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Label FSC : vers l’acceptation des arbres OGM ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 13/09/2022, modifié le 08/07/2024

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Le Forest Stewardship Council (FSC) est l’un des plus grands certificateurs mondiaux de « bois récolté de manière durable  ». Il interdit depuis 1995 les arbres génétiquement modifiés, ce qui en limite de facto leur développement et leur commercialisation. En effet, ce label couvre de très grandes surfaces forestières et implique les principales entreprises de la filière bois. Cependant, le FSC tente depuis quelques années, sous la pression des entreprises papetières, de limiter cette interdiction. Récemment, elle a proposé une nouvelle définition des OGM qui en exclut ceux issus des nouvelles techniques de modification génétique. L’assemblée générale de 2025 du FSC sera décisive pour entériner, ou non, cette proposition.

L’opposition du Forest Stewardship Council (FSC) aux arbres génétiquement modifiées est affirmée depuis plus de deux décennies. Cependant, dès le début, ce label laisse ouverte la possibilité d’adapter cette interdiction, voire de la restreindre. Ainsi, en juin 1999, « l’AG [du FSC] réaffirme son soutien à l’interdiction actuelle de l’utilisation des OGM par les opérations forestières certifiées mais, reconnaissant l’intensité et la complexité croissantes du débat, mandate le Conseil d’Administration pour a) clarifier la définition existante des OGM et b) terminer la rédaction de la politique du FSC sur les OGM » [1].

Historiquement, pas de cultures mais quelques essais d’arbres GM

Quelques mois plus tard, en 2000, est publiée l’interprétation de la définition d’un OGM par le FSC [2]. Ce document, non contraignant, rappelle l’interdiction des OGM… Inspiré de la directive européenne 90/220, il en reprend la définition et les exclusions mais mélange les deux types d’exemptions prévues par la directive. Le FSC parle uniquement des « techniques (…) [qui] ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique » (Annexe IA), à savoir :

 la fécondation in vitro,

 la conjugaison, transduction, transformation ou tout autre processus naturel,

 l’induction de la polyploïdie,

 la mutagenèse,

 la fusion cellulaire (y compris la fusion de protoplastes) de cellules végétales lorsque les organismes résultants peuvent également être produits par des méthodes de sélection traditionnelles
« . Or, la directive 90/220 considère que la mutagenèse et la fusion cellulaire sont des techniques de modification génétique mais exclues de son champ d’application (Annexe IB). La différence est de taille.

Ce document précise encore que « les organismes de certification poseront des conditions préalables ou des conditions aux candidats à la certification, dès lors que les unités de gestion forestière candidates utilisent ou contiennent des OGM dans leurs programmes de gestion, de production ou de recherche. Ils imposeront des demandes d’actions correctives similaires aux unités de gestion forestière certifiées qui utilisent des OGM ». Ce document qui ménage la chèvre et le chou, précise que les arbres OGM ont un fort potentiel et présentent des risques et que « bon nombre des effets négatifs potentiels peuvent résulter de la recherche sur le terrain, même de la recherche conçue pour tester ces effets ». Ce texte propose donc que « la recherche sur les OGM ne peut être incluse dans les forêts certifiées », même si « des garanties et des restrictions sur de telles recherches, afin de permettre en toute confiance de prédiction, d’évaluation et d’évitement des risques, ne sont pas encore formulées ou convenues ». Le document recommande donc du fait « des difficultés à éviter la propagation des transgènes » que « cette recherche [soit] menée en laboratoire ou dans un isolement extrême ». Par ailleurs, ce même document soutient que « les directives du FSC, interprétées strictement, ne s’opposent pas à la recherche sur les OGM en tant que telle, mais seulement à l’approbation par le FSC de forêts contenant de telles recherches ». Ce document se termine en soulignant que « certaines parties prenantes ont suggéré que le FSC devrait permettre une plus grande flexibilité envers certaines modifications génétiques en cours de recherche, qui pourraient offrir des avantages environnementaux, sociaux ou économiques, sans risque pour les objectifs du FSC ».

Avec qui le FSC peut-il s’associer ?

