Biocontrôle, le renouveau des pesticides ?

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Le biocontrôle est proposé comme une alternative aux pesticides de synthèse. Mais ce terme englobe en réalité des pratiques diamétralement opposées. Du purin d’orties aux pesticides génétiques, ce marché est en plein essor. Tentons de faire le tri pour y voir plus clair dans ce vaste domaine qui fleure bon le greenwashing.

Entretiens :

Sources :

Transcription de l’épisode

Charlotte Labauge – Historiquement, nous utilisons des pesticides de synthèse. Et donc, vu qu’on utilise tout le temps les mêmes produits, on observe dans nos champs des phénomènes de résistance. Et donc, il est vraiment impératif d’aider et de soutenir la recherche afin de pouvoir développer des produits de biocontrôle qui vont nous amener une nouvelle efficacité pour contrôler ces ravageurs dans nos champs et également proposer une solution plus durable.

Laure Mamy – Le biocontrôle, c’est quoi ? Ce sont des solutions qui vont activer des mécanismes de défense naturelle des plantes. par des solutions d’origine naturelle.

Alain Ratnadass – L’objectif du projet biocontrôle, c’est de développer des outils numériques pour aider au bon déploiement des solutions de biocontrôle en champ. Il faut développer des algorithmes de prédiction capables de prédire quand et où appliquer le produit avec le maximum d’efficacité.

Inf’OGM – Le biocontrôle, c’est la grande solution affichée dans les milieux agricoles pour remplacer les… pesticides, comme nous venons de l’entendre dans ces vidéos promotionnelles. Mais qu’est-ce donc que ce biocontrôle concrètement ? Quels produits ou techniques se cachent derrière ce mot ? Qui en fait la promotion ? C’est ce que j’entends explorer dans ce nouvel épisode de OMG! Décodons les biotech. J’ai commencé par demander à plusieurs chercheurs le biocontrôle c’est quoi ? Et j’avoue que leurs réponses m’ont laissé perplexe.

Alain Ratnadass – Le terme de biocontrôle même, il est apparu très récemment, ça fait une dizaine d’années. Malgré ça, il y a déjà beaucoup de définitions diverses et variées. Mais ce qu’on peut dire, c’est qu’il se définit par rapport à des produits, alors que la lutte biologique, elle se définit par rapport à des stratégies.

Armel Gallet – C’est quelque chose de relativement compliqué, il y a plein de définitions différentes. Le biocontrôle, ce sont tous les outils qui sont utilisés en agriculture et qui permettent de… de contrôler les ravageurs ou les adventices, les mauvaises herbes, sans utilisation de pesticides d’intrants chimiques. Frédéric Goulet – Dans cette famille du biocontrôle, c’est très très large. Il y a des choses très différentes, des technologies très différentes, des acteurs très différents avec des applications très différentes.

Inf’OGM – On l’a bien compris, c’est flou. Quand on regarde quelques vidéos promotionnelles, des entreprises vantent les mérites de décoction de plantes, des lâchers d’insectes prédateurs des ravageurs, des produits à base de micro-algues. Alors ? Les produits de biocontrôle sont-ils une bonne nouvelle pour une agriculture moins polluante ? Ou n’est-ce qu’un nouveau miroir aux alouettes pour d’ici quelques années verdir les biotech ? Premièrement, j’ai eu envie de comprendre quand et comment ce terme a été créé. La genèse d’un concept en dit souvent long sur sa nature. Le terme de biocontrôle est très récent. Il a remplacé progressivement dans la littérature scientifique et les médias celui de lutte biologique. Ce changement sémantique n’est pas anodin. La lutte biologique est très ancienne et elle concerne uniquement l’utilisation d’organismes vivants naturels non modifiés. Alain Ratnadass, chercheur au CIRAD en entomologie agricole tropicale spécialisé en protection agroécologique des cultures me précise.

Alain Ratnadass – La lutte biologique, dans la pratique, ça existe depuis plusieurs siècles. Ça a été formalisé dans la fin du 19e siècle. par un cas très concret et qui était un succès, l’introduction d’une coccinelle pour lutter contre une cochenille qui avait été introduite dans les vergers californiens. La cochenille venait en fait d’Australie, et c’est là qu’on est allé chercher l’auxiliaire qui était cette coccinelle. Là, c’était la lutte biologique qu’on appelait classique, c’est-à-dire par introduction ou acclimatation. Après, il y a une lutte biologique qui existait depuis beaucoup plus longtemps. Un exemple d’application en Chine au tout début du premier millénaire, au troisième siècle, qui était l’utilisation de fourmis, des fourmis qui se rendent, pour lutter contre des ravageurs, des agrumes, en aménageant des habitats naturels pour les favoriser. Donc ça, c’est ce qu’on appelle la lutte biologique par conservation. Alors ça, ça s’applique à des ravageurs qui sont… indigènes et à des auxiliaires qui eux aussi sont indigènes. Et la différence par rapport à la lutte biologique par introduction à l’acclimatation, c’est qu’on favorise en général des prédateurs généralistes, c’est-à-dire qu’ils vont réguler les populations de plusieurs ravageurs, ils ne sont pas spécifiques d’un ravageur. Alors il y en a une troisième, qui est ce qu’on appelle la lutte biologique par augmentation ou inondation. qui elle consiste en fait à utiliser en général des auxiliaires qui sont aussi déjà présents. mais qu’on va élever en masse pour pouvoir les lâcher en réponse à des invasions ou des pudulations de ravageurs. Alors là, on est dans une logique un peu différente, puisque c’est plutôt une approche qu’on va définir comme curative, alors que la lutte biologique par conservation est plutôt préventive ou prophylactique.

Inf’OGM – Ces techniques sont toujours utilisées, notamment en agriculture biologique. Il s’agit par exemple de lâcher des petites punaises dans les cerfs de tomates parce que ce sont des prédateurs de la tuta absoluta, un papillon ravageur de la tomate. Ou de créer les conditions pour que les prédateurs des ravageurs s’installent sur place, en construisant des nichoirs, des haies, etc. La lutte biologique est une approche complexe qui ne se réduit pas à un produit. Elle vise l’équilibre et non… pas l’éradication d’un ravageur ou d’une adventice. Mais revenons-en aux origines du terme « biocontrôle » . C’est Alain Ratnadass qui me l’explique.

