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Polémiques autour du riz transgénique doré
Le riz doré (appelé en anglais Golden Rice) a été génétiquement modifié pour produire du beta (β) carotène, précurseur de la vitamine A. La carence de cette vitamine provoque, particulièrement chez les enfants, des problèmes oculaires graves pouvant conduire à la cécité. L’Unicef estime qu’un apport suffisant en β-carotène permettrait d’éviter le décès d’un à deux millions d’enfants par an à travers le monde [1]. À grand renfort de publicité, le riz transgénique doré est présenté comme l’OGM utile, qui sera donné dans les pays en voie de développement et cherche à discréditer l’opposition aux OGM dans les pays riches, si égoïste et indifférente à la misère du monde.
À l’heure où les organisations internationales privilégient des stratégies holistiques de lutte contre la malnutrition, on voit apparaître une « méthode révolutionnaire » qui prétend résoudre les problèmes de carence en vitamine A par un apport « obligatoire » grâce à la consommation de riz génétiquement modifié. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et ce riz n’est peut-être pas aussi doré qu’il le paraît. Examinons les faits d’un peu plus près.
Des incertitudes scientifiques et des risques réels
L’obtention de ce riz transgénique est décrite en détail dans un article scientifique publié par une revue américaine prestigieuse, Science, en Janvier 2000 [2]. Le riz « naturel » ne synthétise pas de β-carotène, du moins dans sa partie comestible, l’endosperme, mais contient un précurseur, la Geranyl Geranyl biPhosphate (GGPP). Cependant, les enzymes responsables de la transformation du GGPP en β-carotène ne sont pas présents dans l’endosperme. En introduisant quatre gènes dont trois directement impliqués dans la synthèse de β-carotène (phytoene synthétase et lycopène β-cyclase, d’origine végétale – jonquille – et phytoene desaturase, d’origine bactérienne), le quatrième étant un gène de résistance à l’hygromycine, un antibiotique utilisé pour sélectionner les plants transgéniques, les auteurs ont réussi à obtenir des variétés transgéniques contenant des taux significatifs de β-carotène dans l’endosperme. La lignée présentée en exemple (que l’on peut supposer optimale) produit 1,6 mg de caroténoïdes par g d’endosperme. Les auteurs espèrent une production de 2 mg/g dans les lignées dérivées à venir et un apport équivalent à 100 mg de vitamine A pour 300 g de riz consommé, largement inférieur aux 600 mg quotidien recommandés par la FAO [3]. Il faudrait plus de deux kilos de riz doré sec par jour et jusqu’à neuf kilos de riz cuit [4] pour avoir l’apport en vitamine A suffisant !
Ce travail pose une série de questions qui sont loin d’être résolues.
L’idée de faciliter l’accès pratique à un apport en provitamine A est certes intéressante. Le riz est à la fois produit et consommé de façon importante par une partie des populations concernées , en particulier en Asie du sud-est, ce qui évite les problèmes logistiques de mise à disposition de la vitamine et de modification des habitudes alimentaires. Résout-il pour autant les problèmes liés à la conservation et à l’assimilation ? Ne crée-t-il des problèmes annexes qui pourraient être encore plus graves que ceux liés à la carence que l’on souhaite combler et ne conduit-il pas à terme à une fuite en avant technologique où d’autres produits manipulés seront indispensables pour corriger les effets pervers du premier ?
1- Le β-carotène produit sera-t-il assimilable, et à quelles conditions ? Sous quelle forme est-il stocké par la plante ? Est-il présent sous une forme résistante à la chaleur ou sera-t-il détruit par la cuisson ? Aucune donnée n’est disponible à ce sujet.
2- La synthèse du β-carotène est induite à partir du GGPP, précurseur d’autres voies métaboliques essentielles conduisant à la synthèse de vitamine E, d’acide gibbérellique et de chlorophylles. Une baisse de la synthèse de ces composés par compétition entre ces diverses voies métaboliques est prévisible. Elle a été effectivement observée dans un autre cas d’OGM : une tomate dans laquelle le gène codant pour la phytoène synthétase a été introduit [5]. Dans le cas du riz doré, elle n’a pas été étudiée. Ces nouvelles carences pourraient aussi bien toucher le développement de la plante, son comportement dans un milieu naturel, et l’apport nutritif par exemple en vitamine E. Devra-t-on dans ce cas attendre « l’invention » de nouveaux OGM correctifs ?
