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Maïs Mon810 et téosinte, des croisements toujours pas surveillés

Par Eric MEUNIER

Publié le 27/11/2025

    
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Depuis plusieurs années, l’AESA et l’Anses demandent à Bayer de surveiller l’émergence de téosinte, ancêtre sauvage du maïs, dans les champs cultivés avec du maïs Mon810 au Portugal et en Espagne. En 2023, l’entreprise ne le faisait toujours pas. Pourtant, la présence de téosinte en Europe est attestée. Une étude scientifique a même montré expérimentalement que le transgène Mon810 peut être transmis du maïs à des plants de téosinte collectés dans les champs espagnols. La production de protéine transgénique insecticide n’est donc pas maîtrisée.

En 2023, le maïs transgénique Mon810, modifié génétiquement pour exprimer la protéine insecticide Cry1Ab, a été cultivé sur 46 327 ha en Espagne et 1 898 Ha au Portugal. La culture de ce maïs a été autorisée dans l’Union européenne en 1998, pour une période de dix ans. Depuis, elle reste légale du fait d’une demande de renouvèlement d’autorisation déposée par Bayer en 2007, à laquelle la Commission européenne ne répond pas, absence de réponse équivalant à une autorisation prolongée de fait. Les cultures en Espagne et au Portugal font l’objet de rapports annuels de surveillance environnementale, que les comités d’experts européens et français commentent chaque année. Ces rapports témoignent de l’inquiétude de ces experts, répétée année après annéei, quant à l’absence de surveillance adéquate de cette téosinte dans les champs de maïs Mon810.

En Europe, la téosinte peut acquérir le transgène du maïs Mon810

L’inquiétude des experts fut renforcée en 2024 par la publication d’un article scientifique espagnolii. Cet article s’inscrit dans la lignée des études sur l’occurrence de croisements entre maïs transgéniques et non transgéniques initiées par Quist et Chapela en 2001, quand ils détectèrent la présence de transgènes Bt dans des variétés locales de maïs mexicainiii.

Dans l’article de 2024, comme le rapporte l’Anses dans son avis publié début 2025iv, les scientifiques espagnols montrent « la production de la protéine Cry1Ab et une résistance aux insectes cibles pour des plantes hybrides résultant de croisements spontanés entre le maïs MON810 et des téosintes collectées en Espagne ». En effet, après avoir prélevé en Espagne des plants de téosinte et les avoir croisés dans un cadre expérimental sur trois ans avec du maïs Mon810, ces scientifiques disent avoir obtenu en une année des croisements présentant une capacité à tuer des insectes en produisant une protéine Cry1Ab.

Pour l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA)v, ces résultats « suggèrent que la possibilité de croisement entre le maïs Mon810 et la téosinte peut être plus forte que précédemment anticipé dans des conditions expérimentales ». Ils ajoutent que ces hybrides téosinte/maïs Mon810 peuvent produire des semences viables et avoir un avantage sélectif par rapport aux plants de téosinte. Ils estiment cependant que plus d’études sont nécessaires « en conditions réelles » pour établir si « l’acquisition et l’expression de la séquence Cry1Ab dans les hybrides téosinte/maïs Mon810 peut augmenter leur persistance et capacité d’envahissement ». Quant à savoir si cela introduit un risque supplémentaire pour les organismes cibles et non-cibles de la protéine transgénique Cry1Ab, la réponse dépendra des résultats d’une étude à conduire, si elle est conduite…

On peut en effet imaginer que si des plantes dans la nature se mettent à produire un insecticide, la quantité totale de protéine insecticide ne sera plus maîtrisée (si tant est qu’elle le soit dans des champs d’OGM). Certaines zones verraient les insectes exposés à des quantités supérieures à la dose létale pour tuer 50 % de la population exposée (DL50), alors que d’autres zones verraient cette quantité être inférieur à la DL50. Une telle situation risque de favoriser l’émergence d’insectes ayant développé une résistance à la protéine insecticide. En d’autres termes, des insectes résistant au maïs Bt seraient sélectionnés, ce qui priverait les agriculteurs de l’usage de bactéries Bt naturelles, autorisées en agriculture biologique, et favoriserait la prolifération de téosintes Bt dans les cultures de maïs, au risque d’interdire toute culture de maïs « sans OGM » ou biologique. Les sélectionneurs serainet eux privés de l’usage de la téosinte pour intégrer ses caractères de rusticité dans de nouvelles variétés non-GM. Une telle contamination pourrait aussi perturber de manière irréversible les équilibres de la biodiversité.

Des experts toujours aussi critiques des pratiques de Bayer

Le problème est que les inquiétudes évoquées depuis plusieurs années sur la présence de téosinte en Espagne et, depuis cet article scientifique publié en 2024, de la capacité avérée de ces téosintes à acquérir le transgène Mon810, ne semblent pas entendues par Bayer qui, en retour, ne fait rien.