Alain Ratnadass – En 2008, ce plan éco-phyto visait, à l’échéance de 10 ans, à réduire de 50% l’utilisation de pesticides de synthèse. Donc au départ, l’approche qui a été adoptée, elle est venue essentiellement de l’INRA, avec, disons… un panel d’experts qui était constitué beaucoup d’agronomes, qui a préconisé en fait une reconception des systèmes de culture, des bases agronomiques, pour pouvoir se passer complètement de l’usage de produits phytosanitaires de synthèse.

Inf’OGM – Je traduis. Ce que me dit Alain Ratnadass, c’est que le premier plan éco-phyto proposait de réduire les pesticides en changeant les pratiques agricoles, et notamment en développant la lutte biologique appelée méthode de protection intégrée des cultures.

Alain Ratnadass – Au bout de 5 ans, on avait plutôt une augmentation des produits pesticides qu’une diminution.

Inf’OGM – En 2014, se négocie le plan EcoFito 2. Et là, me précise ce chercheur, il y a un basculement. Le biocontrôle est officiellement introduit comme outil pour réduire les pesticides au détriment des autres voies agronomiques.

Alain Ratnadass – Le fusil a un peu changé d’épaule et il s’est trouvé que dans le groupe d’experts, ceux qui représentaient les firmes ont proposé plutôt… une logique de substitution, c’est-à-dire qu’on ne va pas attendre les résultats des études à long terme qui étaient menées pour refondre complètement les systèmes de culture pour pouvoir se passer des pesticides, mais proposer des produits de substitution, des alternatives moins dangereuses, avec moins d’impact environnemental à ces produits phytosanitaires. Mais ça restait une logique quand même d’application de, entre guillemets, pesticides. Là, on ne cherche pas du tout à se passer de produits comme on le prévoyait. l’approche, disons, agronomique, mais on cherche en fait à diminuer l’impact environnemental, etc.

Inf’OGM – On voit que le biocontrôle s’est imposé comme l’outil unique et presque magique pour remplacer les pesticides de synthèse. Au départ, il y avait encore une approche réellement agroécologique, mais cette stratégie a été jugée par les pouvoirs publics comme trop longue à mettre en place. ce qui a été systématisé par le ministère de l’Agriculture sous la pression des entreprises agrochimiques. C’est donc une approche produit. Allons donc voir de plus près quels sont exactement les produits qu’on accepte sous le terme de biocontrôle. Dans la définition officielle, celle du ministère de l’Agriculture, les produits de biocontrôle sont, je cite, « des agents et des produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures » . Ces produits peuvent être des macro-organismes, des lâchés d’insectes comme la coccinelle pour lutter contre les pucerons, des micro-organismes, champignons, bactéries, comme la célèbre Bacillus thuringiensis utilisée en agriculture biologique, des médiateurs chimiques comme les phéromones, qui perturbent la reproduction d’insectes considérés comme nuisibles, ou encore, je cite, des substances d’origine naturelle. qui sont soit extraites d’un matériau source naturelle, soit obtenues par voie de synthèse et sont strictement identiques à la substance naturelle. Parmi ces substances, on trouve le pierrettre ou le cuivre par exemple. Et enfin, pour être considéré comme un produit de biocontrôle, il doit avoir été évalué comme à risque faible pour l’environnement et la santé. Sauf que, ce qui me vient en tête tout de suite, ce sont les purins et autres décoctions utilisées depuis… très longtemps dans les champs. Ce qui a été rassemblé sous le nom de PNPP, préparation naturelle peu préoccupante. Font-elles partie des produits de biocontrôle ? Eh bien, ça dépend. Il y a un chevauchement des réglementations qui complexifie la situation. Certaines PNPP sont des substances de base, c’est-à-dire des substances qui ont un effet pesticide mais qui étaient à l’origine destinée à un usage domestique ou alimentaire. Ainsi, le vinaigre peut être utilisé comme herbicide, ou le savon noir pour lutter contre les pucerons. Cela fait partie du biocontrôle. Mais dans le biocontrôle, il y a bien plus de produits reconnus comme substances d’origine naturelle que les substances de base acceptées en tant que PNPP. Suzy Guichard a suivi ce dossier pour la Confédération Paysanne. Elle est actuellement membre de l’ASPRO PNPP, une association qui défend et promeut les PNPP. Elle me propose un résumé assez simple de ce que c’est.

Suzy Guichard – Elles sont considérées comme peu préoccupantes puisqu’à la base, elles sont composées d’éléments naturels qui sont des éléments qui sont consommés, qui sont des parties plantes qui sont censées être consommables par l’homme ou l’animal. Mais toutefois, après, ces parties plantes vont être mélangées. Il va y avoir un processus de fabrication qui va produire une fermentation, une macération, etc. Et la PNPP, c’est le résultat de ça. C’est la tisane, c’est le purin, c’est des préparations qui sont produites sur la ferme et qui sont ensuite utilisées par les paysans pour lutter contre les maladies, les ravageurs et tout ça, mais avec des pratiques plutôt préventives et prophylactiques. Elles s’inscrivent dans un ensemble de pratiques sur la ferme, et vont aussi avec des pratiques paysannes comme la diversité des cultures, la mise en place de haies. Elles doivent être fabriquées par un procédé accessible à l’utilisateur final.

Inf’OGM – C’est donc très restrictif par rapport aux produits de biocontrôle. Laure Mamy, directrice de recherche à l’INRAE sur l’évaluation des pesticides, me précise.

Laure Mamy – En agriculture biologique, seules des substances naturelles directement extraites du milieu peuvent être utilisées et pas des substances naturelles synthétisées à l’identique. Les substances naturelles qui peuvent être utilisées en biocontrôle peuvent soit Merci. être directement extraite d’une plante, soit synthétisée à l’identique au laboratoire. Inf’OGM – La différence majeure est que les PNPP peuvent être produites chez soi, alors que les substances dites « naturelles » du biocontrôle peuvent être de synthèse et donc fabriquées en labo. Sur le site de l’industrie du biocontrôle, en effet, on peut lire que les PNPP sont issues de techniques empiriques ancestrales, alors que leurs produits sont issus d’une fabrication … industrielle et contrôlée, non reproductible pour un particulier. Et l’industrie utilise cette différence contre les PNPP. L’un des arguments majeurs de l’industrie pour dénigrer les pratiques paysannes empiriques, c’est qu’elle a réussi à isoler le principe actif, que leurs produits seraient donc plus purs, plus précis, plus sûrs. Elle critique l’effet cocktail d’un produit naturel qui est, par nature, composé de plusieurs molécules. Mais quand il s’agit de cocktail de pesticides, tout d’un coup, elle oublie l’argument. Alors est-ce vrai ? Est-ce que le principe actif extrait d’une plante est plus sûr que la plante elle-même ? Bernard Bertrand, également membre de l’ASPRO-PNPP, me donne un exemple intéressant sur la différence entre une molécule naturelle et sa version synthétique.

