Belgique : une chercheuse licenciée suite à une destruction d’essai d’OGM
Entretien avec Barbara Van Dyck, agronome avec un doctorat en sciences économiques appliquées. Il y a encore quelques semaines, elle travaillait donc à l’Université de Louvain, dans un groupe de recherche sur l’urbanisme et le développement du territoire. Elle travaille surtout sur l’économie politique, et sur les rapports de force dans les transformations sociales et spatiales.
Inf’OGM – La direction de votre Université vous accuse d’avoir pris part à l’action de désobéissance contre les pommes de terre transgéniques. Pourquoi ce soutien ?
BVD – Tout à fait, j’ai été licenciée pour avoir participé et publiquement soutenu l’action menée à Wetteren par le Field Liberation Movement contre un essai en champ de pommes de terres génétiquement modifiées. Cet essai n’avait pas pour but la création d’une connaissance dite « scientifique fondamentale ». Il s’agissait d’une étape dans la commercialisation des pom-mes de terre GM, et donc dans la transformation du système agricole, et vers la privatisation de nos réserves alimentaires et génétiques.
L’objectif de cet essai n’était pas non plus d’évaluer les conséquences pour l’environnement et la santé. Un aspect qui ne sera abordé qu’après la phase de sélection. Comme certaines associations environnementales et associations de paysans l’expliquent, le principe de précaution n’est pas pris en compte. Des clôtures doivent être érigées afin d’éviter que les PGM ne se dispersent dans l’environnement via les activités humaines. Les rangées de patates conventionnelles autour des patates GM doivent permettre de « capturer » le pollen. Ni les plantes tampons ni les agents de surveillance ne pourront éviter que le pollen ne se disperse par les bourdons et d’autres insectes.
Dans le champ sont testés 26 types d’OGM qui jusqu’à maintenant appartiennent à l’université de Wageningen et un type d’OGM, la Fortuna, de l’entreprise multinationale BASF. Jusqu’à maintenant, personne n’est capable de répondre de façon claire sur les raisons de la présence de la Fortuna de BASF dans ce champ. Ceci questionne le rôle de l’université dans le processus de privatisation de nos réserves alimentaires et génétiques. Est-ce que, même sans le vouloir, les institutions de recherche publiques ne se font pas « utiliser » pour des intérêts privés ?
L’action menée à Wetteren, et mon licenciement qui en a suivi, ont provoqué des débats très importants à propos des OGM, mais surtout aussi sur les relations entre la science et la société, la commercialisation de la recherche universitaire, et la liberté des chercheurs à prendre des positions politiques.
Vous avez été licenciée. Avez-vous eu l’occasion de vous défendre ? Si oui, quelle était en substance votre argumentation ?
Pour la décision, l’Université s’est basée sur la législation belge du travail en utilisant le « licenciement pour faute grave ». Cela doit se passer dans les trois jours après avoir eu connaissance des informations nécessaires pour juger l’envergure de la faute. Deux autres collègues et moi qui avions publiquement mentionné notre participation à l’action, avons été reçus par le recteur, un vice-recteur et un chef d’administration dans les trois jours après l’action. A chacun de nous, ce comité a posé quelques questions et l’on a pu donner notre opinion sur certaines formes d’action. Il ne m’a jamais été possible de vraiment entrer dans le détail de mon argumentation. On m’a seulement donné la possibilité de me distancier de l’action, ce que je n’ai pas voulu faire. Mes collègues non plus d’ailleurs, même si, selon la communication officielle universitaire et contrairement à moi, ils auraient pris leur distance par rapport au caractère violent de l’action. Je ne pense pas que ce soit les vrais motifs de mon licenciement, mais comme il n’y a pas de compte-rendu de cette réunion…
De toute façon, je suis bien heureuse qu’il n’y ait pas eu plus de mesures contre mes collègues, à part cet entretien, ce qui est déjà beaucoup. Il faut bien se poser la question (je n’ai pas la réponse) : est-ce légitime qu’un employeur demande à ses employé(e)s de devoir se justifier pour la participation dans des actions politiques en dehors du cadre du travail ? Je ne pense pas que le fait que ce champ soit un champ expérimental soit pertinent pour cette question, car mon université n’est pas impliquée dans cet essai. En plus, comme je le disais précédemment, le champ ne faisait pas partie d’un essai de recherche fondamentale, mais était une première étape dans le processus de marchandisation de ces OGM.
Au-delà, je pense qu’il est crucial que, nous tous, prenions une posture critique par rapport aux connaissances que la science produit, et ce qu’on en fait dans la société. Comme disait Christian Vélot « ce qui sort d’un laboratoire n’est pas synonyme de progrès au motif que c’est le résultat d’une activité de recherche ; ce qui est toujours présenté comme de simples ou de grandes avancées technologiques sont avant tout de véritables choix de société ; et la science ne peut pas se faire sans les citoyens ». C’est très important de se rappeler toujours que ce que la science produit est largement défini par son contexte social, politique et économique. Et je pense qu’en tant que chercheur(se), on a une raison de plus pour se mêler à ce débat qui pourrait nous mener vers une science plus citoyenne.
