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Impasse sur les informations de séquençage numérique au sein du Tirpaa
De nouvelles négociations sur les informations de séquençage numérique dans le cadre du Tirpaa ravivent les tensions entre pays « en développement » et « pays développés ». Ces derniers imposent des orientations qui affaiblissent les revendications de l’autre camp et renforcent leur contrôle sur les ressources phytogénétiques. Leur arme ? Le maintien du « libre accès » aux informations de séquençage numérique et un partage des avantages parallèle et facultatif, convenu par la Convention sur la diversité biologique.
La 14ème réunion du groupe de travail du Tirpaa (Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture) s’est tenue du 7 au 11 juillet à Lima (Pérou). Il s’agissait de la dernière étape avant la session de novembre de l’Organe directeur, qui doit fixer le cadre de la réforme du Système multilatéral (SML) de ce Traité. Les discussions n’ont fait que confirmer le rapport de forces déséquilibré entre « pays développés » et « en développement »i, notamment sur les DSI/GSD (informations de séquençage numérique/données sur les séquences génétiques) : les premiers refusent tout cadre contraignant et défendent un « libre accès » et un « partage des avantages » trompeurs.
Le Système multilatéral (SML)
Le Tirpaa, adopté en 2001 par la FAOii et entré en vigueur en 2004, est un instrument juridique contraignant qui vise à garantir la conservation et l’utilisation « durable » des ressources génétiques pour l’agriculture et l’alimentation (RPGAA). En harmonie avec la Convention sur la diversité biologique (CDB), le Tirpaa entend garantir le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation de telles ressources, grâce au Système multilatéral (SML). Ce dernier donne accès, via un réseau de banques de gènes publiques, à plus de 2 millions d’échantillons de ressources génétiques appartenant à 64 espèces de cultures essentielles, qui couvrent environ 80 % de l’alimentation humaine.
Cet accès facilité à certaines ressources phytogénétiques agricoles (pour la recherche, la sélection et la formation) écarte le consentement préalable des fournisseurs et le partage bilatéral des avantages découlant de la Convention sur la diversité biologique (CDB) entre les paysans qui ont fourni leurs semences aux banques de gènes du SML et leurs utilisateurs (l’industrie semencière essentiellement). Il est remplacé par une interdiction de revendiquer des droits de propriété intellectuelle (DPI) limitant l’accès aux RPGAA fournies et par une obligation de rémunération d’un Fonds multilatéral de partage des avantages lors de la commercialisation de semences ou plants issus de leur utilisation.
Limites du SML
Ce mécanisme a été mis en place pour garantir l’accès facilité des acteurs commerciaux au SML. Dans le même temps, ce dispositif ne doit pas restreindre les droits des agriculteurs de conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences, mais avec une réserve, interprétée par les pays «développés » comme les autorisant à adopter des lois contraires à ces droits : « selon les lois nationales et selon qu’il convient ». Jusqu’à présent, ces deux dispositions n’ont pas été respectées, selon le Comité International pour la Souveraineté Alimentaire (CIP)iii – la seule organisation de producteurs d’aliments (agriculteurs, pêcheurs, pastoralistes et peuples autochtones) accréditée comme observateur dans ce groupe de travail -, les pays « en développement » et l’Organe directeur du Traité, qui a mis en place depuis plus de dix ans plusieurs groupes de travail chargés de remédier à ce problème.
Le SML est surtout utilisé par la recherche, qui n’est pas tenue de partager les avantages puisqu’il ne s’agit pas d’un acteur commercial, sauf en cas de concessions de licences sur des DPI. Les résultats de la recherche sont transmis à l’industrie, laquelle a en outre déjà constitué ses propres collections de RPGAA (notamment avant l’adoption du Traité, quand les semences étaient encore considérées comme un « patrimoine commun de l’humanité » en libre accès, hors DPI). L’industrie ne recourt au SML que pour obtenir des RPGAA nouvelles. Les entreprises étasuniennes, dominantes sur le marché, accèdent librement aux collections publiques des États-Unis – les plus vastes au monde – sans traçabilité ni partage des bénéfices.
Le Tirpaa reconnaît d’ailleurs qu’il ne peut contrôler la traçabilité des échanges de RPGAA entre entreprises, lesquelles invoquent l’impossibilité bureaucratique de suivre les centaines de croisements nécessaires à la création de semences commerciales. C’est pourquoi le fonds de partage des avantages est resté presque vide, hormis quelques contributions symboliques, comme celle de la Semae française, destinées à afficher une « bonne conduite ».