Le FSC ne certifie pas des entreprises mais des forêts. Cependant le FSC a voulu, progressivement, clarifier avec quelles les entreprises il souhaite travailler. Cela a amené le FSC à produire un document intitulé « politique pour association ». En juillet 2009, le Conseil d’administration du FSC, lors de sa 51ème réunion, précisait que « le FSC permettra uniquement de s’associer à des organisations qui ne sont pas directement ou indirectement impliquées dans les activités inacceptables suivantes : (…) e) Introduction d’organismes génétiquement modifiés dans les opérations forestières » [3]. Une lecture stricte de cette obligation permet d’exclure les entreprises impliquées dans des essais en champs d’arbres génétiquement modifiés. Cette formule sera reprise en 2011 dans la deuxième version de sa « politique pour association ».

Suzano, une des entreprises papetières les plus importantes internationalement, obtient au Brésil deux autorisations commerciales pour des eucalyptus transgéniques (en 2015 [4] et en 2021 [5]). Au préalable, cette entreprise et sa filiale FuturaGene mènent, au moins depuis 2012, des essais en champs, notamment dans le but d’établir leur dossier de demande d’autorisation. Le FSC aurait, en toute logique, dû exclure cette entreprise. Le FSC écrit en 2015 : « L’autorisation de déployer commercialement le clone OGM ne met pas Suzano en conflit avec les règles du FSC tant qu’elle n’en fait pas usage. Cependant, si Suzano procède à la plantation d’arbres OGM à des fins commerciales, le FSC engagerait un processus formel dans le cadre de notre politique d’association, conduisant à une dissociation par rapport à l’entreprise » [6].

Les essais en champs « réglementaires » sont à visée commerciale. Suzano a besoin de faire de tels essais pour étayer sa demande d’autorisation d’autorisation commerciale. Ce sont pas des essais menés par des scientifiques indépendants, mais par l’entreprise elle-même. Autrement dit, c’est une étape nécessaire dans le processus d’autorisation commerciale.

En 2021, le FSC organise une consultation publique sur des propositions d’évolution de son document « politique pour association ». Cette consultation mobilise les mouvements sociaux, notamment ceux opposés aux OGM. Ainsi, la Global Forest Coalition demande d’y répondre massivement. Sur son site [7], elle souligne que « le FSC tente de démanteler cette interdiction, en proposant d’abord d’autoriser les essais sur le terrain d’arbres GM. Il est crucial d’envoyer vos commentaires contre l’autorisation de la recherche sur les arbres GM par le FSC ». Elle écrit que la section 4, question f, porte notamment sur « le changement de langage pour autoriser les arbres GM dans les essais en champ par les entreprises certifiées FSC » et que la section 12 porte sur les définitions, notamment la définition d’un OGM. La Coalition commente cette proposition de changement de définition ainsi : « Des pressions sont exercées sur le FSC pour qu’il assouplisse sa définition de la modification génétique. Dans le monde entier, des sociétés tentent de redéfinir le génie génétique afin de permettre la mise sur le marché de nombreux nouveaux OGM sans réglementation ». La Coalition propose de répondre que « la définition de la modification génétique doit inclure toutes les techniques de génie génétique, y compris les processus d’édition du génome tels que CRISPR ». Le texte précis de la consultation publique n’est plus en ligne et, malgré nos demandes auprès du FSC, nous n’avons pu nous procurer ce document.

Le FSC a produit un compte-rendu de cette consultation qui a reçu 132 réponses. Le FSC précise que « le groupe de répondants le plus important est celui des « autres« . Le nombre relativement élevé de répondants dans ce groupe s’explique par une campagne au cours de laquelle des particuliers et des organisations de la société civile ont été invités à répondre à la consultation pour faire part de leurs préoccupations concernant l’utilisation du génie génétique ». Le point 9 de ce compte-rendu concerne l’interdiction des OGM. Le groupe de travail du FSC en charge d’évaluer les réponses commente les commentaires du public et, de façon surprenante, précise que les essais en champs ne sont pas concernés par l’interdiction.