Quoi qu’il en soit, j’aurais bien voulu avoir l’opportunité d’expliquer plus précisément pourquoi j’ai participé à cette action. Expliquer pourquoi, selon moi, l’action menée à Wetteren était certainement spectaculaire, mais pas violente. Expliquer pourquoi il faut toujours juger au cas par cas si un mode d’action de désobéissance civile est légitime ou non. Ceci dépend toujours de l’envergure de la cause ou de la violence à laquelle on s’oppose, du moment et contexte dans lesquels on intervient, etc.
Malheureusement il n’y a pas vraiment un règlement qui s’applique aux chercheur(se)s de mon statut dans des cas similaires. En plus, je n’étais pas syndiquée, mais les syndicats sont maintenant entrés en discussion avec l’université pour justement négocier un règlement / procédure qui pourrait s’appliquer à l’avenir.
Heureusement, on voit que cette question touche beaucoup de personnes au cœur. Il y a des collègues qui se sont mobilisés pour écrire des cartes blanches, lancer une pétition internationale qui demande d’annuler mon licenciement, écrire des lettres au recteur, réagir dans la presse, etc. Cette pression a certainement de l’effet. Récemment le recteur a annoncé la possibilité d’un processus de réintégration. En ce moment, je ne peux pas encore en dire plus, mais tout cela est certainement prometteur.
Pourquoi l’Université a agi de la sorte à votre égard ? D’un point de vue plus général, que pensez-vous de l’indépendance des chercheurs ?
Personnellement, je n’ai pas reçu de pressions auparavant. Mais c’est une réalité qu’aujourd’hui les universités sont plus dépendantes du capital privé qu’auparavant. Ceci est la conséquence des changements de rapports entre les entreprises privées, le gouvernement et la société civile dans nos sociétés de façon plus générale. Cette situation affecte aussi les universités, qui doivent réinventer leurs rapports avec la société.
Sans en être certaine, je peux m’imaginer que l’Université Catholique de Louvain est particulièrement sensible à propos de ce thème vu que, au niveau belge, mais même au niveau international, elle est une des universités qui, en proportion, dépend pas mal du financement privé (plus de 15%). Aussi indirectement à travers des spin-offs [1] et la vente des brevets, l’université se fait financer par le capital privé (52 millions d’euros en 2010). Mais généralement il y a trop peu de transparence sur tous ces liens et ces conséquences.
En particulier, ceci nous oblige à réfléchir sur la façon de garantir une indépendance des chercheurs vis-à-vis des intérêts privés, une condition importante pour la recherche. En outre, une question cruciale qui se pose alors est comment assurer que la recherche qui n’est pas destinée à créer des connaissances économiquement valorisables puisse encore exister. Par exemple, comment assurer qu’il y ait des fonds de recherche destinés à l’agro-écologie ? Dans l’économie de connaissance, l’excellence scientifique d’un(e) chercheur(se) n’est qu’un facteur pour décider si on recevra des fonds de recherche. On constate que la valeur économique de la connaissance développée devient de plus en plus importante.
Ceci nous confronte à des enjeux énormes, notamment comment assurer que des questions sociétales complexes puissent recevoir l’attention qu’il leur faut. Comment faire entrer la démocratie dans des recherches qui pourraient être cruciales pour la société ? En ce qui concerne les OGM, comment peut-on faire que cette recherche devienne publique ? Comment décider à plusieurs dans ces recherches ? Maintenant on constate que les voix qui ont un poids au niveau décisionnel sont presque exclusivement celles des experts techniques. Comment introduire d’autres voix dans la décision, incluant celle qui sont dérangeantes ou qu’on n’a pas envie d’entendre ? Alors comment faire entrer la démocratie, qui est antagoniste par définition, dans la science ?
Pour arriver à cela, il est crucial qu’à travers des actions politiques on exige plus d’attention sur ces questions. Notamment en matière de biotechnologie, avec la privatisation des semences, qui entraîne l’impossibilité d’une souveraineté alimentaire pour les peuples. Ré-inventer les liens entre la science et la société, se fait à travers l’action politique des citoyens concernés, de même qu’à travers l’action des chercheurs concernés. Mais, les voix dites dissidentes, quand elles viennent de chercheur(se)s – activistes ou de citoyen(ne)s concerné(e)s, semblent être difficilement tolérables dans notre société. La criminalisation des activistes qui ont pris part à l’action menée à Wetteren (dans les médias traditionnels, mais aussi au niveau politique) n’en est qu’un exemple malheureux. Mais je suis ravie de tous les débats que l’action et mon licenciement ont suscités. Par exemple maintenant on parle en Belgique de créer un dispositif de « Slow Science », avec un clin d’œil au mouvement de Slow City et Slow Food. Une réaction très pertinente et intéressante par rapport aux thèmes discutés (technologie, système agricole,…), de même que par rapport aux conséquences de l’introduction de la compétitivité au sein des universités. Par exemple, les évaluations de chercheurs (et unités de recherche) se font de plus en plus sur base de « output » comme le nombre de publications dans des revues renommées, ce qui nous oblige à courir en permanence.
Pour plus d’info sur l’action : http://fieldliberation.wordpress.com
Pour plus d’info sur le licenciement : http://threerottenpotatoes.wordpress.com
[1] Entreprises issues des universités qui permettent le transfert de technologies des laboratoires universitaires vers le monde économique