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INTERNATIONAL – Réchauffement climatique : des crédits carbone accordés à des OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 14/03/2016

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Arcadia, une entreprise étasunienne, a développé un transgène qui permet, en théorie, aux plantes industrielles – soja, blé – de mieux valoriser l’azote des engrais de synthèse. Cette technologie a été homologuée en 2012 au titre de mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto. En 2015, la Food and Drug Administration (FDA) validait une première étape d’autorisation en confirmant que ces plantes ne présentaient « aucun risque pour la santé humaine et animale ».

En 2003, lors de la conférence des parties au Protocole de Kyoto (Milan, Italie) [1], la question de l’attribution de crédits carbone [2] a été évoquée pour des cultures génétiquement modifiées (OGM). Dix ans après, les OGM censés aider dans la lutte contre le changement climatique reviennent. En effet, en avril 2012, l’entreprise étasunienne Arcadia BioScience, une entreprise étasunienne impliquée dans les biotechnologies végétales, a demandé au secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), dont dépend le Protocole de Kyoto, d’accréditer une de ses technologies pour que les agriculteurs qui l’utilisent bénéficient de crédits carbone. Il s’agit d’un procédé qui améliore l’efficacité de l’utilisation de l’azote par les plantes (en anglais : Nitrogen Use Efficiency – NUE). Ce procédé est censé permettre de créer des plantes transgéniques qui métabolisent mieux l’azote, donc, en théorie, qui permettraient d’épandre moins d’engrais azotés.

Les engrais de synthèse produisent des gaz à effet de serre


Les engrais industriels contenant de l’azote émettent du protoxyde d’azote. Ce dernier est un gaz à effet de serre environ 300 fois plus puissant que le CO2. En 2015, l’Inra [3] estime que « l’agriculture est responsable de 86,6% des émissions françaises de [protoxyde d’azote] (N20) provenant essentiellement de la transformation des produits azotés (engrais, fumier, lisier, résidus de récolte) sur les terres agricoles ».

Le 19 décembre 2012, l’entreprise annonçait par voie de presse [4] que le Conseil exécutif du mécanisme de développement propre (ou en anglais « Clean Development Mecanism – CDM) ») [5] qui dépend de la CCNUCC, avait homologué sa technologie. Cependant, cette homologation doit être confirmée tous les ans au regard de la réalité des réductions des gaz à effet de serre (GES) générées par le projet.

Crédit carbone : la financiarisation du climat est-elle efficace ?


Dès 2010, le journal Le Monde [6] rapportait que « selon plusieurs organisations de défense de l’environnement, la moitié des économies de gaz à effet de serre financées dans les pays du Sud sous l’égide des Nations unies, grâce au mécanisme de développement propre (MDP), serait largement fictive et aurait surtout permis à l’industrie chimique d’engranger de substantiels subsides. Pire, la méthodologie définie par les Nations unies “augmente les émissions totales au lieu de les diminuer”, dénoncent CDM Watch et Noé 21 ». Ce que nous confirme le Réseau Action Climat (RAC-F) [7] : « La compensation par mécanisme de projet comme le MDP est un jeu à somme nulle (aucune réduction nette d’émissions), elle a eu très peu d’impacts positifs à ce jour en termes de développement local dans les pays concernés. Plus de 60% des projets sont allés à la Chine sur des technologies industrielles qui n’impliquent pas de changement structurel dans les modes de développement, de production et de consommation. L’inclusion de l’agriculture dans les marchés du carbone internationaux est très critiquée par les ONG : risque d’accaparement de terres dans des zones où les paysans sont trop faibles pour défendre leur terre et où le droit coutumier n’est pas reconnu, menace sur la sécurité alimentaire (on fait de la production qui séquestre du carbone plutôt que des cultures vivrières destinées au marché local), promotion de modèles agricoles productivistes, impossibilité pour les petits paysans de participer à ce système compte tenu du tarif d’entrée (investissement, achat de technologies) et des coûts de transaction liés au dépôt de projet et à la certification des réductions d’émission. Sans compter les limites et les incertitudes techniques de réductions d’émissions réalisées par séquestration organique dans les sols. D’ailleurs, les projets d’usage des sols sont extrêmement minoritaires dans le MDP, n’étant pas éligibles dans le marché européen des quotas ».

La technologie NUE, mise au point en collaboration avec Ningxia Academy of Agricultural and Forestry Sciences (NAAFS, Chine), est actuellement testée en champs sur plusieurs cultures. Arcadia BioScience a signé des accords de licence avec Monsanto pour une exploitation de cette technologie sur le colza (2005), avec Dupont sur le maïs (2008), avec Vilmorin sur le blé (2009) [8], avec United State Sugar Corporation sur la canne à sucre (2012) et avec SESVanderHave sur la betterave à sucre. Les premières semences sont attendues pour 2016, annonce l’entreprise.