Et dont acte… En 2022, le FSC publie le brouillon 5 de la version 3 de sa « politique pour association » [8], censé avoir pris en compte les remarques issues de la consultation publique. L’ambiguïté soulevée depuis le début est levée. Ce document permet explicitement les essais en champs : « Le FSC vise à s’associer avec des individus et des organisations alignés avec la mission et les valeurs du FSC et n’autorisera pas une association si l’individu, l’organisation ou son groupe d’entreprises est ou a été engagé dans les activités inacceptables suivantes : (…) – Introduction ou utilisation d’arbres génétiquement modifiés à des fins autres que la recherche (ce qui peut inclure des essais sur le terrain), par exemple à des fins commerciales ».

Des experts du FSC pro-OGM ?

En 2022, le FSC a aussi publié un document sur « un processus d’apprentissage » en lien avec les OGM [9]. « Le FSC a l’intention d’utiliser ces connaissances pour déterminer s’il peut développer un modèle de gouvernance assurant une sauvegarde rigoureuse, une gestion des risques et une création de valeur partagée pour le génie génétique en foresterie dans les zones non certifiées FSC. Les connaissances acquises seront également utilisées pour mettre à jour les politiques existantes et permettre une prise de décision éclairée pour le FSC et ses membres sur des sujets liés aux développements du génie génétique en foresterie dans le futur ». En d’autres termes, le FSC souhaite développer son propre  » modèle de gouvernance  » de  » garanties  » qu’il demandera aux entreprises de respecter lorsqu’elles effectueront des essais en champs d’arbres OGM. Or, si le FSC supervise les essais en champ d’arbres GM, il sera impliqué dans tout impact sur l’environnement négatif direct ou indirect de ces essais en champ, ainsi que dans tout impact social, économique et culturel. Ce qui peut nuire à sa neutralité et à son indépendance.

Plus concrètement encore, ce  » processus d’apprentissage  » du FSC est une première étape vers l’acceptation des arbres génétiquement modifiés. Le FSC affirme que le processus d’apprentissage l’aidera à discuter si oui ou non le FSC devrait autoriser les entreprises membres à planter commercialement des arbres GM (dans des zones non certifiées). Le FSC souhaite donc réellement s’investir dans un dialogue avec les entreprises de biotechnologies pour obtenir d’elles des informations et ensuite établir son propre cahier des charges. Elle dit ainsi que « dans la phase deux du processus d’apprentissage (projet d’apprentissage pluriannuel), les entreprises approuvées pour participer planteront des arbres en dehors de la zone certifiée FSC. Cette plantation serait destinée à l’apprentissage et cette phase du processus serait pratique et menée sur le terrain, sous le contrôle et l’évaluation du groupe d’experts et des décisions annuelles de conformité par le conseil d’administration du FSC, sur la base des rapports du groupe d’experts ».

Le FSC encourage donc clairement la mise en place d’essais en champs. Va-t-il consulter aussi les organisations qui ont des réticences, ou des critiques, vis-à-vis des OGM ou limitera-t-il son apprentissage auprès des entreprises déjà impliquées dans des essais en champ ?

Ce processus d’apprentissage mobilise un panel d’experts, nommé par le FSC, à la neutralité très relative. Ainsi Jason A. Delborne travaille à l’acceptabilité sociale des OGM destinés à la conservation comme le fameux châtaigner génétiquement modifié, et à ce titre était membre du groupe d’expert de l’IUCN [10]. En 2021, il a été nommé [11] membre de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), très favorable aux biotechnologies [12] [13] [14]. Steve H. Strauss « a dirigé le programme [à l’université d’état de l’Oregon] de sensibilisation à la biotechnologie entre 2004 et 2013, qui visait à promouvoir la compréhension du public et à faciliter les débats publics fondés sur la science, dans le domaine de la biotechnologie » [15]. Juan Ramón Miguélez, autre expert du FSC, est consultant en environnement pour « Triple sustainibilty » [16] et, à ce titre, il a « aidé les grandes entreprises des secteurs pétrolier et gazier, minier et manufacturier à préparer leur stratégie en matière de transition énergétique et d’économie circulaire ». Concrètement il participe activement à l’acceptabilité sociale et au greenwashing des industries polluantes. Andrew Blackwell, lui aussi expert dans ce panel, travaille également pour 3sustainibility, il est aussi consultant pour Arcadis, une énorme entreprise de conseil [17] qui, entre autres, a travaillé avec Syngenta [18]. Enfin, Keith Robert Hayes est chercheur au CSIRO en Australie, une organisation scientifique relativement favorable aux biotechnologies. Il a récemment étudié la dispersion des moustiques mâle stériles [19]. Son travail a été utilisé par Target Malaria pour appuyer leur demande de biosécurité et a été financé, entre autre, par la Fondation Bill et Melinda Gates [20] [21].

