OGM : 13 ans que les étasuniens en mangent… et même pas malades !
Les étasuniens mangent des PGM depuis plus de 10 ans… Cette phrase est le début d’un argument qui tente de démontrer que « les PGM ne posent pas de problèmes de santé publique, autrement, ça se verrait ». Mais que peut-on voir de cette « expérience » en temps réel, qui ne correspond en rien à une étude précise, avec échantillons, groupe contrôle et analyses statistiques… ? En page une, Inf’OGM se pose la question des données non publiées issues du terrain et affirme qu’il ne s’agit pas de résultats scientifiques, mais que la recherche publique ou privée devrait se saisir de ces données pour les confirmer ou les infirmer. Mais pour autant, il ne s’agit pas de prendre pour argent comptant des phrases telles que « Les Etats-uniens mangent des PGM depuis plus de 10 ans et ne sont pas malades », sans les étayer par un protocole expérimental digne de ce nom… C’est ce que nous détaillons dans cet article.
Un argument revient souvent chez les partisans des OGM : les Etats-Unis sont la preuve vivante et concrète que les OGM sont sans danger pour l’homme, étant donné qu’ils en mangent depuis 1996. Ainsi, en 2006, l’ISAAA, organisme de promotion des OGM dans les pays en voie de développement, écrit dans son rapport : « Trois cent millions de personnes en mangent aux Etats-Unis et au Canada depuis 10 ans, et il n’y a jamais eu l’ombre d’un problème » (1). On retrouve ce poncif sous bien des formes. Les Nations unies écrivent que l’ « on n’a jamais pu montrer que leur consommation par le grand public dans les pays où ils ont été homologués ait eu un quelconque effet sur la santé humaine » (2). Et Axel Kahn, médecin et ancien Président de la Commission du Génie biomoléculaire, en 2007, ressert le même argument, avec ironie : « Vous craignez deux choses, les effets nocifs des OGM et l’unilatéralisme de l’impérialisme américain ? Je ne suis pas loin de partager votre souci. Mais vu qu’il y a aujourd’hui des OGM cultivés sur 110 millions d’hectares […], et vu que, depuis 10 ans, 300 millions d’Américains mangent des OGM matin, midi et soir, ne vous inquiétez pas, ils vont sûrement tomber comme des mouches et le péril américain va disparaître » (3).
Pour Inf’OGM, s’il est difficile de démontrer un effet des OGM sur la santé humaine, et de trancher la polémique (cf. page 1), personne n’a jusqu’à présent démontré l’inverse ! Car dans le débat sur l’innocuité, ce qui compte c’est la question de la charge de la preuve.
Un constat n’est pas une preuve
L’argument de la santé des Etats-uniens nous semble d’une piètre qualité scientifique. Tout d’abord, pour déterminer l’innocuité d’un aliment, il est nécessaire d’avoir une population témoin, c’est-à-dire une population non exposée à l’aliment dont on souhaite évaluer l’innocuité. Et pour établir ce lot témoin il faut pouvoir discriminer entre la nourriture contenant des OGM et celle n’en contenant pas. Or, aux Etats-Unis, la loi n’impose ni étiquetage, ni traçabilité. Quand les promoteurs des OGM évoquent cet argument, ils visent l’état général des américains, dans leur ensemble et ils font le constat que depuis 1996, la mortalité n’a pas augmenté de façon spectaculaire. De cela, on ne peut rien conclure si ce n’est que les OGM ne tuent pas, de façon brutale et rapide. Pour pouvoir déterminer plus précisément les conséquences sanitaires d’une telle nourriture, il faudrait mener une réelle étude épidémiologique, c’est-à-dire un suivi méthodique de la population, et ne pas se contenter d’une observation vague.
De plus, pour que ce suivi soit réellement pertinent, il conviendrait d’être mené sur plusieurs générations. A ce propos, le Dr. Alberta Velimirov (4) qui a mené récemment une étude sur quatre générations de rats nourris avec du maïs NK603xMon810, explique que seul ce suivi sur plusieurs générations permet de mettre en évidence un certain nombre d’effets des PGM. Or les études de toxicologie et d’alimentarité demandées aux entreprises souhaitant commercialiser des PGM doivent être réalisées, pour les rats sur 90 jours et pour les poulets sur 42 jours seulement.
