n°170 - janvier / mars 2023

Des bovins OGM sans corne : une fausse solution

Par Inf'ogm

Publié le 21/03/2023, modifié le 18/10/2023

    
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Jusqu’à présent, peu d’animaux de rente génétiquement modifiés ont été autorisés à la commercialisation. Mais les nouvelles techniques de mutagenèse pourraient changer la donne. Une des modifications déjà autorisées concerne les bovins sans corne : est-ce vraiment une bonne idée ?

L’entreprise étasunienne Recombinetics [1] a mis au point des vaches génétiquement modifiées pour n’avoir pas de cornes [2]. En effet, la corne des bovins est considérée comme problématique [3], surtout depuis la généralisation dans certains pays des « feedlots » (parcs d’engraissement industriels pouvant réunir des dizaines de milliers de bovins). Dans ces espaces réduits, les vaches peuvent se blesser les unes les autres et blesser les travailleurs. L’écornage s’est développé dans les années 1970 sous plusieurs formes, dont les ablations mécaniques, coûteuses et controversées quant au bien-être animal. Il est par exemple interdit dans le cahier des charges bio.

Des croisements problématiques

Il existe quelques rares races de vaches naturellement sans cornes, comme la race Aberdeen Angus [4]. Mais la transmission de ce caractère (« polled » ou « sans corne ») dans d’autres races s’avère très difficile, particulièrement pour les races laitières. Le principal problème du transfert du gène « polled » est la diminution concomitante des caractères de production des animaux obtenus par rapport à la race ciblée (réduction de production laitière, moindre masse musculaire…). Le gène « polled » est en effet associé à d’autres gènes, ce qui contredit le discours purement mécaniste. Cette complexité de l’héritabilité des variants « polled » a accru l’intérêt des sélectionneurs pour les techniques de modification génétique [5].

Pour « créer » ses bovins sans corne, Recombinetics a introduit dans les cellules bovines, isolées et multipliées in vitro, deux molécules. La première, la protéine Talen [6] [7], permet de désactiver le gène « corne » ; la seconde, un ADN circulaire, insère, dans certaines conditions, au lieu de coupure, le gène « sans corne ». En 2016, Recombinetics annonçait la naissance de deux bovins, appelés Spotigy et Buri, en bonne santé, sans cornes, et pour lesquels les analyses avaient « révélé que [ces] animaux sont exempts d’évènements hors-cible, confirmant à nouveau la grande spécificité des TALEN » [8].

Cependant, un article publié dans Nature Biotechnology rapporta, en février 2020, que le génome des taureaux de Recombinetics contenait des séquences génétiques non désirées [9]. Les chercheurs de l’USDA (département de l’Agriculture des États-Unis) relataient ainsi la présence de deux exemplaires de la séquence génétique « sans corne » – et pas d’un seul comme souhaité et rapporté par l’entreprise – et de diverses autres séquences issues de l’ADN plasmidique circulaire. Cette étude démontre que les modifications génétiques par nucléases sont loin de la précision revendiquée, et sont sources par elles-mêmes et via les techniques connexes inhérentes à ces méthodes in vitro [10], de modifications non intentionnelles aux effets imprévisibles générateurs d’impacts plus ou moins conséquents.

Modifier les conditions d’élevage… ou modifier génétiquement les animaux ?

Les éleveurs d’animaux vivant en forte densité jugent souvent les cornes dangereuses [11] et luttent contre toute réglementation de bien-être des animaux [12]. D’autres éleveurs pensent au contraire que les cornes sont un organe essentiel de la physiologie des vaches et représentent un danger potentiel gérable, comme le sont les crocs d’un chien de compagnie. Mais cette appréciation nécessite de connaître et de vivre en harmonie avec son troupeau, exigence qui s’oppose à l’agrandissement excessif de la taille des troupeaux tout autant qu’au remplacement de l’éleveur par des robots et par la « surveillance numérique ». En effet, ces éleveurs indiquent qu’en présence de vaches à cornes, il faut avoir plus de considération et d’attention pour l’animal, plus d’intuition et de concentration. Ainsi, précisent-ils pragmatiquement : « Si la confiance entre l’être humain et l’animal est établie dès le plus jeune âge, l’animal ne blessera jamais volontairement un homme avec ses cornes. Des accidents peuvent cependant survenir, par exemple en marchant de manière distraite près de la tête de l’animal, sans anticiper ses mouvements et intentions, ou si l’animal est effrayé et réagit de façon inhabituelle. La confiance mutuelle entre hommes et animaux est la meilleure garantie pour une bonne cohabitation sans problèmes et sans blessures » [13].

Plusieurs observations d’éleveurs compilées par le Fibl [14] ainsi que des articles scientifiques [15] rappellent que les cornes présentent de nombreux intérêts.

Les cornes d’un bovin se détachent de sa silhouette massive et permettent aux autres de la reconnaître. Le Fibl précise que « chaque individu connaît la taille et la forme de ses cornes et sait où s’en trouve l’extrémité, ce qui lui permet d’ailleurs de connaître sa place dans le troupeau ». D’autres études soulignent que les interactions physiques sont moins fréquentes dans les troupeaux à cornes que dans les troupeaux sans cornes, avec des relations sociales entre animaux plus stables.

Les cornes permettent aussi de diagnostiquer des carences alimentaires et donc d’apprécier la santé de la vache : des cornes déformées sont la signature d’accidents de santé, des cornes massives à leur base, et fines, voire effilochées à leur extrémité, sont le signe d’une carence en sels minéraux pendant la jeunesse de l’animal [16]. Une étude constate que la taille des cornes du buffle d’Afrique (Syncerus caffer) reflète le taux d’infection parasitaire de l’animal [17] .

Les cornes sont également utiles aux vaches dans des fonctions précises de bien-être. Elles se grattent le dos avec, se frottent et se nettoient les yeux à la pointe de la corne d’une autre vache ou les utilisent pour l’auto-toilettage de régions du corps qui seraient autrement hors de portée.

Fonction importante dans le contexte actuel de dérèglement climatique, les cornes régulent aussi la température [18]. « Chez les bovins, l’extrême est l’Ankole Watusi, une race bovine originaire d’Afrique dont les cornes peuvent atteindre 1,80 m de long et sont criblées de vaisseaux sanguins. […] [L]orsque [le] sang passe près de l’extérieur de la corne, la chaleur peut être perdue dans l’atmosphère et le sang plus froid retourne dans le corps de l’animal » [19].

Ajoutons que les biodynamistes voient également un rôle digestif joué par les cornes [20].

Ces chimères bovines sont « vendues » aux éleveurs et au grand public comme une avancée éthique (réduction des nuisances dans les élevages intensifs et de la souffrance liée à l’écornage mécanico-thermique). Présentées comme un progrès, les modifications génétiques s’inscrivent pourtant dans un continuum avec les pratiques industrielles antérieures, dans la mesure où on ne propose ni une autre façon d’élever, ni une autre façon de vivre avec les animaux. Il s’agit seulement de simplifier toujours plus le travail des éleveurs jusqu’à le supprimer pour le remplacer par des robots et des capteurs électroniques, et d’augmenter ainsi la taille de ce qu’on ne peut plus nommer un troupeau.

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