La rhétorique des pays développés du « Nord global » consiste à dire que le SML n’est pas « attractif » pour les entreprises, alors qu’il est obligatoire, et à plaider pour un amendement au Tirpaa afin d’y inclure toutes les ressources ex situ (conservées hors de leur environnement naturel ou sur les fermes) et du domaine public (notamment soja et tomate, aujourd’hui exclus). Pourtant, les entreprises l’utilisent déjà indirectement puisque les chercheurs séquencent les génomes d’échantillons du SML et déposent les informations de séquence numérique (DSI) dans des bases de données en libre accès, échappant ainsi au contrôle du Tirpaa. L’industrie peut ensuite exploiter ces données pour obtenir des brevets concernant des traits génétiques, ce qui limite l’accès aux ressources originales du SML et remet en cause les droits des agriculteurs qui les ont fournies.
Un processus d’« amélioration » du SML bloqué
Un processus d’« amélioration » du SML a débuté en 2013 par la création d’un groupe de travail dédié. En 2022, après une interruption de quelques années de ses travaux suite à l’adhésion des États-Unis au Traité, l’Organe directeur a missionné un nouveau groupe de travail pour « la mise au point définitive de l’amélioration du fonctionnement SML » d’ici à sa 11ème session, en novembre 2025. La 13ème réunion de ce groupe de travail, en avril dernier, avait rediscuté l’élargissement de la liste des cultures couvertes par le SML et la révision du contrat standard de transfert de matériel (ATTM, ou SMTA en anglais) encadrant leur utilisation.
Les pays « en développement » avaient exprimé leur opposition à toute inclusion de nouvelles espèces dans la liste tant qu’un accord n’était pas intervenu sur la mise en place d’un mécanisme efficace de partage des avantages. Ils avaient aussi fait entendre leur crainte de dérive de l’accès libre aux semences paysannes et traditionnelles, dont ils constituent la principale source, sans aucun engagement de partage des avantages et d’interdiction de revendiquer des DPI sur ces semences, leurs parties et composantes génétiques. Ceci faciliterait effectivement l’obtention de brevets ou autres DPI sans réel partage des avantages, au détriment de ces pays et des droits des paysans.iv
Ce 13ème groupe de travail était resté particulièrement divisé sur la question du partage des avantages découlant de l’utilisation des DSI/GSD, ainsi que sur une autre question importante, à savoir si l’accès au SML devait se faire uniquement sur souscription ou selon un système double permettant aux utilisateurs de choisir entre une option de souscription et une option d’accès uniquev. Les modalités de paiement au Fonds de partages des avantages n’ont pas encore obtenu de consensus, et leur montant n’a pas encore été discuté.
Impasse sur la gouvernance des DSI/GSD
Les discussions du 14ème groupe de travail, en juillet dernier, n’ont pas résolu la question de la gouvernance des DSI/GSD, qui reste donc une cause de désaccord majeure entre les pays « développés », principaux exploitants de ces données, et les pays « en développement », qui en sont les principaux fournisseurs. Les DSI/GSD représentent un enjeu stratégique fort pour la recherche industrielle. Tout le monde est d’accord pour mettre en place un système d’abonnement pour un accès illimité à toutes les RPGAA du SML, ou uniquement de certaines espèces, sous réserve de paiement obligatoire basé sur le chiffre d’affaires de vente des entreprises abonnées (semences et droits de licence). Ce mécanisme pourrait garantir un réel partage des avantages découlant de l’utilisation des DSI/GSD en les incluant (comme les ressources physiques) dans l’ATTM, empêchant ainsi la biopiraterie (appropriation illégitime) sur de telles ressources. Ce partage est en effet prévu par l’article 13.2 du Tirpaa sur les bénéfices liés à l’utilisation des ressourcesvi. Mais les pays « développés », comme les États-Unis, les pays européens et le Japon, défendent en complément une approche d’« accès unique » aux RPGAA physiques du SML sans aucun engagement juridique contraignant de paiement pour l’utilisation des DSI/GSD demeurant en accès libre sur internet.
En refusant d’inclure les DSI/GSD dans l’ATTM, l’outil opérationnel du SML pour le transfert des ressources, les pays « développés » éviteraient ainsi toute obligation contraignante de partage, qu’il soit monétaire ou non monétaire. Cette divergence a entraîné un blocage lors de la 14ème réunion du groupe de travail, en juillet 2025. Les propositions des pays « en développement » visant à inclure les DSI dans l’ATTM ont été laissées entre crochets dans le document final, signe de ce désaccord persistant et néanmoins censé être résolu dès novembre prochain.
De plus, la question posée par les décisions de la dernière réunion de la CDB a certes été évoquée, mais ses conséquences n’ont pas encore été débattues. La CDB considère en effet que les DSI/GSD ne sont pas des composantes des ressources génétiques, auquel cas, elles rentreraient pour les RPGAA dans les compétences exclusives du Traité, mais qu’elles sont des produits de la recherche. La CDB a en conséquence décidé de mettre en place, pour toutes les ventes entreprises des secteurs utilisant des DSI/GSD, dont celui des semences, son propre Fonds multilatéral de partage des avantages, auquel devraient contribuer toutes les entreprises ne remplissant pas déjà leurs obligations auprès d’un autre Fonds, comme celui du Traité. Mais ces paiements seront facultatifs : entre un paiement facultatif et un paiement obligatoire, il y a fort à parier que les entreprises choisiront celui de la CDB et ne s’adresseront au SML que pour les rares RPGAA physiques dont elles ne disposent pas déjà dans leurs propres collections, celles des États-Unis, qui n’exigent pas la signature d’un ATTM, ou encore grâce à des échanges privés avec d’autres entreprises ou organismes de prospection et de recherche assimilés à des ONG.