En 2015, 16 essais en champs ont été initiés par Arcadia ou ses « partenaires commerciaux » dans le monde avec des riz, blés, orges et colzas génétiquement modifiés selon la technique NUE. Et Arcadia a déjà commencé des recherches pour utiliser cette technologie sur neuf autres espèces.

NUE franchit une étape dans son homologation

Le 9 juin 2015, Arcadia a obtenu une première validation par la FDA – l’agence étasunienne en charge des aliments et des médicaments – pour sa technologie NUE. Au cours de cette première évaluation (Early Food Safety Evaluation, EFSE), la FDA a conclu que la protéine synthétisée dans les plantes modifiées selon la technologie NUE, à savoir l’enzyme alanine aminotransférase (AlaAt) responsable de la métabolisation de l’azote du sol par les plantes, ne présentait aucun risque pour la santé humaine et animale. Cette validation recouvre l’ensemble des espèces dans lequel le transgène NUE a été inséré.

NUE : la continuité d’une sélection végétale menée par l’industrie

Comme pour le blé de l’Institut britannique Rothamstead [9], l’entreprise « oublie » de préciser que toutes les agricultures ne sont pas dépendantes des engrais azotés. La technologie développée par Arcadia est peut-être performante dans le cadre d’une agriculture conventionnelle qui utilise des semences dites à haut rendement, lesquelles nécessitent des béquilles chimiques. Ainsi, dans ce paradigme, et sans trop préciser les conditions de l’expérience, Arcadia affirme, dans un communiqué de presse, que NUE permet un gain de rendement de 10% par rapport à une variété non génétiquement modifiée en agriculture conventionnelle. Mais n’est-ce pas la roue de secours d’une voiture qui va dans le mur ? En d’autres termes, le gain, si gain il y a, semble réservé à une agriculture dépendante des énergies fossiles, donc peu durable…

Concrètement, s’il s’agit de mesurer l’intérêt de NUE dans d’autres systèmes agricoles, notamment sur un plan de dépenses énergétiques et d’émissions de CO2, il nous est permis de douter que cette technologie l’emporte si on la compare par exemple avec une agriculture paysanne et notamment la polyculture-élevage, qui utilise des variétés paysannes adaptées et permet de fertiliser les sols via la fumure organique tout en stockant du carbone dans les prairies naturelles. Si Arcadia lance ce type de comparaison, on attend les résultats avec impatience…

Au final, la technologie NUE n’est que la continuité d’un siècle d’ « amélioration des plantes » [10] qui consiste notamment à sélectionner des plantes qui absorbent mieux l’azote soluble apporté par les engrais de synthèse. Quelle que soit l’origine de cet apport – chimique, organique, meilleure mobilisation de l’azote par la plante (technologie NUE) -, l’équation simpliste azote = augmentation de rendement peut être illusoire. En effet, l’apport d’azote soluble à des plantes sélectionnées pour l’absorber et le métaboliser en excès – donc au détriment des autre fonctions – permet d’augmenter le poids d’une récolte, mais celle-ci est alors constituée d’un excès d’eau, de sucres et de protéines de mauvaises qualités et carencée en minéraux, fibres et protéines de haute qualité nutritionnelles. Enfin, une plante qui a reçu une forte fertilisation sera aussi plus sensible aux agresseurs (champignons et insectes parasites) [11], il faudra donc augmenter les doses de pesticides.

La technologie NUE sera introduite dans des variétés hybrides génétiquement modifiées nécessitant de nombreux pesticides. La solution au changement climatique passera par une modification importante et radicale des pratiques culturales et non par une technique qui n’a pour but que de donner une image plus verte à l’agriculture intensive et industrielle. Cette technique NUE fait partie de l’ensemble de la politique de greenwashing de l’industrie agro-alimentaire, au même titre que la labellisation pour le moins étonnante (d’aucuns diront scandaleuse) du « soja durable » (OGM !) en Amérique latine [12] [13].

[2Les crédits carbone sont des unités – correspondant à une tonne d’équivalent CO2 – attribuées à un acteur qui propose, dans le cadre des « mécanismes de développement propre », un projet qui réduit (ou qui évite) les émissions de gaz à effet de serre

[8Vilmorin est entrée dans le capital d’Arcadia en mai 2010 et réciproquement

[10Expression retenue par les sélectionneurs alors qu’elle implique un jugement de valeur nullement explicité : amélioration par rapport à quoi ? et pour aller vers où ?

[11Les Plantes Malades des Pesticides, réédition Utovie, 2011, Francis Chaboussou

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