n°155 - mai / juin 2019Ressource extérieure

Pourquoi Bill Gates n’est pas le bienfaiteur de l’humanité

Par Frédéric PRAT

Publié le 20/05/2019

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Bill Gates et sa fondation éponyme (à laquelle, grand seigneur, il a ajouté le nom de sa femme) ne laisse personne indifférent. Cet homme, longtemps le plus riche du monde – sa fortune personnelle était estimée en 1998 à 90 milliards de dollars (80 milliards d’euros), supérieure à 45 des 48 pays d’Afrique subsaharienne ! -, y a investi 43,5 milliards de dollars et sa fondation est le douzième donateur mondial, devant des pays comme la Belgique ou le Canada.

« Quel altruisme  » pourrait-on penser ! Mais dès que l’on gratte un peu… C’est ce qu’a décidé de faire ce court « récit d’investigation », nous contant en détails les débuts de l’aventure Microsoft (à base de pillage de logiciels libres, brevetés par la suite), puis la façon dont cette fondation « investit » dans différents programmes de santé ou d’agriculture dans le monde, et notamment en Afrique.

À savoir : la Fondation ne distribue que les intérêts de cet immense capital (auquel est venu s’ajouter une partie de la fortune de Warren Buffet), capital qui, lui, est placé dans des actions d’entreprises… ces dernières régulièrement aidées par la Fondation. Et la boucle est bouclée, car les profits générés par ces entreprises (dont Microsoft, où Gates détient encore 4,5 % des actions, ainsi que Monsanto ou des entreprises pharmaceutiques) « ré-engraissent  » la Fondation. Beau montage de « philantro-capitalisme ».

Cibles privilégiées des aides : les entreprises, donc, mais pas les citoyens ou les États. Et aussi des universités, des organisations internationales (y compris l’OMS), ainsi que des médias, ce qui souvent empêche la critique ou les enquêtes poussées sur cet empire : il y aurait trop à perdre…

Quant aux solutions préconisées, elles ne sont que technologiques, « allant de nouveaux vaccins à des cultures plus résistantes, en passant (…) par des tablettes moins cher ».

La Fondation Gates n’est pas seulement «  une tête de pont  » en Afrique pour Microsoft : elle l’est aussi pour les OGM. Dans le discours accompagnant l’annonce d’un don de 200 millions de dollars au Fonds international de développement agricole (Fida), Bill Gates implorait les gouvernements « d’apporter ’’aux paysans pauvres la science et les techniques agricoles [dont] les entreprises privées [ont la] véritable expertise’’, à savoir les OGM et la biotechnologie ».

L’alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) est la filiale africaine de la Fondation Gates. Son objectif : remplacer les semences paysannes, libres de droits, utilisées par 80 % des petits paysans, par des semences industrielles, protégées commercialement. Ses moyens : une pression sur les systèmes législatifs de chaque pays africain, notamment pour qu’ils adhèrent à l’UPOV [1] en parallèle au rachat des petites entreprises semencières africaines par des multinationales semencières.

On pourrait égrainer à l’envi la liste de toutes les instances où la Fondation a investi. Le plus significatif, en agriculture, est sans nul doute le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI), qui comprend les principaux centres de recherche mondiaux par culture (CIMMYT pour le maïs et le blé, l’IRRI pour le riz, etc.) : la Fondation Gates en est le 3e bailleur (après les États-Unis et le Royaume-Uni), ce qui lui donne le privilège d’être le seul membre privé de son conseil d’administration. Et elle ne se prive pas d’orienter la recherche de tous ces centres afin, dit-elle, de tirer « profit des dernières avancées scientifiques, notamment la biotechnologie agricole  ».

Intrants chimiques, mécanisation agricole, sorgho ou banane « biofortifiés » (enrichis par transgenèse en micronutriments – fer, zinc, vitamine…) et autre riz doré : la fondation est sur tous ces fronts et Vandana Shiva, dans sa postface, dénonce avec raison son absence totale d’une vision agroécologique, basée sur les savoirs paysans.

À quand un monde où de telles richesses indécentes, permettant des prises de pouvoirs éhontées, seront rendues impossibles ?

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