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En Australie, Oxitec et le CSIRO annulent leur projet de moustiques OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 04/12/2025

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Depuis 2015, l’Australie accueille des essais en champs d’insectes transgéniques d’Oxitec. En juillet 2024, Oxitec et l’organisation gouvernementale australienne de soutien à la recherche scientifique et industrielle (CSIRO) déposaient une demande d’autorisation commerciale du moustique transgénique Aedes aegyptii, demande alors cantonnée au seul État du Queensland. Mais, début novembre 2025, cette demande était retirée, sans explication officielle. Dans le même temps, Oxitec continue d’investir temps et argent pour produire des moustiques Wolbachia, une autre stratégie de lutte contre les maladies vectorielles ou les parasites agricoles.

Oxitec Australia, entreprise conjointe entre Oxitec, une entreprise qui modifie génétiquement des insectes, et le CSIRO, l’organisation gouvernementale australienne de soutien à la recherche scientifique et industrielle, déposait, en juillet 2024, un dossier de demande d’autorisation commerciale pour un moustique Aedes aegyptii génétiquement modifié. La modification génétique visait à n’avoir qu’une descendance mâle lorsqu’il s’accouple avec une femelle sauvage. Il s’agit de la technique brevetée qu’Oxitec tente de déployer dans plusieurs pays, appelée « stérilité mâle biaisée ». Ce moustique est, en effet, un des vecteurs de la dengue. Sur le papier, l’idée est que si le nombre de moustiques vecteurs est moindre, la maladie sera de facto moins présente.

Un projet de vente de moustiques transgéniques à des particuliers

La demande d’autorisation commerciale visait les habitants de l’État du Queensland, au nord de l’Australiei. Il s’agissait de vendre des petites boîtes avec des larves du moustique transgénique. De telles boites sont déjà en vente au Brésilii.

Cette demande a été soumise à une consultation du public entre le 14 mai et le 7 juillet 2025iii. L’agence en charge de l’évaluation de ce moustique résume la consultation en quelques mots : « Nous avons entendu le soutien pour la libération des moustiques GM », mais aussi « des préoccupations de l’impact négatif potentiel pour les personnes et l’environnement », ou encore « des préoccupations quant à l’impact de l’efficacité de la technologie OGM »… Bref, une synthèse tellement laconique qu’elle ne permet pas de savoir réellement ce que la population, les ONG et les institutions locales pensent de disséminer des milliers de moustiques transgéniques dans l’environnement.

Surtout, en novembre 2025, Oxitec Australia a retiré sa demande d’autorisation. Les deux actionnaires de cette entreprise, Oxitec et le CSIRO, n’ont pas publié de communication officielle expliquant les raisons précises de leur retrait. Ce qui est sûr, c’est que les citoyens et les citoyennes de l’État n’étaient pas très favorables à ces lâchers, comme en témoigne la pétition adressée au Parlementiv, qui a récolté plus de 7 500 signatures. Cette pétition met notamment en avant que, « dans le Queensland, aucun décès du fait de la dengue n’a été signalé au cours de la dernière décennie. Au 9 décembre 2024, Queensland Health confirme huit cas de dengue dans la région du détroit de Torres ». Et elle précise également que « Oxitec a une longue expérience d’échec avec des projets similaires au Brésil en 2019, malgré un financement important de la Fondation Gates ».

Un article scientifique de Perran Stott-Rossv, de l’Université de Melbourne, publié dans sur le site phys.orgvi, le 26 février 2025, pourrait bien avoir joué un rôle important. Ce chercheur est reconnu pour son expertise sur les moustiques. Cet article explique pourquoi les moustiques d’Oxitec sont problématiques. Résumons-le.