Bernard Bertrand – On ne retrouve pas de cyanure sous le pied d’un pommier où la récolte entière aurait pourri, alors que les pépins du fruit s’y sont décomposés en quantité, comme les amandes de la pêche ou de l’abricot, qui aussi contiennent des quantités d’acide cyanhydrique, potentiellement létales pour l’homme. En revanche, que l’arboriculteur déverse régulièrement des produits de synthèse contenant du cyanure et la problématique de la pollution sera vite une réalité.

Inf’OGM – La version naturelle se décompose, alors que la version synthétique ne se dégrade pas, et donc s’accumule. On pourrait faire le même raisonnement avec la pomme de terre. Chaque année, les fans de pommes de terre, chargées en alcaloïdes hépato-toxiques puissants, se dessèchent et se décomposent sur les sols agricoles. Est-ce que pour autant, on peut dire que ceux-ci sont pollués en alcaloïdes toxiques ? Et il conclut.

Bernard Bertrand – De la même manière que le principe de Paracels, « la dose fait le poison », est faux dès lors que l’on travaille sur les produits de synthèse, celui émis par Lavoisier, « rien ne se perd, tout se crée, tout se transforme », ne vaut que pour des produits d’origine naturelle. Pour ce qui est des produits de synthèse, le principe devient « rien ne se perd, tout se dissipe, tout s’accumule ». Ainsi, la toxicité avérée de certains organes végétaux ou animaux ne laisse jamais de résidus toxiques dans l’environnement.

Inf’OGM – Donc, pour l’industrie, il est plus sûr d’utiliser une molécule synthétisée venant de leurs usines qu’une plante. Ce que mon interlocuteur conteste. Mais cela veut aussi dire que paysans et paysannes doivent acheter ces produits au lieu de les faire eux-mêmes. Suzy Guichard me parle de cet enjeu d’appropriation.

Suzy Guichard – En fait, dans la définition législative des PNPP, il est explicitement écrit qu’elles appartiennent au domaine public.

Inf’OGM – Les produits de biocontrôle peuvent, eux, être brevetés ou protégés par d’autres formes de propriétés intellectuelles et industrielles, comme le dépôt d’une recette précise. Le nombre de brevets sur des solutions de biocontrôle a explosé ces dix dernières années. Bayer Monsanto détient plusieurs brevets européens pour des micro-organismes utilisés comme produits de biocontrôle. Par exemple, pour deux souches de bactéries qui sont à la base de son fongicide rhapsodie. Plus inquiétant encore, une recherche d’Inf’OGM a montré que les entreprises avaient obtenu des brevets sur des produits contenant des PNPP. Par exemple, l’industrie a breveté des produits contenant des extraits de nîmes, plus connus sous le nom de margousiers, d’ail et d’urine bovine. Ceci montre. que même des ingrédients naturels déjà connus peuvent être brevetés lorsqu’ils sont combinés de manière dite innovante. Très récemment, un brevet états-unien intitulé « Composition pesticides à base d’huile naturelle » a été délivré à la société canadienne Terra Mera. Son titre n’est pas trompeur puisque le principal ingrédient actif revendiqué est de l’huile pesticides naturelle, en l’espèce de l’huile de Nîmes, de Caranja, de cumin, d’origan ou de thym. Est-ce que cela veut dire que des paysans et paysannes qui utilisent ces plantes naturelles brevetées risquent d’être poursuivis pour contrefaçon ? Au total, entre 2005 et 2020, environ 60 000 brevets liés aux produits de biocontrôle ont été recensés par InfoGM. Et qui dit brevet, dit marché. Selon le dernier rapport d’Alliance Biocontrôle, qui représente l’industrie du biocontrôle en France, Le chiffre d’affaires du marché du biocontrôle en France en 2024 est d’environ 308 millions d’euros. Et cela représenterait environ 12% du marché global des pesticides. Cela engendre donc une tension importante qui fait craindre que le biocontrôle prochainement englobe et dénature les PNPP. Suzy Guichard m’explique cette crainte.

Suzy Guichard – Je dirais que l’arrivée du biocontrôle, la stabilisation d’une réglementation, la clarification des acteurs qui s’en emparent, font craindre un peu une récupération du sujet PNPP, etc. Une tentative de récupération des recettes, entre guillemets, qui sont pratiquées dans les fermes. Je dirais que la définition du biocontrôle est suffisamment floue et vaste pour qu’il arrive sur le marché des opérateurs économiques avec des préparations qui ressemblent à des PNPP mais qui n’en sont pas, c’est-à-dire qui ne respectent pas la définition des PNPP. Ils peuvent peut-être produire de manière beaucoup plus massive et du coup… qui « trompent » un petit peu des agriculteurs et des agricultrices qui vont aller chercher des préparations qui pourraient avoir une apparence de PNPP et qui n’en sont pas. Parce qu’elles ne seraient pas, par exemple, totalement constituées d’éléments exclusivement naturels, parce que le procédé de fabrication ne serait pas une simple fermentation à la ferme, mais peut-être un procédé de fabrication dans quelque chose de plus industrialisé, et donc du coup, avec une composition différente. à la fin une composition différente.

Inf’OGM – Suzy Guichard, qui a suivi les négociations avec le ministère de l’Agriculture, est claire. L’arrivée du biocontrôle a, de facto, rompu les liens entre les promoteurs des PNPP et le ministère de l’Agriculture. Le ministère de l’Agriculture est à l’origine du grand défi biocontrôle et biosimulation pour l’agroécologie. Ce programme dispose d’un budget de 60 millions d’euros pour une durée de 6 ans. Le ministère a confié le pilotage et l’animation de ce programme à l’association ABBA, acteur du biocontrôle et des bio-intrants pour l’agriculture, créée spécifiquement pour cette mission. Bayer, BASF et Syngenta en sont membres, à côté d’entreprises plus modestes, Andermart, Coopert France, des organismes de lobby, comme Phyteis qui défend l’industrie des pesticides et des institutions de la recherche publique.

