture (par exemple, destruction d’une moutarde semée après un blé ce qui peut permettre d’éviter de labourer la parcelle) ;

 7) un cumul de plusieurs utilisations mentionnées ci-dessus lorsque le système de culture repose sur du semis direct (sans labour) et des plantes rendues par transgenèse tolérantes à cet herbicide (c’est par exemple le cas de la majorité du soja produit en Amérique latine) ;

 8) de nombreuses applications hors usage agricole par des particuliers, des collectivités territoriales, le long des voies ferrées, dans des sites industriels, etc.

Ces applications de glyphosate se substituent le plus souvent au travail mécanique du sol et ce sont des solutions de facilité ou « de confort » pour les agriculteurs, les particuliers et les collectivités qui ne prennent malheureusement pas en compte les impacts dans la durée des épandages de glyphosate et des adjuvants qui lui sont associés.

Dans la présente note, nous n’évoquerons pas les impacts directs sur la santé humaine [3] des applications d’herbicides à base de glyphosate mais nous tenterons d’analyser leurs impacts environnementaux comme la réduction de la biodiversité et la pollution des eaux. Nous analyserons ensuite les impacts socio-économiques des systèmes de culture basés sur une forte utilisation de glyphosate.

La réduction de la biodiversité

L’application d’un herbicide total, c’est-à-dire détruisant toutes les plantes présentes dans un champ, est forcément néfaste pour la biodiversité (voir encadré ci-dessous) de ce champ [4]. Et cet impact sera d’autant plus important que les applications de glyphosate sont répétées suite aux pratiques culturales et aux rotations adoptées par l’agriculteur concerné. On sait pourtant qu’une biodiversité appauvrie réduit la durabilité globale des systèmes de production agricoles.

La biodiversité


« On peut décrire la biodiversité comme étant la variabilité parmi les organismes vivants. Ce concept englobe également la diversité au sein d’une espèce, entre espèces et entre écosystèmes. La biodiversité est importante parce que toutes les plantes, tous les animaux, insectes et micro-organismes interagissent et dépendent les uns des autres pour des ressources vitales comme la nourriture, les abris ou l’oxygène. Tous les organismes sont par conséquent interconnectés, chacun d’eux jouant un rôle qui lui est propre dans le « cercle de la vie ». Toute perte de biodiversité menace l’existence d’espèces individuelles et met en péril les écosystèmes desquels dépendent les êtres humains pour s’approvisionner en aliments et en matières premières«  [5].

Exemples d’impacts de l’usage du glyphosate sur la biodiversité :

 les herbicides totaux, tels que le glyphosate, tuent dans les parcelles traitées les plantes qui fournissent de la nourriture aux papillons et abeilles sauvages ;

 ces traitements peuvent aussi affecter la source de nourriture des oiseaux des champs tels que la perdrix et l’alouette ;

 après de fréquentes applications d’herbicides totaux, on peut observer la réduction du nombre de certains insectes auxiliaires (qui ne trouvent plus leur nourriture) et l’augmentation de la présence d’insectes nuisibles (qui ne sont plus biologiquement régulés par des auxiliaires). Il faut alors intervenir chimiquement pour éliminer les insectes nuisibles. Par conséquent, l’utilisation trop fréquente des herbicides totaux peut entraîner l’utilisation d’autres pesticides pouvant aussi être néfastes pour les agroécosystèmes.

La pollution des eaux

Le glyphosate est l’ingrédient « actif » dans le Roundup et l’acide aminométhylphosphonique ou AMPA le principal résidu de sa décomposition chimique.

Conséquence de la forte croissance d’utilisation du glyphosate, l’AMPA et le glyphosate sont, dans de nombreuses régions agricoles de France, les molécules les plus fréquemment rencontrées dans les eaux superficielles (voir ci-après, le classement par fréquence de détection des pesticides rencontrés dans les eaux superficielles en Pays de la Loire en 2015 [6].

Dans les cours d’eau des Pays de la Loire comme dans bien d’autres régions, l’AMPA est le pesticide le plus fréquemment quantifié. En 2015, il est présent dans plus de 83 % des prélèvements (82 % en 2014) et à des concentrations presque systématiquement supérieures à 0,1 μg/l (limite maximale admise dans la directive UE pour la potabilité de l’eau).

On retrouve également l’AMPA et le glyphosate dans nos nappes phréatiques. Cette forte présence entraîne d’importants surcoûts de traitement des eaux pour les rendre potables. C’est un problème que nous devrons gérer dans la durée pour l’AMPA à l’image de ce qu’il advient des résidus d’atrazine [7] encore très présents dans nos eaux alors que cette molécule est interdite depuis 2001.

Vu les faits mentionnés dans les deux paragraphes précédents, il ne sera à mon avis pas possible de concilier utilisation importante du glyphosate et agroécologie.

La réduction de l’emploi agricole et les autres impacts socio-économiques

La réduction de l’emploi agricole induite par l’usage de désherbants totaux est peu fréquemment évoquée en France mais elle est largement documentée dans les plaines d’Argentine et du Sud Brésil où les applications de glyphosate sont très nombreuses.

L’impact négatif sur l’emploi d’un herbicide total est facile à comprendre : il se substitue à des désherbages mécaniques et l’on sait que la productivité du travail obtenue avec un pulvérisateur de 24 m de large est plusieurs fois supérieure à celle d’un outil de travail du sol travaillant de 2 à 6 m de large !