3- Quels sont les effets négatifs (allergiques, toxiques, etc.) sur l’organisme ? Aucune recherche de composés secondaires, aucune étude toxicologique n’a encore été publiée pour répondre à ces questions.
4- Le gène de résistance à l’antibiotique hygromycine pourra-t-il être éliminé, comme l’espère un commentaire dithyrambique rédigé par Mary Lou Guerinot dans la partie perspectives du même numéro de Science ? Cette élimination, si elle est possible, aboutira à l’élimination simultanée de l’un des trois autres gènes, celui codant pour la phytoène β-cyclase. Or, les résultats publiés montrent clairement que les lignées obtenues en l’absence de ce gène produisent nettement moins de β-carotène.
5- Quels sont les effets sur l’environnement ? À court terme et à long terme ? Toutes les questions posées de façon générale au développement des OGM se posent également pour le riz doré, mais dans un contexte encore plus sensible car il concerne une céréale jouant un rôle essentiel dans l’alimentation de la majeure partie de la population mondiale.
Les pays du Sud, dans lesquels ce riz serait cultivé en masse, pourront-ils assurer de façon efficace les essais indispensables permettant de contrôler l’innocuité de la culture aux niveaux sanitaire, agricole et environnemental ?
L’histoire montre les dérapages possibles.
L’Afrique en particulier devient le dépotoir des ordures et autres déchets toxiques, même radioactifs ; des réseaux de distribution de médicaments périmés existent et le DDT continue encore à être vendu, alors qu’il est interdit d’utilisation dans tous les pays occidentaux. Il y a donc fort à parier que la culture des OGM dans les pays du Sud se fera sans aucun contrôle sérieux.
Trois milliards de cobayes : les pays pauvres, terrains d’expérimentation
Les données sont en effet loin d’être suffisantes pour justifier les commentaires élogieux et l’engouement scientifique. Ceux-ci semblent refléter davantage un objectif à peine caché : re « dorer » le blason, non pas du riz, mais des OGM. Les OGM perdraient ainsi leur statut d’émanation de multinationales recherchant le profit pour gagner une respectabilité exemplaire : la lutte contre la malnutrition. Le commentaire de M.L. Guerinot, évoqué ci-dessus, est significatif à cet égard : « On peut seulement espérer que l’application du génie génétique à l’amélioriation de la misère humaine sans considération pour les bénéfices à court terme [appréciez au passage le » court terme « !] restaurera cette technologie comme politiquement acceptable ». Il est encore plus intéressant de lire dans le même commentaire : « le fait que le riz produise normalement des caroténoïdes devrait largement apaiser les craintes liées à la nourriture manipulée (Frankenfood ) » et plus loin : « Il est sans doute possible d’intervenir par voie métabolique de la plupart des 13 vitamines essentielles, dans les plantes (…). Un autre défi pour les chercheurs consiste à améliorer le contenu en minéraux des plantes afin qu’elles puissent servir de sources pour les 14 minéraux nécessaires à l’alimentation équilibré des humains ». Est-ce vraiment l’avenir diététique que nous souhaitons ?