Suzy Guichard – Au moment de la création de ce consortium, le ministère de l’agriculture avec qui on avait l’habitude de négocier, nous a clairement dit à partir de maintenant, ce que nous utiliserons, c’est ABBA. Et donc il va falloir vous intégrer dans ABBA et négocier en interne.

Inf’OGM – C’est aussi ABBA qui gère l’ensemble des financements liés au biocontrôle et par extension. au PNPP.

Suzy Guichard – Aujourd’hui, l’ASPRO-PNPP ne bénéficie pas de financement au sein d’ABA et n’en est pas partie prenante par ailleurs. On a même été débouté d’un financement éco-phyto et c’est notamment suite au refus de ce financement éco-phyto que la personne au sein du ministère de l’Agriculture nous a dit maintenant c’est au sein d’ABA que ça se joue.

Inf’OGM – Au-delà de l’appropriation des purins et techniques ancestrales, Suzie Guichard nous explique que les PNPP, ce ne sont surtout des pratiques paysannes.

Suzy Guichard – La dynamique PNPP, c’est plus large que juste l’idée de produire un produit, c’est aussi une dynamique d’échange entre paysans et paysannes. C’est un ensemble de pratiques qui vont bien au-delà de l’application d’un produit, des pratiques paysannes, et du coup qui font que ces préparations fonctionnent aujourd’hui. Et donc cet objectif de massification d’un certain nombre d’institutions, en fait le risque c’est que ça ne fonctionne pas en fait, qu’il y ait un paysan qui va acheter un purin d’ortie à un industriel, si il n’a pas les changes avec ses collègues, etc., sur un ensemble de pratiques diversifiées qui sont plus de l’ordre de l’agriculture paysanne, l’agriculture biologique, l’agriculture biodynamique, etc., en fait, c’est probable que son terrain ne fonctionne pas.

Inf’OGM – on retrouve ce qu’on affirmait au début de cet épisode. Le biocontrôle est devenu une approche produit, en opposition avec des approches plus complexes et larges de la lutte biologique ou des PNPP. Dans la définition du biocontrôle, un autre élément m’a alerté. Il est énoncé que ce sont des produits qui utilisent ou imitent des mécanismes naturels. Cette notion, donc, c’est surtout la porte ouverte aux biotechnologies. Prenons un exemple, les lâchers d’insectes rendus stériles par irradiation ou modification génétique. On part de la logique de la lutte biologique, on imite la nature avec des lâchers d’insectes. on rajoute des biotechnologies qui rendent stériles les insectes pour qu’ils ne se reproduisent pas et diminuent la population présente de ravageurs. Frédéric Goulet, chercheur au CIRAD, affirme.

Frédéric Goulet – Est-ce que la technologie de l’insecte stérile fait partie de la famille du biocontrôle ? Oui, clairement, ça en fait partie et c’est ce que j’introduisais tout à l’heure, c’est que dans le biocontrôle, il y a vraiment une palette très large de technologies.

Inf’OGM – Continuons à explorer cette idée que les produits de biocontrôle imitent les processus naturels. Cela conduit donc à accepter dans cette catégorie certaines plantes transgéniques. Armel Gallet, chercheur au CNRS de l’unité bio-insecticide environnement et santé, me dit.

Armel Gallet – Certains OGM sont considérés dans le biocontrôle aux Etats-Unis. Les OGM-BT, ce sont des plantes qui vont produire une toxine issue de la bactérie BT, mais c’est uniquement une toxine ou deux ou trois toxines issues de la bactérie BT, pour lutter contre les larves qui sont ravageurs de ces cultures-là. Parce que justement, quand on utilise ces plantes OGM-BT… on n’utilise pas de pesticides pour tuer les larmes. C’est pour ça que je vous dis, la définition de biocontrôle, c’est très compliqué, c’est très souvent juridique en fait.

Inf’OGM – Ok, ce que je comprends, c’est que le biocontrôle ne veut rien dire en soi, tout dépend de la définition juridique. Elle est assez floue pour, à plus ou moins court terme, en Europe, intégrer des biotechnologies de pointe. Et au niveau européen, des discussions ont lieu actuellement pour définir le biocontrôle. Et l’une de ces technologies de pointe, ce sont les sprays à ARNI, ou ARN interférent. Charlotte Labauge, de l’association de lutte pour les pollinisateurs Pollinis, m’explique.

Charlotte Labauge – On va se dire que l’ADN, c’est comme un livre de cuisine. Il contient l’ensemble des recettes, c’est-à-dire l’ensemble des protocoles de fabrication de toutes les protéines qui sont contenues dans un organisme. C’est la fabrication de ces protéines. qui permettent aux fonctions d’un organisme d’opérer correctement. Ce livre de cuisine qu’est l’ADN, en fait, il est beaucoup trop gros pour être transporté dans la cuisine et pour qu’on se mette à cuisiner directement. Un ARN messager, ça va être une recette de cuisine, c’est-à-dire un protocole de fabrication de protéines qui va être transporté depuis l’ADN, depuis le noyau, jusqu’aux ribosomes qui sont situés en dehors du noyau, mais toujours dans la cellule. pour que les ribosomes produisent les protéines en question.

Inf’OGM – Donc déjà, il faut prendre conscience que l’ARN messager est un élément fondamental des processus du vivant.

Charlotte Labauge – Un ARN interférent, c’est une molécule ARN qui est conçue pour intercepter physiquement un ARN messager spécifique et qui va conduire au blocage ou à la dégradation de cet ARN messager. Comme l’ARN messager en question est soit détruit, soit bloqué, il ne peut pas transmettre l’information. Au ribosome, les protéines ne sont pas produites. Et donc la fonction qui est liée à la production de ces protéines n’a pas lieu.

Inf’OGM – Donc ces sprays d’ARN interférents ont été développés pour réduire au silence certains gènes vitaux des ravageurs des plantes et donc les tuer. On imite la nature, certes, mais on la détourne. Or, le fait que l’ARNi s’appuie sur un mécanisme naturel a amené les industriels à exiger que ces sprays entrent dans la… catégorie du biocontrôle. Alain Radnadass, du CIRAD, comprend le raisonnement, même s’il trouve qu’on tord le coup à la définition du biocontrôle.