Tout d’abord, il prend la précaution de signaler, que pour lui, il est « peu probable »vii que ces moustiques aient des effets néfastes sur la santéviii. De même, il souligne que « cette technique présente des avantages par rapport à des technologies similaires car elle est efficace sur plusieurs générations, ce qui fait que la réduction de la population dure plus longtemps ». Ce point de vue n’est pas forcément partagé par la communauté scientifique. Mais cette efficacité, pour lui, est problématique. En effet, il écrit : « la dissémination de moustiques génétiquement modifiés pourraient saper les interventions actuelles de lutte contre la dengue. La transmission de la dengue dans le Queensland est presque éradiquée grâce à un programme de contrôle réussi qui fonctionne maintenant depuis plus d’une décennieix. Il s’agit de remplacer les populations sauvages d’Aedes aegypti par celles qui transportent la bactérie Wolbachia, ce qui les rend moins capables de transmettre la dengue ». En gros, si les moustiques d’Oxitec s’accouplent avec des moustiques femelles porteurs de la bactérie Wolbachia, ils seront contre-productifs, puisque réduisant la population femelle, qui se trouve être celle porteuse de la bactérie permettant de lutter contre la dengue. D’autant plus que, comme le souligne ce chercheur, « contrairement à Wolbachia, qui a peu d’impact sur la taille de la population de moustiques, les moustiques génétiquement modifiés sont destinés à les éliminer ». Cela augmente donc le risque que les moustiques sans Wolbachia s’établissent par le biais d’introductions accidentelles ou de moustiques dérivés de la souche GM.

L’autre source d’inquiétude pour ce chercheur est liée à la souche de moustique importée. Il nous apprend qu’il s’agit d’une souche mexicaine, donc exogène à l’écosystème australien, et n’a pas été testé dans ce contexte. Il met en avant deux éléments. Premièrement, il note que les moustiques australiens sont très sensibles aux insecticidesx en comparaison avec les autres moustiques. Or, dit-il, la dissémination d’une souche de moustiques d’un autre pays pourrait introduire des gènes qui provoquent une résistance aux insecticides.

Deuxièmement, l’adaptation au climat est une autre préoccupation. Les moustiques mexicains pourraient introduire dans la population australienne des gènes qui les rendent plus tolérants aux climats secs ou à d’autres conditions. « Nous ne savons pas vraiment quel sera l’effet de cela, mais c’est un risque potentiel», conclut-il dans son article.

Enfin, il regrette qu’Oxitec n’ait pas étudié les interactions entre la modification génétique et Wolbachia. Pour lui, il s’agit d’un « oubli étonnant », car, actuellement, presque tous les Aedes aegypti dans le Queensland sont porteurs de la bactérie Wolbachia.

Oxitec investit désormais massivement dans la stratégie Wolbachia

Une autre explication du retrait de la demande d’Oxitec ne serait-elle pas que cette entreprise serait en train d’abandonner discrètement la stratégie transgénique au profit d’une autre stratégie d’élimination des moustiques ?

Un consortium international, le World Mosquito Program (WMP), a mis au point des moustiques Aedes aegyptii stériles en leur inoculant la bactérie Wolbachia. Les moustiques Wolbachia sont « vendus » comme « non-OGM », même si, au niveau scientifique, la question reste en discussionxi. L’OMS soutient la stratégie Wolbachia et elle est plus critique vis-à-vis de la stratégie transgénique, notamment parce que l’une remplace la population alors que l’autre vise à son élimination. Or, les conséquences écologiques d’une possible éradication ne sont pas connues. Globalement, cependant, comme nous le raconterons dans un prochain épisode de notre podcast OMG ! Décodons les biotech, les chercheurs interrogés par Inf’OGM soulignent une efficacité épidémiologique de ce type de moustiques sur la dengue, notamment en Indonésie. Le chercheur de l’Université de Melbourne précédemment cité dans cet article le confirme pour l’État du Queensland. Il semblerait cependant que cette stratégie fonctionne moins bien avec d’autres types de moustiques, comme les Anopheles, vecteurs du paludisme. Actuellement le WMP est présent dans 11 pays : Brésil, Colombie, Mexique, Indonésie, Sri Lanka, Vietnam, Australie, Fidji, Kiribatixii, Nouvelle-Calédonie et Vanuatu. Ceci représente donc un marché important pour des entreprises qui se mettraient à vendre des moustiques Wolbachia à des collectivités locales ou des particuliers.

