n°158 - janvier / mars 2020

Moustique OGM : échec technique mais succès économique pour Oxitec !

Par Christophe NOISETTE

Publié le 07/04/2020

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Oxitec : à l’origine, une entreprise qui est née dans les couloirs de l’Université d’Oxford… Une spin-off comme on les appelle. Elle fait partie désormais de la pieuvre Intrexon. Quant à son « produit » phare, des moustiques transgéniques développés comme outil de lutte vectorielle contre la dengue, c’est un échec fracassant partout où il a été testé.

Oxitec : à l’origine, une entreprise qui est née dans les couloirs de l’Université d’Oxford… Une spin-off comme on les appelle. Elle fait partie désormais de la pieuvre Intrexon. Quant à son « produit » phare, des moustiques transgéniques développés comme outil de lutte vectorielle contre la dengue, c’est un échec fracassant partout où il a été testé.

Fin des années 90, début 2000, Luke Alphey, chercheur en zoologie à l’Université d’Oxford, développe la technologie de stérilisation génétique des insectes. Il dépose un brevet en 1999 et en 2002, crée l’entreprise Oxitec grâce à de l’argent public (university’s Challenge Fund) et privé (East Hill Advisors, une entreprise de Boston, Massachusetts [1]). En 2005, il fait à nouveau le tour des bailleurs et récolte encore
550 000 livres sterling (645 000 euros) de la part de Oxford Capital Partners, une entreprise d’investissement britannique.

En août 2015, Oxitec Ltd est vendue à Intrexon pour 160 millions de dollars (144 millions d’euros). L’accord de cession prévoit que les actionnaires d’Oxitec recevront environ la moitié en actions d’Intrexon et l’autre moitié en cash.

Oxitec : un succès surtout… financier

À l’époque, les articles, de façon quasi unanime, encensaient la technologie d’Oxitec. Or ces données sont largement contestées et les succès d’Oxitec sont surtout et avant tout financiers. Luke Alphey, depuis, a continué sa croisade pro-biotech. Il a été engagé par Emerging AG, une importante entreprise de « public relation » pour empêcher que la Convention sur la diversité biologique ne vote un moratoire sur la technique de modification génétique du forçage génétique. Et il travaille pour le Pirbright Institut [2] sur la modification génétique des insectes.

Les moustiques ont été expérimentés dans plusieurs pays. Dans les îles Caïmans, paradis fiscal britannique (mer des Caraïbes), en 2009 et 2010, trois millions de moustiques Aedes aegypti génétiquement modifiés ont été disséminés dans l’environnement. En 2017, GeneWatch a étudié de nombreux documents officiels (dont le rapport annuel du projet obtenu suite à une demande d’accès à l’information) et a conclu à l’inefficacité de ces lâchers sur la réduction de la dengue. Ces documents montrent qu’un grand nombre de moustiques GM femelles ont été lâchés alors que le projet présenté par Oxitec visait à ne relâcher que des moustiques mâles GM. Autre résultat présenté par l’ONG : la population de moustiques n’a baissé « que pendant la saison sèche, lorsque les effectifs sont faibles, et lorsque [les lâchers] sont combinés à la pulvérisation d’insecticide ». En novembre 2018, le gouvernement des îles Caïmans a décidé de mettre fin à tout nouvel accord d’essais avec Oxitec, en citant comme principale préoccupation le rapport coûts-avantages de ces technologies. Le ministre de la Santé, Dwayne Seymour, et d’autres élus, ont exprimé leur scepticisme quant à l’efficacité des essais.

En Malaisie, 6000 moustiques transgéniques Aedes aegypti ont été lâchés dans l’environnement le 21 décembre 2010, à Bentong, dans l’état de Pahang. En mars 2015, suite à une évaluation de cette expérimentation, le professeur Subramaniam, du ministère de la Santé malais, a décidé de ne pas utiliser cette technologie, jugeant ces lâchers « trop coûteux et inefficaces » : la proposition de tester ces insectes biotechnologiques dans quatre états malais coûterait 25 millions d’euros. Ce changement de stratégie s’opère dans un contexte de recrudescence de la dengue. Ainsi, au cours des trois premiers mois de 2015, ce sont plus de 30 000 cas de dengue qui ont été recensés en Malaisie, une augmentation importante par rapport à la même période en 2014 (près de 22 000 cas).

Brésil : pays phare pour 
les lâchers de moustiques

Des lâchers ont également eu lieu au Brésil (voir encadré p.12) dans plusieurs municipalités. Ainsi qu’au Panama, où aucune information précise ne permet d’en faire une analyse.

