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Encore des mots, toujours des mots…
Depuis plusieurs années, Inf’OGM travaille à suivre et décrypter les mots utilisés par les multinationales ou le monde politique dans les dossiers OGM, propriété industrielle ou encore numérisation du vivant. Le choix des mots n’a en effet rien d’anodin et nommer un sujet, un outil ou des éléments de la nature participe à une bonne compréhension des enjeux… ou à entretenir une confusion !
Dans cette nouvelle série d’articles, Inf’OGM aborde le cas de plusieurs sémantiques utilisées volontairement par des industriels, la Commission européenne ou certains législateurs à des fins stratégiques. Nous nous intéresserons par exemple aux confusions entretenues entre outils (ex : Crispr), techniques (ex : mutagénèse) ou méthodes (ex : protocoles techniques de modification génétique), à la question de la précision, du ciblage ou de la maîtrise des techniques de modification génétique ou encore celle de l’équivalence entre végétaux. Ces articles viennent compléter les cas déjà abordés par le passé, que nous résumons dans ce premier volet.
L’artificialisation de la nature pour se l’approprier
Début 2021, alors que le débat quant au statut juridique des séquences d’informations numérisées (les séquences de génome ou protéome enregistrées dans des ordinateurs) commençait à émerger, Inf’OGM abordait la question sémantique de « ressources génétiques »i.
Cette expression, inventée en 1967 lors de la Conférence internationale sur l’exploration et la conservation des plantes cultivées, organisée par la FAO, fut reprise lors du Sommet de la Terre, à Rio en 1992, par la Convention sur la diversité biologique (CDB). Cette convention internationale établit qu’une « ressource génétique » est « un matériel génétique ayant une valeur effective ou potentielle » en intégrant également les « composants intangibles » non physiques, comme les savoirs traditionnels. En 2014, le Protocole de Nagoya diffèrera légèrement de cette définition en parlant de « composition génétique et/ou biochimique de ressources génétiques ». Mais le terme « ressources » en lui-même est au cœur d’une vision utilitariste de la nature. Comme l’expliquaient Annick Bossu et Christophe Noisette dans leur article publié par Inf’OGM, ce terme place « le vivant dans une vision industrielle extractiviste […] comme un bien matériel ». Lorsque l’adjectif « génétique » lui est adjoint, il englobe tout le vivant, les plantes, les animaux et les micro-organismes, le réduisant aux seules séquences génétiques. De même, la directive sur les brevets parle de « matière biologique ».
Du fait de l’amélioration des conditions de stockage des ressources physiques et de la possibilité de séquencer vite et à moindre frais les séquences génétiques, puis de les stocker dans des ordinateurs, les portes de l’appropriation du vivant (via des brevets) s’ouvrent un peu plus. En effet, dématérialiser des organismes en enregistrant certaines séquences de leur génome, certaines protéines,… dans des bases de données informatiques rendent accessibles ces séquences aux entreprises, qui ambitionnent d’y faire leur marché en quelque sorte. Même si elles ne trouvent pas ce qu’elles cherchent, les usines d’algorithmes trouveront des pistes de réponses aux attentes des industriels. Comme un symbole de l’importance des mots, pour ces entreprises, les « ressources génétiques » enregistrées dans un ordinateur ne peuvent pas être qualifiées de « physiques ». Selon les industries et les États européens ou nord-américains, elles n’auraient aucun lien avec les prélèvements biologiques. Elles ne devraient donc pas être soumises à la protection de la diversité biologique, mise en place notamment par la CDB, alors même que les brevets que ces entreprises demandent sur base de séquences numérisées s’appliquent aux organismes vivants composant ladite diversité biologique…
« Micro-organisme », un terme utilisé pour permettre des brevets sur des organismes
En juillet 2023, la Commission européenne affirmait proposer un règlement concernant les OGM végétaux obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique. Dans son phrasé, le terme « végétaux » était alors lu de manière non ambiguë, précision étant même apportée que ce texte ne concernerait pas les micro-organismes et les animaux. En septembre 2025, Inf’OGM rapportait pourtant que des micro-organismes étaient bel et bien concernés par cette proposition, expliquant que la notion juridique de ce terme « micro-organisme » varie d’un texte à l’autre, jusqu’à aboutir à concerner des organismes complets qui n’ont rien de « micro »ii.
Point de départ d’un suivi sémantique, le législateur européen définissait en 1990 un micro-organisme comme « toute entité microbiologique, cellulaire ou non cellulaire, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique ». Cette définition était adoptée dans le cadre de la directive encadrant l’utilisation des micro-organismes génétiquement modifiés. Dans un autre cadre, celui des brevets, c’est en 1995 que l’Office européen des brevets (OEB) allait arrêter, pour lui, que ce terme s’applique également aux cellules végétales et animales isolées, pourtant incapables de se reproduire et de transférer du matériel génétique seules, sans la batterie de produits chimiques utilisés en laboratoire. Mais pour l’OEB, « le terme « micro-organisme » recouvre les bactéries et d’autres organismes généralement unicellulaires, invisibles à l’œil nu, qui peuvent être multipliés et manipulés en laboratoire, y compris les virus et les plasmides et les champignons unicellulaires (y compris les levures), les algues, les protozoaires et, en outre, les cellules humaines, animales et végétales ». Cette liste d’exemples de micro-organismes version OEB, plus large que celle des textes législatifs européens, permet aux multinationales d’élargir la portée de brevets à tout organisme complet qui aurait été obtenu à partir de cellules végétales ou animales isolées en première étape.