Alors qu’Oxitec dénigrait cette approche quelques années auparavant, elle a récemment décidé d’investir massivement dans la production de « moustiques wolbachia ». Elle a intégré cette technologie dans son éventail de solutions en lançant la marque SparksTM, en 2024, notamment grâce à un énième financement de plusieurs millions de dollars par la Fondation Bill et Melinda Gates. Cet argent a entre autres permis à Oxitec de créer une usine, considérée comme la plus grande usine de production de moustiques Wolbachia au monde. Les travaux ont commencé en avril 2025 à Campinas (Brésil). Oxitec a recyclé ses capacités industrielles précédemment utilisées pour produire et commercialiser des Aedes aegyptii transgéniques. D’après nos recherches, bien que la technologie Wolbachia soit couverte par plusieurs brevets, il semblerait qu’Oxitec n’a pas eu à payer pour acquérir cette technologie. En effet, cette dernière a été développée par des universités, notamment l’Université de Monash (Australie) et le WMP, un consortium à but non lucratif financé par des subventions philanthropiques (comme, encore une fois, la Fondation Bill et Melinda Gates) et gouvernementales. Historiquement, le WMP avait déjà des usines de production de moustiques Wolbachia, comme celle de Medelin (Colombie).

L’agriculture n’est jamais loin

On évoquait dans nos précédents articles que les maladies vectorielles pourraient être un cheval de Troie pour une utilisation de la technologie d’Oxitec sur des parasites agricoles. La stratégie Wolbachia pourrait, elle aussi, être utilisée en agriculture. Plusieurs projets existent à l’heure actuelle. Le cas le plus avancé est l’utilisation de Wolbachia pour lutter contre Drosophila suzukii. En France, un programme de l’Agence nationale de la Recherche (ANR), CrashPest, doté d’un budget de 415 452 euros s’est intéressé, entre 2020 et 2024, à la stratégie Wolbachiaxiii. Dernièrement, en 2025, c’est le programme OPTIMISTII, doté d’un budget de plus de 1,2 million d’euros, qui s’intéresse à la stratégie Wolbachia ou à celle de l’insecte rendu stérile pour lutter contre ce même parasitexiv.

La stratégie Wolbachia adaptée à l’agriculture est considérée, en France, mais dans d’autres pays également, comme un outil de biocontrôle, car elle mime les mécanismes naturels. C’est le même raisonnement qui pousse certains industriels à faire accepter les sprays ARNi dans les outils de biocontrôle.

i Australian Government, Department of Health and Aged Care, The Office of the Gene Technology Regulator, « Summary of Licence Application DIR 207 », 13 novembre 2024.

ii Oxitec, Aedes do Bem, « Combata ativamente o Aedes aegypti e cuide das pessoas que você ama ».

iii Australian Government, The Department of Health, Disability and Ageing, The Gene Technology Regulator, « Consultation on the commercial release of a genetically modified (GM) mosquito strain (DIR 207) », 5 novembre 2025.

iv Queensland Parliament, « 4199-25 The proposed introduction of genetically modified mosquito species responsible for spreading dengue be rejected », 24 mars 2025.

v The University of Melbourne, « Dr Perran Ross ».

vi Perran Stott-Ross, « Three reasons why the release of genetically modified mosquitoes in Queensland is risky », Phys.org, 26 février 2025.

vii Kate Atkinson, « No, genetically modified mosquitoes won’t be used to vaccinate Australians », AAP FactCheck, 20 janvier 2025.

viii Ibid.

ix Marian Faa, « Dengue fever virtually eradicated from Far North Queensland, scientists say », ABC News, 27 septembre 2019.

x Nancy M Endersby-Harshman, Juli Rochmijati Wuliandari, Lawrence G Harshman et al., « Pyrethroid Susceptibility Has Been Maintained in the Dengue Vector, Aedes aegypti (Diptera: Culicidae), in Queensland, Australia », Journal of Medical Entomology, Volume 54, Issue 6, novembre 2017, pp.1649–1658.

xi Christophe Noisette, « Wolbachia : la bactérie qui rend les moustiques inoffensifs », Inf’OGM, le journal, n°158, janvier/mars 2020.

xii Simmons, Cameron P et al., « Successful introgression of wMel Wolbachia into Aedes aegypti populations in Fiji, Vanuatu and Kiribati », PLoS neglected tropical diseases, vol. 18, 3 e0012022, 14 mars 2024.

xiii Agence Nationale de la Recherche, « Incompatibilité cytoplasmique, confusion sexuelle et effet Allee : recherche d’une cascade de déstabilisation pour éradiquer Drosophila suzukii. – CrashPest ».

xiv Ecophyto, « Projet OPTIMISTII », 4 septembre 2025.

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