Le Brésil est le pays qui a été le plus sollicité. Oxitec a d’ailleurs nommé son moustique Aedes do Bem™, (« le bon Aedes »… expression calquée sur Amigo do Bem, le bon ami…) et mis en place une très forte communication / propagande… Entre 2011 et 2019, cinq municipalités ont testé ce moustique : Jacobina (Bahia), Juazeiro (Bahia), Piracicaba (Sao Paulo), Juiz de Fora (Minas Gerais) et Indaiatuba (Sao Paulo), avec des lâchers de plusieurs millions d’individus. Par exemple, entre le 6 septembre 2016 et le 30 mars 2018, 424 millions de moustiques ont été lâchés dans onze quartiers de Piracicaba. Le coût de ces lâchers reste difficile à connaître. Dans un contrat entre Juiz de Fora et Oxitec, la somme de 3,3 millions de reais (plus de 700 000 euros) par an sur quatre ans
est mentionnée, à laquelle s’ajoutent un certain nombre d’équipements que la mairie doit offrir à l’entreprise. En revanche, à Indaiatuba, la dissémination expérimentale de la nouvelle souche (voir encadré ci-dessous) est réalisée gratuitement par Oxitec.

Histoire du moustique Aedes


Il y a quelques décennies, le Brésil a triomphé de l’Aedes en pulvérisant des insecticides et en mobilisant la population pour éliminer l’eau stagnante, où les insectes pondent leurs œufs. En 1958, les autorités brésiliennes avaient déclaré que le moustique avait été éradiqué du pays. Mais les moustiques Aedes sont revenus. Il est possible que ce soit via un navire étranger dans les années 1970. L’expansion du moustique aurait ensuite été favorisée par l’expansion chaotique des villes et des bidonvilles du Brésil.

A Juazeiro da Bahia, une des villes où le moustique transgénique a été largement disséminé, le réseau national d’information sur l’assainissement (SNIS) indiquait qu’en 2011, le réseau d’égouts ne touchait que 67 % de la population.

Oxitec annonce des résultats tout à fait surprenants. L’entreprise parle d’une réduction de la population d’Aedes de 80 % à 99 % selon les années et les localisations. Ces résultats n’ont jamais été contre expertisés. Les publications scientifiques qui les mentionnent ont été rédigées par des salariés d’Oxitec. À Piracicaba, Oxitec annonce une réduction de 81 % de larves de moustiques dès la seconde année. Un second lâcher dans le voisinage de Piracicaba aurait réduit de 78 % le nombre de ces larves en seulement six mois. Et depuis octobre 2017, la ville possède une usine de fabrication de moustiques transgéniques. Elle est censée produire 60 millions de moustiques par semaine.

La dengue fait l’objet d’un suivi sanitaire strict. La ville d’Indaiatuba, par le biais de la surveillance épidémiologique, mentionne seulement 55 cas positifs de fièvre dus à la dengue en 2019. Pour elle, c’est un élément qui montre l’efficacité de la solution transgénique. Mais en fouillant sur le site de la municipalité, on apprend qu’en 2009, 48 cas de dengue (45 autochtones et 3 importés) ont été recensés, et en 2010, 41 cas (24 autochtones et 17 importés).

Moustique OGM, en complément 
de la lutte conventionnelle

Dans toutes les municipalités où il y a eu des lâchers de moustiques transgéniques, les services municipaux ont continué les autres moyens de lutte. Le site de Indaiatuba dit explicitement : « L’application de cette technologie n’empêche pas l’utilisation des outils conventionnels de lutte anti-vectorielle déjà mis en place par la Mairie, qui poursuivra la campagne pour éliminer les points d’eau stagnants où se reproduit l’Aedes aegypti ». Autrement dit, le moustique transgénique est « une stratégie supplémentaire » [3] [4].

Gabriel Ferrato, le maire de la ville, a déclaré qu’il cherchait des fonds publics pour étendre le programme : « Si on avait les ressources nécessaires maintenant, on adopterait la méthode dans tout Piracicaba » [5]. Piracicaba est devenu la vitrine d’Oxitec, où visites et séminaires de délégations internationales se succèdent.

Les cas de dengue se multiplient

Cependant, le 8 mai 2019, un article, publié dans le Jornal de Piracicaba [6], cite le Secrétariat de la Santé de Piracicaba : depuis le début de l’année, 603 cas positifs de dengue ont été enregistrés. Les actions de lutte contre Aedes aegypti sont menées en permanence par la mairie. Au cours des trois premiers mois de l’année, environ 35 000 foyers ont été visités.