Mais c’est un texte international de 1977 qui offre la vision la plus large, sinon aberrante, de ce qu’est un micro-organisme. Le Traité de Budapest, signé par 91 États, encadre le dépôt de micro-organismes au titre d’échantillons auprès d’autorités de dépôt internationales. Dans son annexe listant les « micro-organismes » pouvant être déposés comme échantillons, ce traité liste ainsi bactéries, virus, protozoaires… mais également l’ADN, les ARN, les plasmides, (c’est-à-dire des molécules qui par définition ne sont pas vivantes), les embryons, les nématodes (des vers), et même les semences.
Les multinationales peuvent paradoxalement défendre la position inverse quand leurs intérêts le nécessitent. Ainsi, au sein du Protocole de Carthagène qui encadre les mouvements transfrontières des OGM, certaines entreprises argumentent vouloir « exclure de ce champ d’application [du protocole] certains produits issus de biotechnologies modernes, comme les pesticides ARNi, les vaccins, les virus… parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes des organismes vivants, alors qu’ils sont disséminés dans le but de modifier le génome ou l’épi-génome d’organismes vivant », d’après Guy Kastler dans une analyse publiée par Inf’OGMii. Considérer légalement certains produits comme des micro-organismes pour obtenir des brevets tout en affirmant qu’ils ne sont pas des organismes pour échapper aux obligations d’encadrement des OGM… tout un art.
La définition légale d’un OGM au cœur de négociations politiques
Depuis décembre 2024, les États membres de l’Union européenne discutent sémantique sur la définition même d’un OGM, établie légalement depuis 1990iii. Ce travail reflète clairement que la lecture des mots, pris ensemble ou séparément, a une grande importance quand il s’agit de textes de loi, puisque définissant ce à quoi la loi s’applique.
À l’initiative des Pays-Bas, une discussion s’est donc engagée sur plusieurs mots de la définition d’un OGM fournie par les directives 2001/18 (OGM) et 2009/41 (micro-organismes GM), à savoir « un organisme [ou un micro-organisme], à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Sur quels mots les États membres soulèvent-ils des questions d’interprétation ? D’après les Pays-Bas, plusieurs seraient à discuter pour « aligner les approches adoptées lors de la mise en œuvre de la définition d’un OGM ».
Ainsi, l’expression « a été modifié » ferait l’objet de deux interprétations différentes. Pour certains États membres, tous les descendants d’un OGM seraient également des OGM, alors que pour d’autres, la descendance peut être considérée comme non-OGM. L’expression « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement » est elle aussi discutée. Certains États la lisent comme se référant à la technique, alors que d’autres États estiment qu’elle renvoie à la seule modification génétique obtenue. Dans ce dernier cas, cela serait un revirement important dans l’application de la législation européenne sur les OGM, qui a toujours été mise en œuvre en prenant en compte aussi bien les modifications génétiques obtenues que la manière dont elles ont été obtenues.
Une dernière expression mérite qu’on s’y attarde, celle énonçant « à l’exception des êtres humains ». D’après les Pays-Bas, certains États membres estiment que des cellules et des tissus humains peuvent être considérés comme OGM si modifiés génétiquement, car ces cellules humaines, comme les tissus humains, ne seraient pas des « êtres humains » à proprement parler ! Une telle interprétation ouvrirait la porte aux modifications génétiques sur, dans un premier temps, des tissus d’être humain. Pour la suite…
Les exemples de sémantique que nous venons de voir illustrent d’ores et déjà que la lecture des mots revêt toujours une grande importance dans la stratégie visant à s’approprier le vivant tout en échappant au plus d’encadrements réglementaires possible, quitte à argumenter tout et son contraire en fonction des enceintes de discussion. Dans les articles à venir, nous verrons comment la sémantique continue d’être un outil pour échapper aux cadres existants, voire, dans le cas des OGM, les déréglementer.
i Annick Bossu et Christophe Noisette, « « Ressource génétique » : une mauvaise expression », Inf’OGM, le journal, n°162, janvier/mars 2021.
ii Denis Meshaka et Eric Meunier, « « Micro-organisme », l’incertitude des mots comme stratégie législative ? », Inf’OGM, 25 septembre 2025.
iii Eric Meunier, « L’Union européenne discute sa définition d’un OGM », Inf’OGM, 10 avril 2025.