Alain Ratnadass – L’idée par exemple d’inclure des sprays de type RNI dans les produits de biocontrôle au motif qu’ils reproduisent des processus de régulation naturelle, c’est quelque chose qui peut être conçu du fait de la définition des produits de biocontrôle. C’est bien illustratif du fait que cette définition de reproduire des processus naturels est quand même assez vague. Mais ça dévie un peu de l’esprit du biocontrôle.

Inf’OGM – Charlotte Labauge va plus loin. Elle dénonce clairement l’amalgame fait par le lobby des industriels. Elle me raconte que des discussions sur une définition européenne du biocontrôle ont été l’occasion pour les lobbys de l’industrie agrochimique de tenter un double coup de force.

Charlotte Labauge – Il y a une instrumentalisation de l’image relativement positive dont bénéficie le biocontrôle. Parce que c’est un concept dans l’imaginaire collectif qui va être associé à des produits naturels, inoffensifs. Ce qu’on voit sur le biocontrôle, c’est une pression assez forte de la part de l’industrie pour faire deux choses. La première, c’est obtenir une définition du biocontrôle la plus large possible pour y intégrer le plus de produits possibles. Et donc, des biotechnologies potentiellement et des pesticides à RNI. Et la deuxième chose, c’est… Et une fois qu’on a posé cette définition et une fois qu’on a obtenu une définition qui leur convient, qui est aussi large que possible, c’est obtenir une réglementation qui est allégée pour les produits qui rentrent dans cette définition.

Inf’OGM – Ces deux axes de lobbying, me précise Charlotte Labauge, entrent dans une stratégie plus globale des multinationales agrochimiques.

Charlotte Labauge – Le lien qui est fait et à faire entre pesticides, ARNi et biocontrôle, qui s’inscrit, je pense, dans une tendance. générale de l’industrie à présenter les biotechnologies comme étant des solutions vertes, des solutions durables, notamment dans le but de contrer les problématiques d’acceptation de la part du grand public, mais aussi, en fait, finalement, en allant même jusqu’à se positionner comme des acteurs pionniers de la transition écologique du modèle agricole. Parce que, soi-disant, du coup, ces technologies sont dérivées de la nature basé sur la nature, ce qui veut d’ailleurs pas dire grand-chose.

Inf’OGM – Phytheis est une organisation qui regroupe les industriels des pesticides. J’ai trouvé sur leur site un article nommé « La pulvérisation de solutions d’ARNi comme une nouvelle méthode de bioprotection des cultures » . La bioprotection, c’est un synonyme du biocontrôle. J’ai aussi trouvé un article publié en 2020 dans la revue Engineering et rédigé par des chercheurs de Syngenta, intitulé tout simplement Merci. Le biocontrôle à base d’ARN, un nouveau paradigme dans la protection des cultures. Quelles sont les questions que posent ces pesticides génétiques ? Pour Armel Gallet, du CNRS, le problème est le manque d’efficacité de cette biotechnologie.

Armel Gallet – Pour l’instant, ce qu’on sait, c’est que ce n’est pas très efficace.

Inf’OGM – Il donne deux raisons.

Armel Gallet – La durée de vie des ARN interférences est très faible. Et c’est un des problèmes à l’utilisation, c’est qu’ils ont une durée de vie de quelques heures dans la nature. C’est le second problème avec ça. Il faut que ça puisse pénétrer dans l’organisme cible. Et ça, c’est aussi quelque chose de très compliqué.

Inf’OGM – Par ailleurs, la grande critique que j’ai entendue de ces sprays à ARNI, c’est qu’ils pourraient avoir des impacts sur des insectes non ciblés au départ. On parle de la spécificité de ces ARNI. Armel Gallet me dit.

Armel Gallet – Sur la spécificité des ARN interférences, ça dépend vraiment du choix qui est fait au départ de la petite séquence de ces molécules et ce qu’elle va reconnaître chez l’espèce qu’on veut cibler. Il faut qu’elle soit ultra spécifique. Si on prend quelque chose, une séquence d’ARN, donc de nucléotides, qu’on va retrouver chez tous les insectes, évidemment, il n’y aura aucune spécificité. Par contre, si on en prend une qui est très spécifique de l’espèce qu’on veut cibler, là, le risque est très, très limité.

Inf’OGM – Il me dit que grâce au séquençage de milliers de génomes d’insectes et à la bioinformatique, on pourrait arriver à trouver cette séquence ultra spécifique de l’insecte visé, mais que cela prendrait du temps.

Armel Gallet – On connaît le génome de l’organisme. contre lequel on veut diriger cette petite ARN interférence. Et on va essayer de trouver une séquence présente dans ce génome qui va aboutir à sa mort, ou en tout cas à limiter sa reproduction. Et une fois qu’on a cette petite séquence, ou plusieurs petites séquences qui pourraient avoir cet effet-là, il faut comparer contre tous les génomes de tous les organismes qui ont été entièrement séquencés, pour voir si cette séquence se retrouve ailleurs, ou si elle se retrouve uniquement dans l’organisme qu’on veut cibler..

Inf’OGM – D’après certains chercheurs, pour être certain d’avoir une séquence unique, il faudrait repasser la même séquence d’ADN plus de 1000 fois. Et n’oublions pas que nous sommes très loin d’avoir séquencé le génome de tout le vivant qui comporte toujours des millions d’espèces inconnues. Charlotte Labauge, de l’ONG Pollinis, est plus réservée encore.

Charlotte Labauge – Il y a trois raisons que je vais évoquer. pour lesquelles la spécificité est vraiment difficile à prédire au préalable. La première, c’est que les gènes ciblés par les industriels, c’est des gènes vitaux chez les organismes, donc essentiels à leur fonctionnement, puisqu’il s’agit de tuer les organismes ciblés. Mais ce qu’on sait, c’est que beaucoup de ces gènes vitaux ont été conservés au cours de l’évolution. Ce que ça veut dire, c’est que d’autres espèces que celles de l’organisme ciblé, Merci. peuvent posséder des versions similaires de ces gènes. Et donc, ces autres espèces, elles pourraient être potentiellement ciblées par les pesticides à ARNi qui seront développés.

Inf’OGM – Le deuxième argument est spécifique aux insectes.