L’Anses souligne par exemple que l’entreprise n’interroge plus les agriculteurs portugais cultivant le maïs Mon810, mais seulement les espagnols. Une pratique que l’Anses, comme l’AESA, ne valide pas, puisqu’elle indique souhaiter que le questionnaire développé par Bayer à destination des agriculteurs « soit également soumis aux agriculteurs portugais, puisque les conditions de cultures, et donc les effets, pourraient être différentes entre le Portugal et l’Espagne ». Quant aux questions posées aux espagnols, ces mêmes experts expliquent que les agriculteurs « doivent indiquer si les cinq plantes adventices les plus abondantes dans leurs parcelles de maïs MON810 sont différentes de celles identifiées dans les cultures de maïs conventionnel ». C’est une question inadéquate, puisqu’elle ne permet pas d’identifier la présence de téosinte si cette dernière ne fait pas partie des cinq plantes adventices les plus abondantes dans les parcelles de maïs Mon810. L’Anses et l’AESA demandent donc, à nouveau, que « la présence de téosintes fasse l’objet d’une question spécifique et explicite, dans le cadre des questionnaires d’enquête auprès des agriculteurs ».

Ces informations non collectées par Bayer sont pourtant à la base du travail de surveillance plus spécifique que les experts recommandent. Comme l’indique l’AESA, « ce manque de nouvelles données limite la capacité à tester spécifiquement les hypothèses d’un tel risque et de confirmer ou réfuter les recommandations antérieures liés à la gestion des risques liés au maïs Mon810 ». Pour les experts français et européens, la présence de téosintes devrait être prise spécifiquement en compte dans les cas de cultures du maïs MON810 parce qu’elles peuvent se croiser avec le maïs. Cela devrait se traduire par :

Pour se résumer, l’Anses demande que « la présence de téosintes, et le cas échéant la surface de ces populations, ainsi que la présence du transgène cry1Ab au sein de ces populations, soient prises en compte par le détenteur de l’autorisation dans son plan de surveillance du maïs MON810 ».

De son côté, Bayer, comme le rapportent l’Anses et l’AESA, estime que l’apparition de téosinte est un problème agronomique général concernant tous les types de culture de maïs. L’entreprise en conclue donc « qu’un rapport sur l’émergence ou l’occurrence de la téosinte dans le cadre de l’évaluation de la sécurité du maïs MON810 n’est pas justifié ».

Des risques à venir ?

Les inquiétudes des experts relèvent de risques potentiels assez simples à imaginer en cas de transfert du transgène Mon810 aux téosintes présentes dans les champs de maïs Mon801, surtout si les populations de téosintes devaient croître dans ces champs dans les années à venir.

Un des problèmes est qu’un tel transfert pourrait conférer aux téosintes une capacité insecticide, comme montré par l’article scientifique espagnol publié en 2024. Une telle situation serait d’autant plus inquiétante que ces téosintes produisant un insecticide pourraient à leur tour se disséminer et transmettre le transgène à d’autres plants de maïs non transgéniques. Au final, la production de protéine transgénique serait amplifiée, comme seraient logiquement amplifiées les quantités de protéines insecticide présentes dans l’environnement. En certains endroits, elle pourrait se trouver en quantité supérieure à ce qui fut de fait anticipé lors de l’autorisation de culture commerciale donnée en 1998. Des insectes non cibles pourraient alors être impactés et tués par cette protéine. En d’autres endroits, elle pourrait se trouver en quantité insuffisante. Dans ce cas, les insectes cibles pourraient avoir l’occasion de s’y adapter et de développer des résistances.

La réaction – ou l’absence de réaction de l’entreprise – étonne. Alors que l’Union européenne voit sa population de téosinte augmenter et que des chercheurs ont montré que le transfert d’un transgène d’un maïs OGM à ces téosintes est possible, l’entreprise choisit de ne rien faire. Une absence de réaction qui pourrait laisser se développer un problème agronomique d’une plus grande ampleur, offrant l’occasion de promouvoir de nouvelles plantes génétiquement modifiées comme solution…

i Eric Meunier, « Des problèmes à venir dus à la culture de maïs OGM en Europe ? », Inf’OGM, 6 février 2024.

ii Arias-Martín M, Bonet MCE and Beldarraín IL, « Teosinte introduced into Spain and Bt maize: hybridisation rate, phenology and cry1ab toxin quantification in the hybrids », Revista de Ciências Agrárias, n°47, p. 297-301, 2024.

iii David A. Cleveland et al., « Detecting (trans)gene flow to landraces in centers of crop
origin: lessons from the case of maize in Mexico »
, Environ. Biosafety Res., n°4, p.197–208, 2005.

iv Anses, « Note d’appui scientifique et technique (AST) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) relative à la demande de commentaires sur le rapport annuel (2023) de surveillance environnementale de la culture du maïs génétiquement modifié MON810 en Espagne et au Portugal », 8 janvier 2025.

v EFSA (European Food Safety Authority), Messéan, A., Álvarez, F., Devos, Y., Sánchez-Brunete, E., & Camargo, A. M., « Assessment of the 2023 post-­market environmental monitoring report on the cultivation of genetically modified maize MON810 in the EU », EFSA Journal, 23(8), e9613, Août 2025.

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