Les dessous politico-financiers d’une mascarade caritative
L’affaire du riz doré met en lumière de façon significative les enjeux politico-financiers concernant la filière OGM et en particulier la question des droits de propriété intellectuelle et de privatisation du vivant. La recherche a été entreprise et financée par des institutions publiques ou caritatives et les auteurs mettent l’accent, de façon fortement médiatisée, sur le caractère humanitaire de leur travail. Ils ont annoncé dans diverses déclarations publiques que les semences génétiquement modifiées seront offertes gratuitement aux agriculteurs pauvres des pays du Sud. Or leur production ne leur appartient pas totalement : elle tombe en effet sous le coup d’une multitude de brevets et MTA (material transfer agreement), détenus pour la plupart par les multinationales du secteur agro-alimentaire. Ceux-ci concernent les quatre gènes introduits dans le riz et des procédés microbiologiques de transformation. Dans une étude publiée en automne 2000, l’Isaaa a répertorié plus de 70 brevets [6]. Malgré le caractère redondant de certains de ces brevets et le fait que beaucoup d’entre eux appartiennent à des institutions publiques ou ne soient pas applicables dans les pays du Sud, les auteurs doivent composer avec les multinationales pour assurer la protection de leur « invention » ou simplement la distribution gratuite aux pays du Sud des semences ainsi produites. C’est ce qu’ils ont commencé à faire, dans des conditions qui sont loin d’être limpides, en signant un accord avec AstraZeneca. AstraZeneca s’est engagée à prendre en charge les essais additionnels requis à la fois au niveau sanitaire et environnemental, à négocier avec les détenteurs de brevets et MTA liés au riz doré, et d’assurer la distribution gratuite des semences aux agriculteurs pauvres des pays du Sud. Par ailleurs Monsanto, détenteur d’un brevet protégeant l’un des gènes impliqués dans la synthèse du β-carotène, a annoncé publiquement la mise à disposition gratuite du brevet pour raisons humanitaires. Mais l’absence de transparence dans les termes précis de l’accord font craindre à de nombreux observateurs que les neuf ans d’efforts et d’investissements de la recherche publique, seront bradés à des multinationales qui s’entendront entre elles pour s’approprier connaissances et bénéfices liés à l’utilisation de ces connaissances.
Le riz transgénique doré associe dans l’esprit du public « OGM » avec « humanitaire » ce qui permet de discréditer l’opposition des pays riches, jugée comme irresponsable et égoïste.
En arrivant à faire produire des OGM massivement dans les pays du Sud où l’opinion publique est affaiblie ou muselée, les grandes firmes provoquent une situation de fait accompli du tout OGM, avec effet boomerang. Les pays du Sud seront contraints à exporter des OGM et les pays du Nord à ériger des contrôles de traçabilité de plus en plus contestables. Les législations reconnaissant le droit des brevets sur les variétés végétales n’existent pas dans la plupart des pays du Sud, qui s’opposent à la privatisation des organismes vivants. Pour rendre politiquement acceptables les variétés transgéniques et les brevets, les grandes firmes proposent d’en accorder la liberté d’utilisation aux paysans pauvres (ceux ayant une production annuelle inférieure à 10.000$ par an). Pour les autres, ceux qui sont solvables, il n’en est pas question. Le lobby agrobiotech pourrait souhaiter conditionner l’aide humanitaire en échange de la reconnaissance par les États bénéficiaires des brevets sur les variétés végétales ; législations qui rendraient définitivement caduc le droit des agriculteurs, de semer l’année suivante le produit de leur récolte.
Ainsi, ce riz doré a bénéficié de beaucoup de publicité pour un produit loin d’être achevé et qui ne justifie sans doute pas les milliards mis dans son développement, si ce n’est pour en faire une coûteuse vitrine des OGM. Selon l’Irri, lors d’une rencontre avec Greenpeace, ce riz doré ne sera pas planté avant 2003, puisque cet institut procède actuellement au transfert des caractères d’enrichissement en provitamine A dans les variétés de riz qui seront distribuées aux philippins.
N’existe-t-il pas des solutions moins chères et moins dangereuses pour l’environnement et la santé pour soigner ce mal tragique de la pauvreté que les artifices des cultures transgéniques dans des régions sans capacité de contrôle ? Une agriculture durable et diversifiée n’est-elle pas une solution plus juste, moins coûteuse et mieux adaptée à l’environnement ?
Et plus fondamentalement encore, la question de la faim dans le monde, des maladies et de la pauvreté dans le Sud ne sont-elles pas avant tout des questions politico-économiques ? La FAO elle-même s’accorde à dire que ces questions sont, pour au moins 50% des cas, liées à des guerres ou des situations d’instabilité politique. La polémique est finalement assez secondaire.