Charlotte Labauge – Pour être capable de cibler une séquence prédéterminée, il faut utiliser des toutes petites molécules actives, des toutes petites séquences à ARNI. Et en fait, les insectes, ils ont un fonctionnement très particulier qui fait que leur intestin, il refuse d’intégrer ces petites molécules actives. Pour contourner ça, l’industriel ne peut pas utiliser ces petites molécules actives très ciblées. Il doit avoir recours à des plus grandes molécules qui sont dites des molécules précurseurs, qui elles vont être ingérées par l’insecte, et ensuite elles vont être découpées en petites molécules actives dans son organisme. Ce mécanisme-là, ça affaiblit la question de la spécificité. Ça introduit davantage d’incertitudes. par rapport à la spécificité théorique avancée par les industriels.

Inf’OGM – Enfin, Charlotte Labauge me donne une troisième explication qui fait que ces sprays à ARNI ne peuvent pas être spécifiques à une espèce.

Charlotte Labauge – Le mécanisme d’interférence à ARN, il n’est pas strict. Il accepte des erreurs. Ce que ça veut dire, c’est qu’elle pourrait intercepter des ARN messagers qui n’étaient pas initialement ciblés. Et donc ça, ça peut entraîner des effets hors cible sur des espèces qui n’étaient pas ciblées.

Inf’OGM – Elle me met aussi en garde contre les adjuvants. Actuellement, un seul spray à RNI a été autorisé aux Etats-Unis en 2023. Il s’agit du Calanta, développé par Greenlight Bioscience et qui vise le dorifort. En Europe, après avoir mené des essais en champ en toute opacité, notamment en France et en Espagne, Greenlight a déposé un dossier d’autorisation le 10 avril 2025. Ce dossier, qui concerne uniquement la molécule active, le Ledprona, et non le spray dans son ensemble, est actuellement étudié par l’Agence européenne de sécurité sanitaire, l’EFSA.

Charlotte Labauge – Le Kalenta, c’est le produit final. Il contient la séquence ARNI à 0,8%. Donc ça veut dire que 99,2% sont des coformulants. Et d’ailleurs, une partie de ces ingrédients n’est pas identifiée et est considérée comme confidentielle. Et le rôle de ces coformulants, il ne faut pas l’oublier. C’est d’assurer une meilleure efficacité du produit, une meilleure stabilité à la séquence ARNI, potentiellement aussi une meilleure résistance à la dégradation dans les sols et dans les eaux.

Inf’OGM – Or, les évaluations réalisées sur l’abeille domestique, l’abeille mélifère, n’ont été faites que sur la molécule active et pas avec l’ensemble du produit. Et autre bien important, l’agence états-unienne n’a pris en compte les données relatives que pour un seul traitement. Or, l’entreprise recommande jusqu’à 4 traitements à 7 jours d’intervalle. Par rapport au spray à RNI, Charlotte Labauge m’explique en quoi ce n’est pas une alternative crédible aux pesticides chimiques.

Charlotte Labauge – Il est probable qu’en fait, il soit utilisé en complément de pesticides conventionnels et non pas en remplacement. Ça, c’est notamment un point qui est soulevé dans un des rapports de l’OCDE sur le sujet. et par exemple on sait que Ces pesticides à l’ARNi, ils pourraient être développés, par exemple, pour renforcer l’action des pesticides chimiques. Donc, par exemple, pour réduire la résistance qui est développée par un insecte à un insecticide chimique. Donc ça, on voit bien que c’est problématique. Alors qu’en façade, on a un discours de produits inoffensifs, dérivés de la nature. qui sont censés remplacer les pesticides conventionnels. Là, on voit bien qu’en fait, ces produits, ils sont aussi conçus pour fonctionner en complément des pesticides chimiques.

Inf’OGM – Actuellement, dans l’Union européenne, ces produits de biocontrôle basés sur des modifications génétiques ne peuvent pas bénéficier légalement de l’appellation biocontrôle. Mais le lobbying des multinationales est intense. La proposition de déréglementation des végétaux OGM, actuellement en discussion, pourrait accélérer l’acceptation de ces sprays à ARNi comme produits de biocontrôle. L’UE a notamment annoncé une loi plus globale, dite loi biotech, dont personne ne connaît encore les contours. Mais revenons à tous les produits de biocontrôle actuellement commercialisés en Europe. Être estampillé « produit de biocontrôle » permet actuellement des allégements. Par exemple, la publicité et la vente aux particuliers sont autorisés. Ces produits peuvent être utilisés dans des zones publiques ou des espaces verts. Les taxes et les délais d’enregistrement sont réduits. Ils sont éligibles plus facilement à des aides publiques et surtout, ils bénéficient d’une image plus écolo et donc une plus grande acceptabilité sociale. Pour commercialiser un produit biocontrôle, il faut quand même passer par une évaluation. Écoutons Laure Mamy de l’INRAE.

Laure Mamy – Selon le règlement européen, les produits de biocontrôle sont soumis aux mêmes exigences que les pesticides conventionnels. Le même type de données doit être fourni pour réaliser l’évaluation des risques.

Inf’OGM – Mais l’industrie s’active pour avoir une évaluation moins stricte pour les autres produits de biocontrôle. Alors concrètement, comment se passe cette évaluation ? Comme pour les pesticides de synthèse, comme pour les plantes transgéniques, L’évaluation est réalisée par l’entreprise qui veut commercialiser un produit de biocontrôle. Et cela est dénoncé par Armel Gallet.

Armel Gallet – Déjà ce qui est fou, c’est que le dossier toxicologique et éco-toxicologique soit monté par la boîte phytopharmaceutique et pas par un organisme indépendant. L’idéal, ce serait qu’en fait, cette évaluation-là soit faite avant et soit faite indépendamment de la société phytopharmaceutique qui met sur le marché le produit.

Inf’OGM – Armel Gallet me confie que de facto, le temps de la recherche académique est un temps long. Trop long pour l’industrie qui a besoin de retours sur investissement rapides.

Armel Gallet – Ce sont des dossiers qui sont montés du côté juridique en 2-3 ans par la société qui veut mettre sur le marché ce produit-là, alors qu’il faudrait scientifiquement, pour l’impact sur la santé humaine ou sur l’environnement, 10 ans. Le temps économique est un temps court parce qu’il faut que quand on découvre un nouveau produit qui a une activité intéressante en agriculture par exemple, ou même pour un médicament pour en santé humaine ou animale, une fois qu’on a découvert le produit, on ne peut pas attendre 15 ou 20 ans pour le mettre sur le marché.

