n°158 - janvier / mars 2020

Des insectes, des virus OGM : un cocktail inquiétant

Par Eric MEUNIER

Publié le 07/05/2020

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Des insectes qui disséminent dans la nature des virus génétiquement modifiés pour… modifier génétiquement des plantes ! Projet révélé un mois d’avril, on aurait pu en rire. Pourtant, c’est un projet très sérieux du ministère de la Défense aux États-Unis, resté discret jusqu’à ce que des chercheurs s’en alarment dans une revue scientifique en octobre 2018.

Si les insectes font l’objet de projets de modification génétique comme d’autres articles de ce dossier l’illustrent, ils peuvent également être utilisés comme « simples » vecteurs de virus OGM. C’est l’idée d’un projet militaire des États-Unis lancé en 2016 qui fait peur à certains scientifiques [1].

Les « insectes alliés »

L’Agence de recherche avancée du ministère de la Défense des États-Unis (DARPA) est à la baguette du projet à visée « agricole ». Cette agence a lancé en décembre 2016 un appel à projets intitulé « Insect Allies ». Si l’objectif affiché est de protéger le système agricole des États-Unis contre « toutes menaces naturelles ou élaborées » comme des pathogènes, la sécheresse, les inondations ou le gel, en font également partie « les menaces introduites des acteurs étatiques ou non-étatiques » [2].

En théorie, des virus seraient capables de modifier le génome des cellules végétales infectées et faire acquérir une nouvelle caractéristique à la plante. Dans ce projet, les virus seraient donc modifiés génétiquement pour être porteurs de séquences Crispr/Cas et de séquences transgéniques conférant une nouvelle caractéristique. Dans les cellules végétales infectées, Crispr/Cas couperait le génome en des endroits où s’insèreraient les séquences transgéniques. La plante aurait alors une nouvelle caractéristique quelques jours après l’infection virale : accélérer ou restreindre la croissance d’une plante, résister à un herbicide ou une attaque de pathogène…

Le projet gouvernemental ambitionne une « protection » immédiate et à large échelle des cultures aux États-Unis. Il considère les insectes comme l’option la plus efficace pour avoir un rayon d’action à large échelle. De même, les virus ont été choisis pour leur capacité à infecter et se multiplier en quelques jours dans une plante. Mais ce même système pourrait également être utilisé comme arme biologique et non comme arme de défense. C’est ce que dénoncent des scientifiques dans la revue Science en octobre 2018.

Des chercheurs alarmés

Leur crainte se fonde notamment sur une absence de communication et discussion en amont du projet. Une lacune qui peut amener à percevoir ce projet comme « un effort pour développer des agents biologiques à visée hostile […] qui constitueraient […] une violation de la Convention sur les Armes Biologiques » [3]. Les chercheurs pointent du doigt l’encadrement réglementaire de cette technologie puisque sa visée serait agricole et non militaire. La dissémination d’insectes porteurs de ces virus est aussi source d’inquiétude pour les scientifiques. Car de tels insectes ne resteront pas cantonnés à un champ, une zone ou des frontières. Comme l’a résumé un des auteurs de l’article, Guy Reeves, « si cette technologie fonctionne, presque par définition, les gouvernements nationaux ne pourront pas contrôler sa propagation » [4]. Les auteurs de l’article dans Science ne croient pas à l’argument fourni par le ministère qui affirme que les infrastructures physiques permettant de disséminer à large échelle n’existent pas aux États-Unis.

Un tel projet explique peut-être qu’en 2016, le directeur du Renseignement national étasunien, James R. Clapper, classait les nouvelles techniques de modification génétique comme « armes de destruction massive » avant que son successeur ne les déclasse en technologies « émergentes et de rupture » [5]. Le Conseil national consultatif français pour la biosécurité (CNCB), estimait lui, en 2017, que les nouveaux outils de modification génétique sont une menace réelle pour la sécurité nationale [6].

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