Un « accès libre » sous contrôle
Le sujet de l’« accès libre » aux DSI/GSD abrite une hypocrisie ou, pour le moins, un paradoxe. Derrière ce langage rassurant, il faut voir la continuation d’un système déjà établi par d’autres instruments internationaux, en particulier la CDB. En effet, bien que la CDB reconnaisse aux pays leurs droits souverains sur les ressources génétiques de leur territoire, ces pays fournisseurs de « ressources génétiques » – essentiellement les pays « en développement » – ne bénéficient en réalité que de gains minimes sur l’exploitation de ces ressources par les entreprises des pays « développés »vii. D’une part, les dispositions de l’ATTM sont quasiment impossibles à appliquer, et l’accès aux DSI/GSD est déjà largement libre sur des bases de données publiques ou privées, souvent sans indication d’origine ni de législation applicable. Les pays fournisseurs n’ont donc aucun moyen de se voir garantir un partage équitable des bénéfices et les pays « développés » ne font que légitimer une situation qui existe déjà.
De plus, la question du contrôle de ces bases de données sur les DSI/GSD accentue cette fracture. Financées et hébergées par les pays « développés », elles leur confèrent un pouvoir arbitraire sur l’accès aux DSI/GSD qu’elles hébergent, qui n’est donc plus véritablement garanti. Il suffit par exemple que des restrictions imposées pour des raisons politiques et sans possibilité de recours pénalisent les pays « en développement », comme ce fut récemment le cas dans le domaine médicalviii.
Une situation confortée par les brevets
Ce contrôle privilégié des DSI/GSD ne fait qu’aggraver la question de l’appropriation des RPGAA par les multinationales des pays « développés » au moyen de brevets basés sur ces informations et données. Laisser cette situation perdurer favorise un accaparement massif par ces multinationales, restreignant de fait l’accès des paysans et des communautés locales à des ressources vitales, leur interdisant avec des brevets ou autres DPI d’utiliser celles qu’ils ont sélectionnées, produites et entretenues pendant des générations, les privant des bénéfices issus de l’utilisation industrielle de ces ressources et les marginalisant dans les discussions officielles.
Le refus des pays « développés » d’accepter des engagements contraignants pour un réel partage des avantages soutenant les agriculteurs, les peuples autochtones et les banques de gènes des pays en développement et interdisant la brevetabilité des RPGAA du SML (leurs parties et composantes génétiques) constitue un nouveau recul pour le Tirpaa. Si cette tendance se poursuit, le SML ne sera plus qu’un simple label permettant aux pays « développés » de consolider leur monopôle de l’exploitation des RGPAA, physiques ou virtuelles, tout en affichant un vernis de coopération. Les pays en développement, les paysans et peuples autochtones resteront fournisseurs de données gratuites et seront privés de moyens réels pour protéger et valoriser leurs ressources et leurs droits. Selon les organisations paysannes regroupées au sein du CIP, qui suivent depuis des années les négociations du Tirpaa, il est nécessaire que les Parties contractantes, en particulier les pays « en développement », résolvent la question à partir des législations nationales, en interdisant la brevetabilité des DSI correspondant aux RPGAA incluses dans le SML et en protégeant les droits des agriculteurs, leurs semences et leurs connaissances contre la nouvelle biopiraterie numériqueix.
i Ces termes sont communément employés pour désigner ces catégories de pays. On peut aussi rencontrer par exemple les appellations « pays du Nord (global) » ou « pays du Sud (global) ».
ii Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
iii International Planning Commitee for Food Sovereignty, « Douzième réunion du groupe de travail ad hoc à composition non limitée chargé d’améliorer le fonctionnement du système multilatéral, Rome, Italie, 16-19 septembre 2024 », octobre 2024.
iv Denis Meshaka, « Le Tirpaa travaille sur une réforme controversée », Inf’OGM, 10 juin 2025.
v Ibid.
vi FAO, « Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture », 2009.
vii Denis Meshaka, « Le Tirpaa travaille sur une réforme controversée », Inf’OGM, 10 juin 2025.
viii Richard Stone, « Researchers from China and five other ‘countries of concern’ barred from NIH databases », Science, 10 avril 2025.
Liu, H., Liu, Y., Zhao, Y. et al., « A scoping review of human genetic resources management policies and databases in high- and middle-low-income countries », BMC Med Ethics, 15 mars 2025.
ix International Planning Commitee for Food Sovereignty, « Le CIP montre la voie pour mettre fin à la biopiraterie numérique », 28 août 2025.