Inf’OGM – Et par ailleurs, les instances d’évaluation sont régulièrement attaquées par les lobbies. Armel Gallet me parle d’un cas qu’il a vécu lui-même.

Armel Gallet – Dans le cas d’un étudiant qui était en thèse co-encadré. par moi-même et par une personne de l’ANSES. On a fait une publication sur des effets non intentionnels de bactéries qui sont utilisées en agriculture. Quelque chose de très carré, avec beaucoup de contrôle. On l’a publié, ça a été accepté dans une revue scientifique avec révision par les pairs. La veille scientifique de quelques sociétés phytopharmaceutiques est tombée sur ce papier-là et on écrit à l’éditeur comme quoi ce papier n’était pas de qualité, comme quoi il y avait des manquements dans ce papier.

Inf’OGM – Mais les lobbyistes ne se sont pas contentés de cela. Armel Gallet poursuit.

Armel Gallet – Ils écrivent à l’EFSA pour leur dire qu’il ne faut pas tenir compte de ce papier parce que ce n’est pas une publication de qualité. Nous, on en a eu deux, deux papiers comme ça, qui ont reçu une lettre de la part des boîtes phytopharmaceutiques pour essayer de discréditer notre travail scientifique.

Inf’OGM – Laure Mamy de l’INRAE que nous avons entendu précédemment, a mené un travail conséquent sur les recherches disponibles sur les risques des produits de biocontrôle, malgré le manque d’informations.

Laure Mamy – La problématique qui est liée à la persistance d’un composé dans l’environnement, c’est que tant qu’il est présent dans l’environnement, il peut avoir un effet. Et d’autre part, plus il est persistant, plus il risque de s’accumuler, si on le réutilise plusieurs fois de suite la même année ou plusieurs années de suite. Donc on pourrait observer une augmentation des concentrations dans le milieu, mais malheureusement, il manque encore des données dans la bibliographie par rapport à la persistance de certaines substances naturelles.

Inf’OGM – Elle évoque par exemple les macro-organismes et les phéromones.

Laure Mamy – Pour des coccinelles qui seraient non-indigènes, on ne connaît pas forcément leur persistance à long terme. Et c’est le problème qui avait été rencontré notamment avec la coccinelle Harmonia axiridis qui avait été introduite il y a quelques années, donc qui n’était pas locale, et qui finalement est devenue invasive, notamment parce qu’elle se reproduisait plus vite que la coccinelle locale, qu’elle utilisait ses ressources alimentaires, etc. Un des problèmes de l’introduction de macro-organismes en biocontrôle est qu’on ne connaît pas forcément suffisamment bien la persistance à long terme, même si depuis quelques années, cette question est étudiée de façon plus précise. Concernant les phéromones, on ne sait pas du tout quelle peut être leur persistance dans l’environnement. Nous n’avons trouvé strictement aucune donnée qui permette de savoir si, oui ou non, l’usage de ces phéromones a un effet sur les organismes non-cibles de l’environnement. Pour l’instant, on manque cruellement de données sur ce sujet.

Inf’OGM – Au-delà des risques de persistance, Laure Mamy nous dit qu’il existe déjà des impacts négatifs avérés sur d’autres espèces non ciblées par ces produits.

Laure Mamy – Les micro-organismes utilisés en biocontrôle, ce sont soit des bactéries, soit des champignons. Et outre le fait qu’ils peuvent avoir des effets sur le développement ou sur le fait qu’ils éradiquent des insectes qui servent de nourriture aux oiseaux, ils peuvent aussi avoir des interactions avec d’autres produits de biocontrôle. Comme par exemple avec les nématodes. L’usage de champignons micro-organismes en biocontrôle peut avoir un effet négatif sur l’action des nématodes qui seraient eux aussi utilisés en biocontrôle. Dans notre étude, nous avons également montré que les substances naturelles utilisées en biocontrôle peuvent avoir des effets négatifs sur certains organismes. Par exemple, l’utilisation du spinosade. peut avoir des effets négatifs sur les abeilles ou les vers de terre, par exemple, parce qu’il a une toxicité assez importante, dans la mesure où son mode d’action est similaire à celui des pesticides conventionnels.

Inf’OGM – Elle conclut en modérant son propos.

Laure Mamy – Dans le cadre de notre étude, nous avons effectivement voulu savoir si les produits de biocontrôle avaient une toxicité plus faible que celle des pesticides conventionnels. D’une manière générale, il n’y a pas beaucoup… de données dans la bibliographie qui permettent de comparer rigoureusement un pesticide utilisé en biocontrôle à un pesticide conventionnel pour le même usage. Mais parmi l’ensemble des données que nous avons pu trouver, essentiellement sur les substances naturelles et les micro-organismes, dans l’ensemble, les données montrent que les produits de biocontrôle sont moins toxiques pour les organismes de l’environnement que les pesticides conventionnels, à quelques rares exceptions près.

Inf’OGM – Donc, on manque de données. Mais les études montrent plutôt un impact moindre du biocontrôle actuel. Cependant, Alain Ratnadass du CIRAD me parle d’un autre problème, lié encore une fois au fait que le biocontrôle reste une approche produit.

Alain Ratnadass – Il faut savoir que des substances, par exemple d’origine naturelle, minérales ou végétales, ou même des toxines de micro-organismes, peuvent susciter les mêmes processus de résistance. des ravageurs, ça reste des molécules. Donc ça c’est un problème effectivement que posent les produits de biocontrôle analogues aux pesticides de synthèse.

Inf’OGM – On a vu que les entreprises investissent dans les pesticides génétiques pour les additionner aux pesticides qu’ils vendent déjà. Ce n’est pas uniquement le cas pour les pesticides génétiques, mais pour tous les produits de biocontrôle. Sur le site de Syngenta,on peut en effet lire

Syngenta – L’objectif est bien de continuer les pesticides et d’y ajouter du biocontrôle. Pour ces entreprises, ce nouveau marché pourrait compenser celui des pesticides qui est en baisse. L’efficacité des pesticides diminue du fait des résistances des insectes et les réglementations pourraient se durcir sous la pression citoyenne. Les entreprises misent alors sur les deux tableaux, marché du pesticide et marché du biocontrôle.