Dans la page consacrée à ce « processus d’apprentissage », le FSC a pris soin de différencier le génie génétique, « un processus qui modifie la structure génétique d’un organisme en supprimant ou en introduisant de l’ADN » et l’édition génétique, « un processus différent dans lequel le matériel génétique est retiré ou modifié à certains endroits du génome d’une plante ». Il est donc clairement écrit que « le génie génétique prend le gène directement d’un organisme et le transmet à l’autre. Le résultat du génie génétique est appelé organisme génétiquement modifié »… Donc, pour le FSC, l’édition génétique ne donne pas des OGM. 

À partir de ce « processus », comme le FSC le dit précisément, il « mettra à jour sa politique sur l’interprétation des OGM pour refléter l’état actuel de la recherche car la politique (développée en 2000) est dépassée ».

En quelque 20 ans, le FSC est passé d’une opposition stricte à une ouverture non déguisée vers des essais en champs qu’elle « surveillera » elle-même… Le « processus » et la modification de la politique sur les OGM devraient être terminés à l’Assemblée générale du FSC de 2025…

[1Forum des membres du FSC (Consulté le 5 septembre 2022).

[2FSC, « Interpretation on GMOs (Genetically Modified Organisms) », 2000. (Consulté le 5 septembre 2022).

[3FSC, « Policy for the Association of Organizations with FSC (FSC-POL-01-004 V2-0 EN) », septembre 2011 (Consulté le 5 septembre 2022).

[4, « Un eucalyptus OGM autorisé au Brésil », Inf’OGM, 18 janvier 2019

[5CTNBio, « Parecer Técnico 7788/2021 », juin 2021.

[6https://fsc.org/en/newsfeed/application-of-suzano-for-commercial-use-of-genetically-modified-trees (Consulté le 5 septembre, disparu le 13 septembre). On retrouve cette citation dans l’article suivant : Lang, C., « Suzano and COP26 : The Glasgow climate debacle, part 3 », janvier 2022.

[7Global Forest Coalition, « Tell FSC : Keep GE trees out of our forests ! », novembre 2021.

[9FSC, « FSC Genetic Engineering Learning Process », juin 2022 (Consulté le 5 septembre 2022).

[11NC State University, « Two Professors Named 2021 AAAS Fellows », 26 janvier 2022 (Consulté le 5 septembre 2022).

[13GM Watch, « Why did AAAS scientists disagree with health professionals on GMO safety ? », 9 août 2015 (Consulté le 5 septembre 2022).

[14AAAS s’oppose aussi à l’étiquetage des OGM.

AAAS, « Statement by the AAAS Board of Directors On Labeling of Genetically Modified Foods », 20 octobre 2012 (Consulté le 5 septembre 2022).

[15Oregon State University, « Steve Strauss Biography » (Consulté le 5 septembre 2022).

En langage clair : il faisait lui aussi la promotion des OGM. Il est lui aussi, depuis 2009, membre de l’AAAS. Il travaille actuellement sur des peupliers et des eucalyptus génétiquement modifiés. Voir : Oregon State University, « Gene editing could be the future of forestry » (Consulté le 5 septembre 2022).

[16Site Internet de Triple sustainibilty (Consulté le 5 septembre 2022).

[19Ickowicz, A., Foster, S.D., Hosack, G.R. et al., « Predicting the spread and persistence of genetically modified dominant sterile male mosquitoes », Parasites Vectors 14, 480 (2021).

[20CSIRO, « Data61 Ecological and Environmental Risk Assessment Team » (Consulté le 5 septembre 2022).

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