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OGM : quand l’industrie noyaute la littérature scientifique
La question de l’innocuité des plantes génétiquement modifiées (PGM) revient sans cesse sur le devant des scènes médiatique et politique. Or la Science (notez la majuscule !) est censée être capable de trancher dans les controverses et les polémiques en apportant des informations vérifiées, et vérifiables. Pourtant ce n’est pas ce qu’on observe et la science (elle en perd donc sa majuscule !) malheureusement a bien du mal à émerger dans ce débat. Elle est prise en otage, instrumentalisée, et souvent même trahie. Les conflits d’intérêt sont légions. En voici un nouvel exemple criant.
En avril 2014, la revue Food and Chemical Toxicology a publié un article scientifique [1] qui affirme que le colza (canola) tolérant un herbicide à base de glyphosate (DP-073496-4), de l’entreprise Pioneer, ne présente aucun risque pour la santé humaine et animale. Or, tous les auteurs de l’article sont des salarié-e-s de l’entreprise DuPont ou de sa filiale Pioneer et, plus fort encore, le premier auteur, Bryan Delaney, est aussi un des cinq co-éditeurs du journal qui publie cet article.
Et, les auteurs déclarent, le cœur sur la main, dans leur article « n’avoir aucun conflit d’intérêt ». Il semblerait que nous n’ayons pas la même définition de cette notion.
Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. L’industrie finance et publie de très nombreux articles pour soutenir « scientifiquement » l’innocuité de ses propres produits. Citons, rapidement, un article de 2008 [2] qui « montre » l’innocuité pour le soja DP-356043-5 co-signé par des salarié-e-s de Pioneer / Dupont et un autre de 2012 [3] qui « montre » l’innocuité pour le maïs DP-004114-3, également signé par des salarié-e-s de Pioneer / Dupon. Là encore, bien entendu, les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Rappelons juste que cette revue avait publié, puis retiré, l’étude de G.-E. Séralini, qui faisait état d’impacts sur la santé pour des rats nourris au maïs NK603. Rappelons encore que cette rétractation de la revue avait coïncidé avec l’arrivée comme « rédacteur en chef associé », pour les biotechnologies d’un ancien salarié de Monsanto, M. Richard E. Goodman [4].
Contamination : le témoin était-il coupable ?
Au-delà du conflit d’intérêt plus que flagrant, la question de la valeur intrinsèque de l’étude fait débat. Ainsi, le Comité de recherche et d’informations indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) précisait dans une lettre ouverte à la revue [5] que l’étude était « non conclusive ». En effet, le CRIIGEN affirme avoir « analysé la base du régime alimentaire des rats de laboratoire utilisé dans l’expérience de DuPont, nourriture obtenue auprès de la société Purina (…) [et] constaté qu’elle était contaminée par 18% de maïs OGM NK603 tolérant le Roundup et 14,9% de maïs OGM Bt MON810″. Ils ont également constaté que l’alimentation contenait des résidus de glyphosate, principe dit « actif » du Roundup, et de l’AMPA (le principal métabolite du glyphosate). Pour le CRIIGEN, au final, « le groupe témoin a lui aussi été nourri avec des OGM, du maïs précisément, avec la même modification génétique de tolérance au Roundup !« . Pour eux, il est évident alors que la comparaison des différents lots ne permet pas de détecter quelques différences que ce soit. Et le CRIIGEN de conclure : « Il y aurait de quoi sourire, si malgré sa mauvaise conception apparente, l’étude ne devait pas servir de caution scientifique pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché de ce colza OGM tolérant au Roundup en cours d’évaluation réglementaire ».
L’auteur principal de l’étude contestée a balayé cette remarque d’un revers de la main. Dans une courte lettre à l’éditeur, il précise simplement que « les rations qui ont été produites pour notre étude ont été préparées spécifiquement pour DuPont Pioneer et conservées dans le laboratoire où l’étude a été conduite. Mesnage et les co-auteurs n’ont pas mené d’analyses sur les rations utilisées pour notre étude ».
Interrogé par Inf’OGM, Robin Mesnage nous précise qu’ils n’ont pas eu accès, bien évidemment, aux croquettes utilisées dans l’expérience mais qu’ils ont analysé un autre lot des mêmes croquettes. « Leur argument est de mauvaise foi. C’est comme si je disais “ je ne veux pas croire que le saumon peut contenir des métaux lourds car celui que j’ai mangé hier soir n’a pas été analysé spécifiquement ” ». Or « en retour, ils n’ont fourni aucun résultat d’analyses pour démontrer la validité de leur étude comme le voudrait le débat académique serein ».
Le CRIIGEN dénonce, à nouveau, une politique éditoriale de la revue basée sur le « deux poids deux mesures ».
[1] Delaney, B., Thirteen week rodent feeding study with processed fractions from herbicide tolerant (DP-Ø73496-4) canola, Food and Chemical Toxicology, Vol.66, April 2014, pp.173–184, http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691514000568
[2] Appenzeller, L., Subchronic feeding study of herbicide–tolerant soybean DP-356Ø43-5 in Sprague–Dawley rats, Food and Chemical Toxicology, Volume 46, Issue 6, June 2008, Pages 2201–2213
[3] Delaney, B., Thirteen week rodent feeding study with grain from molecular stacked trait lepidopteran and coleopteran protected (DP-ØØ4114-3) maize, Food and Chemical Toxicology, Volume 53, March 2013, Pages 417–427
[4] , « ETATS-UNIS – La littérature scientifique sous l’influence de l’industrie des OGM », Inf’OGM, 21 mai 2013