Inf’OGM – Frédéric Goulet, qui travaille au CIRAD, m’explique le fonctionnement de ce marché.

Frédéric Goulet – Les grandes entreprises de l’agrochimie ont investi dans cette technologie-là. De la même manière… que les constructeurs automobiles se sont mis à l’électrique ou que les acteurs traditionnels du secteur énergétique se sont mis au solaire et aux énergies renouvelables. C’est des trajectoires et des modes de diversification tout à fait comparables.

Inf’OGM – En effet, Total fait sa pub sur les énergies renouvelables mais continue d’investir massivement dans les énergies fossiles.

Frédéric Goulet – Est-ce que le biocontrôle en lui-même, du coup… contribuerait à une forme de persistance à cette logique de l’agro, enfin de l’approvisionnement en intrants, où l’agriculteur continuerait à acheter des choses comme ça. Telle que la trajectoire que ça prend aujourd’hui, oui. Si la question de départ est, est-ce que cela a permis de réduire l’utilisation d’un certain nombre d’intrants chimiques ? Il semblerait que la réponse soit oui. Si maintenant on pose la question… Est-ce que cela a permis de réduire la mainmise des grands acteurs industriels sur la filière des intérêts agricoles ? La réponse est non.

Inf’OGM – Frédéric Goulet évoque une expérience brésilienne qui pourrait brouiller la frontière entre PNPP et produits industriels. La vente de kits par des entreprises à des exploitants agricoles pour qu’ils produisent. eux-mêmes leurs produits de biocontrôle à base de micro-organismes. L’intérêt est clairement économique, me dit-il.

Frédéric Goulet – Produire chez soi des préparations, des solutions qu’on va utiliser sur les cultures, qu’on va utiliser soi-même, ce n’est pas nouveau.

Inf’OGM – Il parle des composts, des fumiers.

Frédéric Goulet – Ce qui est nouveau, c’est qu’on fasse ça sur des micro-organismes. Et le faire sur des micro-organismes, ça implique une infrastructure et un environnement technologique et des compétences bien différentes.

Inf’OGM – Mais les composts et les purins… ce sont aussi et avant tout des micro-organismes. Cependant, ce que les Brésiliens pratiquent, c’est la multiplication à la ferme d’une souche précise, mise au point en amont.

Frédéric Goulet – La grande différence de ce type de bio-intrants par rapport à des intrants traditionnels, c’est qu’on peut les produire soi-même. C’est-à-dire au même titre qu’on peut faire des levures chez soi ou qu’on peut même, si on veut, faire de la bière chez soi, c’est-à-dire travailler avec du vivant, alors qu’effectivement, demain, on ne va pas se mettre à synthétiser de l’urée. ou à synthétiser une molécule de glyphosate ou n’importe quelle autre molécule parce que ça demande des infrastructures industrielles énormes pour faire ça.

Inf’OGM – Mais ils relativisent tout de même. En effet, cette autoproduction de micro-organismes s’accompagne d’un réseau d’entreprises dédiées, mais qui ne sont pas celles de l’agro-industrie.

Frédéric Goulet – Il y a des entreprises qui se sont installées sur ce marché-là, qui ont créé ce marché-là et qui fournissent le système clé en main aux agriculteurs. C’est-à-dire, je vous fournis les souches de micro-organismes, je vous fournis les bioréacteurs. pour multiplier les micro-organismes chez vous. Et je vous fournis tout le conseil technique. Il y a aussi un marché très clair autour de ça, qui fait qu’on dépasse un peu cette vision manichéenne que produire à la ferme serait pour le coup totalement émancipé des acteurs économiques et marchands.

Inf’OGM – Mais cela déplait aux industriels. Frédéric Goulet me raconte la bataille juridique autour de cette production de micro-organismes au Brésil.

Frédéric Goulet – L’industrie des intrants agricoles, et même l’industrie du biocontrôle, bien entendu, s’oppose à cela, s’oppose à la production à la ferme. Il y a eu une loi qui a été votée au Brésil en décembre 2024 là-dessus, dans le sens où ce que vous produisez chez vous, vous n’avez pas le droit de le vendre. On répète un petit peu la vieille histoire des semences paysannes, c’est-à-dire à quel point on a le droit de faire chez soi ces semences et ne pas dépendre du vendeur d’un tremble. Ici, se répète un petit peu la même histoire, c’est-à-dire avoir le droit de produire chez soi des micro-organismes. et de ne pas dépendre d’une entreprise qui me les vendrait au fil de l’année et tous les ans. Donc ça, c’est un vrai potentiel révolutionnaire.

Inf’OGM – Potentiel révolutionnaire, comme nous dit Frédéric Goulet, ou bien encore la persistance d’une mainmise marchande sur les pratiques paysannes, je vous laisse vous faire votre opinion. Le mot biocontrôle est vraiment un mot qui brouille les pistes. On entend bio comme agriculture biologique. Or, tous les produits de biocontrôle ne sont pas autorisés en agriculture biologique. L’industrie des pesticides investit massivement dans ces produits. Deux exemples. Syngenta a racheté l’entreprise belge spécialiste de l’interférence ARN DevGen en 2012 pour 400 millions d’euros. Et BASF a acquis en 2012 pour 785 millions d’euros Baker Underwood, Une entreprise… spécialisés dans le biocontrôle, notamment à base de micro-organismes. Les exemples sont légions. Le biocontrôle pourrait donc devenir à terme une pratique en totale opposition avec l’agroécologie. Pourtant, les entreprises agrochimiques ne se privent pas de faire l’amalgame, comme en témoigne ce slogan de BASF, le biocontrôle, un pilier précieux de l’agroécologie.Vous venez d’entendre OMG,Décodons les biotech, le podcast du média indépendant Inf’OGM. Ce podcast a été réalisé par Charlotte Coquard et Christophe Noisette, avec le soutien technique de Plink et en particulier Pierre-Henri Samion et Rémi Sanaka. La musique originale a été réalisée par Julien Fauconnier de Studio Time. Merci à toute l’équipe d’Inf’OGM et en particulier à Hélène Tordjman, Antoine Vépierre et Sylvain Willig. Nous tenons à remercier les bailleurs qui nous ont permis de réaliser ce podcast, les fondations Ecotone, Olga et Nature et Découverte et le ministère de la Culture. Pour en savoir plus sur les OGM et les biotechnologies, retrouvez toutes nos infos sur infogm.org.