Une consommation indirecte
Enfin, un troisième élément nous incite à remettre en cause la scientificité de cette « preuve américaine » : les OGM ne sont pas directement consommés par les êtres humains, mais arrivent dans les assiettes via le bétail, sous forme d’huile et de lécithine de soja qu’on retrouve dans les plats préparés. Il est donc malhonnête de dire que les américains mangent des plantes transgéniques trois fois par jour (sauf pour les mexicains qui eux sont susceptibles de manger directement de la tortilla transgénique trois fois par jour du fait de la contamination de leur culture de maïs par des OGM). Ils consomment des produits issus de ces plantes déjà digérées ou très raffinées (le cas des huiles par exemple). Ainsi, on ne peut savoir ce qu’il adviendrait si les PGM venaient à se généraliser pour être consommées directement, comme pour des fruits ou des légumes.
La difficulté du suivi méthodique tient aussi à deux facteurs extérieurs aux OGM : premièrement, aux Etats-Unis les liens entre l’industrie et les organes de régulation sont tels qu’il semble difficile, pour ne pas dire impossible, d’obtenir des éléments sérieux en matière de santé publique. Le professeur Robert Murphy, du Centre hospitalier de Chicago, précise dans une interview « qu’aux Etats-Unis, les industriels négocient le prix des médicaments hôpital par hôpital ! Il n’y a pas de négociations centralisées. Les moyens de pressions sont donc considérables et les rapports souvent faussés » (5).
Deuxièmement, les Etats-Unis font partie des pays de l’OCDE avec le plus faible nombre de consultations médicales par habitant (3,8 consultations par année en 2005) (6), et donc le suivi général de leur santé est de moins bonne qualité. Et, à l’instar des scientifiques, les médecins sont confrontés à des problèmes d’identification. Sans étiquetage, ils ne peuvent savoir ce que leur patient consomme. Les médecins ne peuvent donc pas jouer leur rôle d’alerte, dans la mesure où ils ne peuvent pas identifier (ou tenter d’identifier) telle ou telle maladie qui se développe, en lien avec tel ou tel facteur alimentaire. Certains médecins, réunis au sein de l’AAEM, appellent pourtant à un moratoire sur les OGM, considérant que de trop nombreuses questions ne sont pas résolues (cf. page 1).
Un pays bien malade
Si on compare (selon les chiffres de l’ambassade de France aux Etats-Unis), la France et les Etats-Unis, on se rend compte que la mortalité infantile est moins forte chez nous (4 pour 1000 contre 6,7) et que notre espérance de vie est plus longue (pour les hommes, 77,1 années contre 74,4), malgré une consommation plus importante de tabac. La prévalence de l’obésité chez les adultes est trois fois plus importante aux Etats-Unis qu’en France, avec un tiers des adultes américains âgé de 20 ans ou plus obèse, et deux-tiers en surpoids, selon le Centre national des statistiques de santé.
Si on prend d’autres chiffres, comme le taux de diabétiques, la fréquence des problèmes de cholestérol ou d’allergies alimentaires, là encore, les Etats-Unis font figure de leader. Le nombre d’enfants souffrant d’allergies alimentaires a augmenté de 18% pour atteindre trois millions aux États-Unis au cours de la décennie qui s’est achevée en 2007. De même, le président de l’American Diabetes Association précisait qu’ « un Américain sur trois né après l’an 2000 devra vivre avec le diabète toute sa vie ». Etant donné ces éléments, on peut donc affirmer, comme de nombreux observateurs l’ont déjà fait, que la santé des américains est moins bonne que celle d’autres pays occidentaux. Mais, il faudrait entrer dans les détails si on souhaitait avoir une analyse plus fine, car la disparité sociale est aussi plus grande aux Etats-Unis qu’en Europe.
On connaît aujourd’hui le lien entre santé et alimentation. On sait aussi qu’aux Etats-Unis, les OGM, mais aussi l’irradiation des aliments, l’hormone de croissance bovine, le poulet au chlore… ont été autorisés plus facilement qu’en Europe. Mais il ne faut cependant pas tirer de conclusions hâtives… L’état de santé d’un peuple est forcément multi-factoriel et demanderait des études longues et coûteuses qu’actuellement aucun gouvernement n’est prêt à prendre en charge. A supposer qu’une telle étude puisse apporter la réponse, il y a des cas où la précaution peut consister en l’abstention plutôt qu’en l’expérimentation, surtout si la balance risque/avantage est déséquilibrée.
Il serait donc aussi absurde de dire que l’état de santé dégradé des Etats-uniens est lié à la consommation de PGM que d’affirmer que les PGM sont sains car les américains en mangent depuis plus de dix ans. En outre, il faut rappeler que les dangers des PGM ne se résument pas à des risques de santé et souligner les enjeux environnementaux, politiques, économiques, philosophiques, juridiques, etc.