L’efficacité peut donc être légitimement questionnée. Le journal officiel, en date du 30 mars 2018, nous apprend que « la Mairie de Piracicaba notifie par la présente à la société Oxitec do Brasil – Tecnologia de Insetos Ltda, qu’une procédure administrative a été déposée pour enquêter sur une éventuelle rupture de contrat, liée à la procédure 65 406/16 ». Le site de la municipalité indique aussi à plusieurs reprises des augmentations de cas de dengue. Interrogés par Inf’OGM, à propos d’une corrélation et donc d’un manque notoire d’efficacité de la technique Oxitec, les services municipaux ne nous ont pas répondu. Précédemment, Sônia Cristina Ramos, présidente du Conseil municipal de défense de l’environnement (Conselho Municipal de Defesa do Meio Ambiente, Comdema) de Piracicaba avait déjà mis en garde la municipalité. Elle soutenait que l’expérience menée ailleurs, dans deux municipalités de l’état de Bahai, « n’avait pas eu l’effet escompté » [7]. Le maire a alors répondu que ce discours était « politique », que ce moustique transgénique avait été validé par les autorités… et qu’il n’avait pas obligation de consulter la Comdema.

Il est toujours difficile de connaître les villes ou les pays qui ont refusé une technologie : Oxitec ne va pas se vanter, en effet, d’avoir essuyé des échecs pour implanter ses tests. Deux pays ont annoncé ne pas vouloir expérimenter la technologie d’Oxitec : la République dominicaine [8] et le Viêt-nam. Et au Brésil, la mairie de Búzios (RJ) a elle aussi refusé les lâchers de ces moustiques transgéniques.

Le contrat entre Oxitec et Indaiatuba stipule clairement que l’expérience avec le second moustique expérimental OX5034 (voir encadré ci-dessous) sera gratuite pour la ville. Mais les autres contrats avec les autres villes brésiliennes mentionnent des coûts relativement importants. Et le marché est captif car pour que la stratégie marche, il est nécessaire a minima de relâcher en permanence des moustiques transgéniques. Oxitec affirme que pour protéger environ 5 600 personnes vivant dans la zone d’essai de Piracicaba, elle a libéré trois à quatre millions de moustiques par mois. La protection de toute la ville, où l’entreprise va construire une nouvelle usine, nécessiterait théoriquement trois milliards d’insectes par an.

Oxitec teste un deuxième 
moustique OGM


L’un des nouveaux avantages de ce deuxième moustique OGM [9] est que la progéniture mâle survit, ce qui permet des cycles d’accouplement supplémentaires qui réduisent encore davantage la population de ravageurs. Cette fonction multi-générationnelle de l’OX5034 est limitée dans le temps, car de moins en moins de mâles transmettent leurs gènes auto-limitants aux générations suivantes. Cela amplifie l’impact d’un programme de lâchers, tout en assurant que les moustiques mâles d’Oxitec ne persisteront pas dans l’environnement, car ils disparaîtront de l’environnement dix générations après la fin des lâchers. Comme souvent, pour ne pas dire toujours, quand une technologie est défaillante, son promoteur annonce une nouvelle technologie qui palliera les défauts de la première… jusqu’à la prochaine.

Ce nouveau moustique n’a été testé que dans deux localités : Juiz de Fora et Indaiatuba.

Les autorités de Piracicaba espèrent payer 30 reais (6,45 euros) par habitant et par an. La facture d’une ville de 390 000 habitants pourrait donc atteindre 2,5 millions d’euros par an. C’est ce que le Secrétariat de la santé dépense actuellement pour la nébulisation, les larvicides et les coûts comme les licences médicales et le traitement des patients. Mais ces coûts ne seront pas totalement supprimés : même si elle est fonctionnelle, ce dont nous doutons, la stratégie d’Oxitec ne se substitue pas aux autres stratégies. Actuellement, malgré les sommes colossales dépensées, la dengue n’a pas disparu des villes où des millions de moustiques transgéniques ont été disséminés. Et, rebondissement, on apprenait récemment que les moustiques d’Oxitec se croisaient avec les moustiques sauvages (voir encadré 3 ci-dessous).

Les moustiques d’Oxitec 
se croisent avec 
des moustiques sauvages


Selon une étude publiée dans Nature, en septembre 2019, les moustiques dOxitec se répandent dans l’environnement au Brésil. De nombreux descendants de moustiques génétiquement modifiés ont été observés et se propagent. Selon les chercheurs, « les données montrent clairement que la libération de l’OX513A a entraîné un transfert important de son génome (introgression) dans la population naturelle d’A. aegypti. Le degré d’introgression n’est pas anodin. En fonction de l’échantillon et du critère utilisé pour définir une introgression non ambiguë, environ 10 % à 60 % de tous les individus possèdent quelque chose du génome de
OX513A ». Ces résultats sont également confirmés dans les régions voisines où aucun essai de ce type n’a été mené. Les auteurs écrivent : « l’efficacité du programme de dissémination [des moustiques transgéniques] a commencé à se dégrader au bout de 18 mois environ, c’est-à-dire que la population qui avait été fortement réprimée a rebondi à un niveau presque identique à celui précédant la dissémination ».

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