D’autres impacts socio-économiques découlent de cette augmentation de la productivité du travail induite par l’utilisation du glyphosate.

Comme constaté dans les exploitations de grandes cultures des grandes plaines céréalières mondiales utilisant beaucoup de glyphosate et cumulant souvent l’usage de cet herbicide total et le travail simplifié du sol (voire le semis direct), les temps de travaux par ha peuvent diminuer de moitié. Un actif peut alors cultiver seul en grandes cultures plus de 200 ha (soit plus de 2 km² de Surface Agricole Utile – SAU). Cela favorise en conséquence l’agrandissement rapide des exploitations avec, comme corollaire, une diminution de la densité d’actifs agricoles dans les terroirs concernés. Et cela peut se traduire par une réduction de la vitalité et des dynamiques sociales dans ces terroirs.

L’augmentation de la productivité du travail n’est pas un avantage économique dès lors que l’on prend en compte le coût environnemental, sanitaire et social de l’usage du glyphosate. Le surcoût apparent des bonnes pratiques agricoles permettant de renoncer à son usage peut être compensé par de nombreuses aides environnementales publiques ou privées. La ville de Munich a par exemple fortement diminué le coût de son eau potable en subventionnant les agriculteurs travaillant sur ses zones de captage et leurs bassins versants pour qu’ils n’utilisent pas d’herbicides.

L’utilisation fréquente de glyphosate peut induire des conflits entre les agriculteurs et les autres personnes vivant dans les terroirs concernés. On le note en France avec des traitements au glyphosate ne respectant pas les chemins, haies ou bordures des cultures voisines. C’est un problème plus préoccupant encore en Argentine [8].

Quelles alternatives à l’usage du glyphosate en grandes cultures ?

Les alternatives à l’usage du glyphosate sont bien connues en grandes cultures. Il faut simplement revenir à des désherbages mécaniques comme des déchaumages après récolte et des labours « agronomiques » (peu profonds [9] afin de ne pas diluer la matière organique et favoriser l’érosion).

Pour réduire la pression de certaines adventices, dans la plupart des cas, il suffit d’allonger les rotations en alternant des cultures d’été et des cultures d’hiver et en diversifiant les familles botaniques cultivées.

Revenir à ces solutions de bon sens ne réduira pas la productivité de nos champs ! On sait d’ailleurs que les meilleurs rendements en blé ont été obtenus dans plusieurs zones de grandes cultures françaises en 1997, avant l’explosion de l’usage du glyphosate.

[1Le brevet du glyphosate étant tombé dans le domaine public en 2000, de nombreuses entreprises phytosanitaires – notamment en Chine – le produisent depuis cette date et son prix a très fortement chuté.

[2Les quasi monocultures de soja GM tolérant le glyphosate en Argentine et au Brésil ont entraîné une utilisation massive du glyphosate. Avec le temps, des adventices n’ont plus été détruites par les doses recommandées de cet herbicide et les agriculteurs utilisent des doses de plus en plus importantes.

[3Plusieurs études récentes mettent en évidence le rôle de perturbateur endocrinien du glyphosate. D’autres études signalent l’augmentation des résidus de glyphosate et AMPA dans les aliments pour les humains et les animaux (par exemple, dans le soja GM)

[4« Les chercheurs distinguent bien les responsabilités. Ce ne sont pas les OGM eux-mêmes qui sont responsables d’un appauvrissement de la faune et de la flore, mais les herbicides totaux qui y sont associés. Ainsi, les herbicides utilisés sur les plants de colza conventionnel sont pulvérisés avant que les plants ne sortent de terre, tandis que les herbicides totaux utilisés sur les colzas GM sont appliqués plus tard et détruisent plus largement les adventices. Certaines d’entre elles risquent ainsi de se raréfier. La nourriture et l’ombre qu’elles procurent à de nombreux insectes butineurs et oiseaux diminueraient d’autant, et ces différentes espèces se verraient menacées dans leur diversité », extrait de : « Une étude britannique montre les risques des cultures OGM pour la biodiversité ». Voir aussi Christophe NOISETTE, « OGM : nocifs pour la biodiversité ? », Inf’OGM, 21 mars 2005 et http://www.pnas.org/content/103/20/7571.full.pdf

[7Selon les données disponibles, les demi-vies dans les sols de l’atrazine et de l’AMPA seraient assez comparables.

[8voir Revue Agriculture, Environnement et Société, 2016, vol.5, n°2, 14, « L’innovation dans les pratiques professionnelles des agronomes face aux externalités négatives du modèle dominant en grandes cultures », Susana Grosso, Faculté de Sciences Agraires – Université National du Littoral – Argentina.

[9Plusieurs expérimentations ont mis en évidence que les labours profonds ont effectivement un effet négatif sur le taux d’humus et le stockage du carbone dans de nombreux sols. Par contre, pour conserver de l’humus dans des sols vivants, un travail du sol superficiel associé à des rotations longues et à un retour au sol des résidus de récolte n’est-il pas plus favorable que l’usage excessif du glyphosate associé à des systèmes de cultures trop simplifiés ? J’en suis personnellement persuadé.

Des expérimentations longues devraient porter sur cette comparaison en mesurant dans les deux cas les impacts carbone à moyen et long terme (voir le projet d’augmentation du taux de carbone dans les sols de 4 pour 1000 par an pour limiter l’accroissement du CO2 atmosphérique).

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